Exposition
La Haute Note Jaune
Fondation Vincent van Gogh, Arles
Du 5 octobre 2024 au 2 février 2025
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Louise Bourgeois, Arch of Hysteria, bronze et patine polie,1993. |
Le
jaune dans tous ses états
Une fois encore, Vincent se trouve en
position centrale, avec son Lieur de gerbes (1889). Accompagné par VALIE
EXPORT, la grande artiste autrichienne, qui ouvre l’exposition avec des clichés
d’elle-même des années 1970, réutilisés en 2009, décadrés et colorisés
partiellement en jaune (Jump). Un autoportrait en noir et blanc de la
même époque la montre en train de présenter un paquet de cigarettes, celui qui
donnera son pseudonyme. Elle s’achève sur les « peintures invisibles »
de Bruno Jakob, sans jaune, sans rien, en apparence, mais avec la trace de
l’eau et la possibilité de retenir toute l’énergie du monde. Rappelons la
tradition chinoise d’écriture avec de l’eau qui s’évapore rapidement, sur une
surface de pierre ou autre, laissant ainsi place à la force du fugace.
Un grand nombre de peintures, plus ou moins
figuratives, de grand format et de grande qualité se trouvent entre les deux
artistes précités. Asger Jorn, avec des toiles des années 1960, rébellion
colorée du membre-fondateur danois de Cobra, où les hurlements stridents des
couleurs se marient à la pensée en action. Plus tardivement, Martin Disler s’occupe
à mettre à mal le bon goût en une sarabande post-expressionniste. Cet artiste
suisse, né en 1949, également écrivain, a eu sa première exposition à la
Kunsthalle de Bâle avant de mourir en 1996. Une découverte pour certains, les
travaux récents et passionnants de Markus Gadient qui travaille sur la notion
de paysage de façon récurrente, entre couleur et grisaille. Martha Jungwirth
expose de grandes toiles à partir d’une relecture de l’Asperge d’Édouard
Manet en un superbe choc spatio-temporel. De somptueuses réalisations de
Hyun-Sook Song, coréenne d’origine, vivant et travaillant en Allemagne, permettent
de faire le pont entre les deux pratiques. Ses coups de pinceaux définissent un
espace où l’objet acquiert une dimension nouvelle : mystérieuse, majestueuse
et précieuse.
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Martha Jungwirth, une des peintures de la série Edourd Manet L'asperge, 2023 |
D’autres travaux s’inscrivent dans une
abstraction au sens large avec Albert Oehlen et son triptyque réalisé à l’huile
et à la laque sur Alubond. Ce recouvrement de jaune (qui pourrait être celui de
la couleur de la poste allemande, comme le rappelle avec malice Bice Curiger
dans son texte de présentation) ne manque pas de puissance puisqu’il se trouve
surligné par des tracés noirs et remanié par une série de signes et de points :
l’industriel au service de l’artisanal ? Caché dans un recoin, un petit portrait,
très libre, de Van Gogh. Pierre Schwerzmann use du trompe-l’œil avec brio. Ses œuvres froides et
géométriques ne se trouvent point réalisées sur du métal, mais sur de la toile.
L’effet obtenu oblige à reconsidérer les dates des œuvres et leur inscription
dans une histoire de l’art décalée. Verena Loewensberg, la seule figure
féminine de l’art concret suisse, se trouve mise en valeur avec sept toiles.
Toute la rigueur du mouvement s’y retrouve, tempéré d’une certaine joie intérieure.
Nina Childress, inclassable, propose des
portraits réalisés avec des pigments phosphorescents dont Family of 24 (Ringo
et Sheila entourés de peluches monstrueuses), les quatre portraits de Sylvie
Vatan (2023), ou Genoux serrés et Bad genoux serrés. L’utilisation de
torches spéciales demeurent indispensables pour découvrir les effets visuels de
ces compositions pop, verdâtres en apparence et pleines de secrets.
Côté volume, une œuvre de l’immense Louise
Bourgeois, suspendue dans l’espace, Arch of Hysteria (1993), en bronze
poli, corps féminin sans tête et en tension, qui interroge sur sa vie et ses obsessions.
Richard Artschwager propose un gros point d’exclamation jaune très dynamique
tandis qu’à l’étage une admirable sculpture de Dominique White nous attend, The
Tortuous (La Tortueuse) de 2023. En acajou et fer forgé, une sorte
de spirale pointue comme une lance s’élance vers le ciel tandis que sa base brisée
nous invite à réfléchir sur la vanité des choses.
Des portraits de Paul Blanchet dit Le Sauvage
(1865-1947), émaillent la monstration. L’homme revenu de son service militaire
au Sénégal décida de n’en plus faire qu’à sa tête, de raconter des histoires et
de prendre des poses lors de saynètes comme un moderne performer. Il est né et
a vécu à Saint-Rémy-de-Provence, n’a jamais rencontré Van Gogh, mais fait
partie désormais d’une « légende dorée » laïque, donc jaune.
Christian Skimao
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PS
En 2007, Claude Viallat exposait à la Fondation
Van Gogh (la première, que dirigeait alors Yolande Clergue) sous l’intitulé
La haute note jaune. Je profite de cette correspondance pour saluer la mémoire de cette pionnière
arlésienne, disparue récemment en septembre 2024.
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