lundi 18 novembre 2024

Exposition "Parade, une scène française", MO.CO, Montpellier, 2024

 

Exposition Parade, une scène française

Collection Laurent Dumas

MO.CO, Montpellier

Du 26 octobre 2024 au 12 janvier 2025

 

 

Claire Tabouret, Makeup (Red and Purple), 2016. Exposition MO.CO Montpellier, 2024.

 

                                  Comme à la Parade

 

 

  Un ticket gagnant se remet en place : une collection privée d’art contemporain rencontre une institution publique qui la reçoit, les deux contribuant à la réussite d’un événement tant didactique que passionnant. Évidemment, ceci ravive quelques souvenirs. Ainsi, Laurent Dumas, président du groupe Emerige, achète de l’art français depuis plus de vingt ans et va ouvrir en 2026 un centre d’art privé sur l’île Seguin à Boulogne-Billancourt. Une sélection d’œuvres lui appartenant, réalisées par une quarantaine d’artistes, se trouve mise en scène avec soin dans les locaux de l’Hôtel de Montcalm, avec une forte présence de peintures, agrémentée de quelques sculptures et de réalisations plus composites.

  Des artistes historiques comme Jean-Pierre Pincemin avec une très belle peinture intitulée L’arbre au tombeau de 1999, Daniel Spoerri, qui vient de nous quitter, avec Bateau en détresse ou péril en mer (Détrompe - l’œil) de 1985, assemblage d’une tapisserie rehaussée de peinture, d’un gyrophare, d’un véritable rostre de poisson scie qui jaillit en avant, menaçant et ironique, de feuillages artificiels et de poissons en porcelaine, contrecollés sur un panneau en bois. Raymond Hains se trouve présent avec Votez Arlette, de 1974, un décollage sur toile où il a récupéré un morceau d’affiche où apparaissent, grâce aux déchirures, les strates d’une certaine réalité. Christian Boltanski, incontournable, avec Réserve - La fête de Pourim, de 1990, reprend une de ses séries où des images floutées d’enfants juifs de 1939 se trouvent au-dessus de boîtes en aluminium rouillé. Le temps s’écoule alors que la douleur de la disparition demeure.

 

  Les variations picturales se déclinent avec une autre génération, comme Hélène Delprat avec WUT (FUREUR) de 2022, immense acrylique sur toile, mesurant 245 x 970 cm, où les riches motifs ornementaux cachent une réalité historique. Elle a utilisé une photo de 1945, lorsque des soldats russes inspectaient le bunker où s’était suicidé Hitler. La grande Nina Childress qui interroge sans cesse les images au travers de réalisations où le kitsch flirte avec un univers très psychanalytique, Long Hair Piece (Pièce aux longs cheveux) de 1998. La peinture épurée de Djamel Tatah qui œuvre dans un espace scénique et pictural côtoie les rébus intimistes de Georges Tony Stol. Sans oublier l’immense travail de Fabrice Hyber, bricoleur génial et créateur quantique, autour de la nature, avec Tornade de 2008-09 où le pédagogique rejoint l’artistique.

 

Adel Abdessemed, Untitled, 2014. Exposition MO.CO, Montpellier,2024.

  N’oublions pas une vague encore plus jeune de créateurs comme Assan Smati et son grand tableau aux couleurs vives, Parade, de 2015, 283 x 540 cm, où le grotesque le dispute au tragique et qui donne le titre à l’ensemble de l’exposition. En effet, la notion de combat se trouve présente d’emblée avec des clowns armés de bâtons et menaçant un trapéziste à terre. Cette problématique se trouve présente également dans La lutte de 2012 de Rayan Yasmineh qui joue avec les codes du « non finito » italien et des représentations orientales. Il en émerge une sorte de décalage cultivé fort intéressant. La sculpture époustouflante d’Adel Abdessemed, Sans titre, de 2014, reprend aussi des références historiques, le tableau du Caravage intitulé Sacrifice d’Isaac de 1597-98. Ici, les deux figures humaines constituées de lames de scalpel, représentent un homme agenouillé, l’artiste, tandis que celui qui tient le couteau est son père. La violence visuelle se charge aussi d’une violence symbolique où soumission et rébellion se déclinent par rapport à des messages venus d’ailleurs. Enfin Claire Tabouret, qui vit et travaille à Los Angeles, dont les oeuvres frappent par leur puissance et leur étrangeté car elle réussit à rendre inquiétantes les scènes les plus banales.

 

  Une collection à voir et à revoir, dans le cadre d’une relecture de nos futurs classiques…

                                                                                                                                          Christian Skimao

 

 

 

 

dimanche 10 novembre 2024

Saison de la Lituanie en France 2024, Aleksandra Kasuba et Marija Olšauskaitė

 

Expositions d’Aleksandra Kasuba, Imaginer le futur et de Marija Olšauskaitė, The softest hard

Dans le cadre de la saison de la Lituanie en France 2024

Carré d’art-Musée d’art contemporain, Nîmes

Du  25 octobre 2024 au 23 mars 2025

 

 

Aleksandra Kasuba, Spectre. Une allusion, 1975-2014. Vue partielle à Carré d'art, Nîmes.

 

 

          Lithuania / Lietuva : deux générations

 

 

   Aleksandra Kasuba (1923-2019), d’origine lituanienne, née à Siauliau, fuit son pays sous occupation en 1944 et s’installe aux Etats-Unis en 1947. La problématique de l’environnement et sa détestation de l’angle droit, la conduit à multiplier des réalisations en membranes tendues dans le cadre d’une approche novatrice. Elle propose des installations, mais aussi des travaux architecturaux dont beaucoup sont restés à l’état de projet (d’où les nombreuses maquettes présentes dans l’exposition). La pièce maîtresse intitulée Spectrum. An Afterthought (Spectre. Une allusion) réalisée à partir de 1975 a été reprise à divers moments jusqu’en 2014. Se composant de tissu synthétique, de lampes néon, de filtres colorées, d’acier, d’aluminium, de contreplaqué, de plastique, etc. elle offre la possibilité de circuler à l’intérieur afin de profiter des ambiances colorées et de participer pleinement à cette expérience immersive glissant vers l’immatériel. Les contributions de George Maciunas et de Jonas Mekas, deux grands artistes d’origine lituanienne eux aussi, permettent de saisir le contexte artistique dans lequel a vécu Kasuba. Intégrée dans cette société américaine en devenir et encore pleine d’espoirs, elle a poursuivi ses recherches à la fois architecturales, sociologiques, sculpturales autour des textiles et des formes.

 

Marija Olšauskaitė, Etangs, 2023. Exposition Carré d'art, Nîmes.

  Marija Olšauskaitė, née en 1989 à Vilnius, poursuit également une carrière internationale. Son choix de l’élément verre dans une démarche contemporaine, se trouve lié à la foisonnante production traditionnelle en Lituanie. Une série de sculptures nous accueille avec Never Act in Haste (Agir sans précipitation) où des panneaux en verre parsemés de découpes vides jonglent avec des formes colorées placées à part qui évoquent des souvenirs d’enfance. Une très belle installation de sculptures de verres horizontales, Ponds (Étangs) suit. Le miroitement de lumières placées en-dessous des plateaux offre un inépuisable questionnement sur les rapports entre nature et culture. Un autre type d’approche apparaît avec Tranquility Extensions (Prolongement de la tranquillité) où dans une pénombre complice surgissent des formes bleutées réalisées avec des filtres de couleur. Rejoignant un univers onirique et pourtant très matériel, l’artiste conjugue histoires personnelles et hommage à sa mère. Enfin, dans la dernière salle, des extensions de silicone pendent nonchalamment, explorant le rapport entre pratiques sociales et volumes. La rigueur des conceptions se trouve contrebalancée par la forte poétique de l’ensemble alors que les contraires s’attirent en une sarabande inattendue.

 

  Se trouvent ainsi présentées deux créatrices, deux tempéraments, deux générations avec la même volonté d’explorer les méandres d’un art en devenir.

 

                                                                                                                               Christian Skimao

mardi 15 octobre 2024

 

Exposition collective Le futur est déjà là Symptômes du vivant #2

Associée à Chroniques, la Biennale des Imaginaires numériques.

Avec Donatien AUBERT, France CADET, Thierry COHEN, Heather DEWEY-HAGBORG, Bastien FAUDON, Mathieu GAFSOU, Esmeralda KOSMATOPOULOS, Ethel LILIENFELD, Maxime MATTHYS, Julien PRÉVIEUX, STELARC, VARVARA & MAR, Filipe VILAS-BOAS

Le Grenier à sel, Avignon

Du 5 octobre au 31 décembre 2024

 

                   

  


                

                       Déclinaison d'un futur au présent

 

  C’était mieux avant quand les technologies faisaient encore rêver. Peut-être…ou pas. Certains artistes émettent des doutes concernant l’évolution technologique comme Maxime Mathis et son projet 2091 : The Ministry of Privacy, qui parodie le travail de surveillance de la communauté ouïghoure par l’état chinois. De même, Heather Dewey-Hagborg propose un portrait-sculpture à partir d’analyses de matériel génétique. Julien Prévieux, prix Marcel Duchamp 2014 (10 ans déjà, donc un autre monde), avec Les inconnus connus inconnus questionne l’identité avec l’utilisation de la reconnaissance faciale. Où se trouve désormais la frontière brouillée entre la célébrité et/ou son invention ?

 

  D’autres continuent dans une sorte d’exploration ludique comme Filipe Vilas-Boas avec Dumb City / La peau de banane intelligente, une fausse peau de banane qui prend vie et bouge lorsque l’on s’approche d’elle. En contrepoint, The Punishment qui comme son nom l’indique représente un bras articulé en train de rédiger des lignes de punition, de façon préventive, comme un élève indocile d’autrefois. Questionnante monstration qui nous fait voguer à travers les siècles et qui débute avec le Pierrot écrivain d’André Soriano (première moitié du 20ème siècle), un automate à musique qui est la réplique ancienne de celui créé par la maison Vichy au 19ème siècle. Au recto, apparaît la figure romantique du Pierrot qui écrit à Colombine, au recto la vision des rouages constitutifs. Stelarc, artiste légendaire et historique, a toujours voulu aller plus loin dans la relation corps-machine : « Tous mes projets et performances se penchent sur l’augmentation prothésique du corps, que ce soit une augmentation par la machine, une augmentation virtuelle ou par des processus biologiques. » (Libération, 2007). Une vidéo de 1997 Parasite jouxte les éléments corporels augmentés, exposés sous vitrine, comme la fameuse troisième main. France Cadet, artiste remarquable et remarqué, œuvre également du côté de l’hybridation, se mettant en scène dans la « peau » d’un cyborg avec la série Robot mon amour.

 

Vidéo Parasite, Stelarc en action, 1997

   Beaucoup travaillent dans des directions multiples qui parfois se rejoignent. Ainsi Donatien Aubert, artiste de talent et théoricien, propose un ambitieux projet nommé Veille infinie qui comprend un certain nombre de réalisations comme son court-métrage en images de synthèse, au titre éponyme, mais aussi une installation très rétro Les profileurs profilés (Jeff, Elon et Mark) en noir et blanc avec des halos lumineux qui ne sont pas sans rappeler la scène de Metropolis de Fritz Lang avec la transformation de l’androïde. Sans oublier des blocs holographiques et des dispositifs sculpturaux qui demeurent à la fois inquiétants et séduisants. Esmeralda Kosmatopoulos a réalisé une quinzaine de paires de mains, réinterprétant celles de Bruce Nauman ; fixes, elles semblent pourtant vivantes dans la pénombre. Elle étudie ainsi la relation entre le corps humain et les appareils technologiques (téléphones portables). Enfin, Thierry Cohen (affiche de l’exposition) avec ses photographies Binary Kids s’interroge sur l’avenir de la jeunesse par rapport aux envahissantes nouvelles technologies.

 

  À l’étage, un film réalisé par Ethel Lilienfeld, EMI nous interroge sur la vie potentielle d’une influenceuse d’aujourd’hui, entre narration consumériste et réalité numérique. La force dramatique de l’ensemble se pare des éléments d’un décor réinventé, proche de Barbie. Mais nos modernes images de synthèse meurent aussi et que deviennent alors les êtres de chair et d’os ?

 

  En conclusion, deux titres d’ouvrages pourraient paradoxalement résumer l’ensemble : Surveiller et punir de Michel Foucault et La vie mode d’emploi de Georges Perec. Il semblerait qu’avec les avancées technologiques d’aujourd’hui, toute production légèrement antérieure dégage rapidement un parfum de nostalgie. Evoquerions-nous un futur presque dépassé par un présent toujours en avance ?

 

                                                                                                                                                    Christian Skimao

mercredi 9 octobre 2024

Exposition "La Haute Note Jaune", Fondation Vincent van Gogh, Arles, 2024-25

 

Exposition La Haute Note Jaune

 Avec Richard Artschwager, Paul Blanchet dit Le Sauvage, Louise Bourgeois, Vittorio Brodmann, Claude Cahun, Nina Childress, Martin Disler, VALIE EXPORT, Markus Gadient, Bruno Jakob, Asger Jorn, Martha Jungwirth, Karen Kilimnik, Verena Loewensberg, Albert Oehlen, Thomias Radin, Pipilotti Rist, Klaudia Schi­erle, Pierre Schwerzmann, Hyun-Sook Song, Vincent van Gogh, Dominique White

Fondation Vincent van Gogh, Arles

Du 5 octobre 2024 au 2 février 2025

 

 

Louise Bourgeois, Arch of Hysteria, bronze et patine polie,1993.

 

                              Le jaune dans tous ses états

 

  Une fois encore, Vincent se trouve en position centrale, avec son Lieur de gerbes (1889). Accompagné par VALIE EXPORT, la grande artiste autrichienne, qui ouvre l’exposition avec des clichés d’elle-même des années 1970, réutilisés en 2009, décadrés et colorisés partiellement en jaune (Jump). Un autoportrait en noir et blanc de la même époque la montre en train de présenter un paquet de cigarettes, celui qui donnera son pseudonyme. Elle s’achève sur les « peintures invisibles » de Bruno Jakob, sans jaune, sans rien, en apparence, mais avec la trace de l’eau et la possibilité de retenir toute l’énergie du monde. Rappelons la tradition chinoise d’écriture avec de l’eau qui s’évapore rapidement, sur une surface de pierre ou autre, laissant ainsi place à la force du fugace.

 

  Un grand nombre de peintures, plus ou moins figuratives, de grand format et de grande qualité se trouvent entre les deux artistes précités. Asger Jorn, avec des toiles des années 1960, rébellion colorée du membre-fondateur danois de Cobra, où les hurlements stridents des couleurs se marient à la pensée en action. Plus tardivement, Martin Disler s’occupe à mettre à mal le bon goût en une sarabande post-expressionniste. Cet artiste suisse, né en 1949, également écrivain, a eu sa première exposition à la Kunsthalle de Bâle avant de mourir en 1996. Une découverte pour certains, les travaux récents et passionnants de Markus Gadient qui travaille sur la notion de paysage de façon récurrente, entre couleur et grisaille. Martha Jungwirth expose de grandes toiles à partir d’une relecture de l’Asperge d’Édouard Manet en un superbe choc spatio-temporel. De somptueuses réalisations de Hyun-Sook Song, coréenne d’origine, vivant et travaillant en Allemagne, permettent de faire le pont entre les deux pratiques. Ses coups de pinceaux définissent un espace où l’objet acquiert une dimension nouvelle : mystérieuse, majestueuse et précieuse.

 

Martha Jungwirth, une des peintures de la série Edourd Manet L'asperge, 2023

  D’autres travaux s’inscrivent dans une abstraction au sens large avec Albert Oehlen et son triptyque réalisé à l’huile et à la laque sur Alubond. Ce recouvrement de jaune (qui pourrait être celui de la couleur de la poste allemande, comme le rappelle avec malice Bice Curiger dans son texte de présentation) ne manque pas de puissance puisqu’il se trouve surligné par des tracés noirs et remanié par une série de signes et de points : l’industriel au service de l’artisanal ? Caché dans un recoin, un petit portrait, très libre, de Van Gogh. Pierre Schwerzmann use du  trompe-l’œil avec brio. Ses œuvres froides et géométriques ne se trouvent point réalisées sur du métal, mais sur de la toile. L’effet obtenu oblige à reconsidérer les dates des œuvres et leur inscription dans une histoire de l’art décalée. Verena Loewensberg, la seule figure féminine de l’art concret suisse, se trouve mise en valeur avec sept toiles. Toute la rigueur du mouvement s’y retrouve, tempéré d’une certaine joie intérieure.

 

  Nina Childress, inclassable, propose des portraits réalisés avec des pigments phosphorescents dont Family of 24 (Ringo et Sheila entourés de peluches monstrueuses), les quatre portraits de Sylvie Vatan (2023), ou Genoux serrés et Bad genoux serrés. L’utilisation de torches spéciales demeurent indispensables pour découvrir les effets visuels de ces compositions pop, verdâtres en apparence et pleines de secrets.

 

  Côté volume, une œuvre de l’immense Louise Bourgeois, suspendue dans l’espace, Arch of Hysteria (1993), en bronze poli, corps féminin sans tête et en tension, qui interroge sur sa vie et ses obsessions. Richard Artschwager propose un gros point d’exclamation jaune très dynamique tandis qu’à l’étage une admirable sculpture de Dominique White nous attend, The Tortuous (La Tortueuse) de 2023. En acajou et fer forgé, une sorte de spirale pointue comme une lance s’élance vers le ciel tandis que sa base brisée nous invite à réfléchir sur la vanité des choses.

 

  Des portraits de Paul Blanchet dit Le Sauvage (1865-1947), émaillent la monstration. L’homme revenu de son service militaire au Sénégal décida de n’en plus faire qu’à sa tête, de raconter des histoires et de prendre des poses lors de saynètes comme un moderne performer. Il est né et a vécu à Saint-Rémy-de-Provence, n’a jamais rencontré Van Gogh, mais fait partie désormais d’une « légende dorée » laïque, donc jaune.

 

                                                                                                                                                    Christian Skimao

 

 

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PS  En 2007, Claude Viallat exposait à la Fondation Van Gogh (la première, que dirigeait alors Yolande Clergue) sous l’intitulé La haute note jaune. Je profite de cette correspondance pour saluer la mémoire de cette pionnière arlésienne, disparue récemment en septembre 2024.

samedi 24 août 2024

Expositions LUMA, Arles, Verzutti, Tiranavija, Metzger, 2024

 

Expositions LUMA, Arles

Erika Verzutti The Life of Sculptures, La Tour, galerie Est

Gustav Metzger, Chacun de nous, tous ensemble (Archives Hans Ulrich Obrist), La Tour, galerie du Cerisier

Rirkrit Tiranavija A LOT OF PEOPLE, Les Forges

Eté 2024

 

 

 

                               Trois rencontres improbables

 

 

  Se trouveront donc présentés ici trois artistes : une jeune artiste brésilienne connue internationalement, un artiste thaïlandais connu mondialement, enfin un artiste historique, à la fois très connu des spécialistes et peu connu du grand public.

 

Erika Verzutti, Tour d'oeufs avec actualités, 2024.

  Erika Verzutti, née en 1971, propose des travaux en volume de haute qualité, soutenus par une réflexion intellectuelle sur l’œuvre de Brancusi et qui possèdent une forte sensualité. L’utilisation du bronze, souvent peint, n’y est pas pour rien. Résultat d’une résidence à la LUMA, cette exposition ouvre encore de nouvelles perspectives à cette œuvre toujours foisonnante et questionnante. Des formes organiques comme les œufs surprennent beaucoup ainsi que l’utilisation de journaux enrobés dans la résine. Disons qu’elle interroge sa contemporanéité au travers de références détournées de l’art moderne. Ainsi fonctionne la série de « colonnes sans fin » de Brancusi, placées de façon horizontale, et qui pourraient alors envahir un autre espace. L’humour n’est jamais absent et semble rentrer en opposition avec la solennité du bronze, matériau qualifié de noble. Dans une autre série composée d’œuvres murales tridimensionnelles, parfois peintes, se met en place un système dialectique où le lourd semble léger et inversement. Enfin, une pièce centrale, Cemetery of Stars, semble présenter physiquement tous les concepts évoqués auparavant en une sorte de bric-à-brac proche d’un étalage de marché de rue. Posé à même le sol, il faut se pencher et en faire le tour pour picorer les multiples propositions de ce puzzle mental post-moderniste ou post-contemporain. À l’écart, dans une petite pièce, un film met en lumière, au sens le plus surréaliste du terme, diverses réalisations de l’artiste.

 

Rirkrit Taranajiva, untitled 1990 (pad thaï), ingrédients pour le pad thaï.

  Rirkrit Tiranavija , artiste thaïlandais, né à Buenos Aires en 1961, a commencé dans les années 1990 à mettre en place des happenings, souvent culinaires, dans des galeries d’art contemporain, nécessitant la participation des spectateurs et spectatrices. Le fait de manger ensemble devenait ainsi le départ d’un grand mouvement qui se nommera « l’esthétique relationnelle ». Nicolas Bourriaud, critique d’art et commissaire bien connu, avait publié en 1998, aux Presses du Réel, un essai au titre éponyme pour faire le point sur la question. Si le côté convivial demeure certain au niveau de l’actualité, la conservation des « œuvres » de ladite expérience commune pose un problème lié à l’absence de vie du matériel exposé. Heureusement, des vidéos témoignent de ces temps forts mais irrémédiablement passés, tandis que la préparation d’un café turc quotidien à 15 h permet toujours au public de participer à une nouvelle expérience relationnelle. Ainsi en va-t-il pour de nombreuses traces qui acquièrent un statut de reliques dans l’art contemporain. La reconstitution d’un atelier de réparation de parapluies, quelque part en Asie, nous accueille dès l’entrée, sorte d’inimitable bazar où tout se trouve finalement rangé très soigneusement. Nous nous trouvons donc plongés dans des préoccupations communes à beaucoup de gens. D’autres œuvres, plus différentes occupent l’espace. Une installation remarquable avec vidéo untitled 2025 (bangkok boogie woogie, n°2) montre des pneus en bronze recouverts de pétrole puis enflammés qui roulent dans une galerie vide. Cette protestation contre la répression organisée par l’armée thaïlandaise conjugue le fait politique avec la distance esthétique. Toujours dans le domaine de la remise en cause, une série de portraits de Mao Zedong, untitled 2014 (import-export) le montre avec le visage chromé et traversé d’ombres. Ainsi le portrait de l’ancien dirigeant devient un simulacre, absorbé par ce qu’il reflète. Force est de constater, paradoxalement, que la puissance du modèle continue d’irradier malgré tout.

 

Gustav Metzger, Liquid Crystal Environment (1965/2024), vue partielle.

  Gustav Metzger (1926-2017), né de parents juifs polonais à Nuremberg, a heureusement pu s’enfuir d’Allemagne et se réfugier en Angleterre en 1939. Il  s’inscrit dans la présentation des Archives Hans Ulrich Obrist. Créateur inclassable, toujours en ébullition, il participe à l’activisme dans les arts avec le manifeste Auto-destructive Art mais aussi dans le mouvement écologique naissant. Obrist a fini par le rencontrer à Londres et à le faire participer à diverses manifestations à la Serpentine Gallery. Des documents nombreux se trouvent à disposition dans la galerie du Cerisier tandis que plusieurs œuvres prennent place dans une salle conjointe, souterraine et obscure. Un travail de montré-caché existe avec des œuvres participatives comme Historic Photographs : To Crawl Into-Anschluss, Vienna, March 1938. Il s’agit de se glisser sous un drap jaune pour voir et sentir physiquement, par le biais d’une photographie en noir et blanc d’époque, agrandie, l’humiliation subie par des juifs autrichiens obligés de laver les rues à quatre pattes, après l’annexion de leur pays par les nazis. Une autre œuvre, très différente, Liquid Crystal Environment, enveloppe le public dans un écosystème vivant et immersif. Les études sur les cristaux liquides revêtent une grande importance pour l’artiste ainsi que la participation rêveuse de ceux et celles qui se laissent emporter, couchés sur des poufs moelleux, vers un monde coloré.

 

  Trois univers, trois artistes, trois rencontres…à suivre impérativement.

 

                                                                     

                                                                                                                                                 Christian Skimao   

 

 

 

 

mercredi 14 août 2024

Exposition Patrice Vermeille, Sommières, 2024

Exposition Patrice Vermeille

Peintures

Chapelle des Ursulines

Espace Laurence Durrell, Sommières

Du 9 août au 7 septembre 2024

 

Patrice Vermeille, Dystopies, 190x210 cm, acrylique sur toile, 2018

 

 

                                     Le cercle en quadrature

 

  Patrice Vermeille, né en 1937 à Nancy, a réalisé et réalise toujours une œuvre graphique, dessinée et picturale très particulière où chaque pratique se nourrit de l’autre. Utilisant des techniques anciennes et contemporaines, il propose une vision du monde qui intègre les contraires, pour « se situer en un lieu d’où les divers codes picturaux, depuis le Néo-Classicisme jusqu’au Suprématisme cessent de s’opposer », comme l’énonce avec pertinence, le critique et écrivain surréaliste José Pierre (1927-1999) . Il faudrait évidemment ajouter l’influence de la bande dessinée, incorporée dans son œuvre grâce à une intervisualité sophistiquée et évoquer cette étrange parenté formelle avec l’œuvre de Philippe Druillet. Une réflexion toute personnelle à propos du cosmos imprègne son approche, qualifiable de métaphysique. Cette complexité cultivée interpelle aujourd’hui, car une hybridation active se trouve à l’œuvre grâce à ses multiples points de repère.

 

  Le travail sériel occupe une grande place dans sa production. Ainsi, la série des Nids tourne autour du cercle et de son évolution glissant vers une rotondité proche d’un globe. Cette avancée vers une potentielle totalité (notre monde ou un autre univers) use aussi de références picturales inattendues comme la coupole en caissons du Panthéon à Rome, construite initialement par l’empereur Auguste et bien d’autres édifices italiens plus récents du Baroque. Cet effet de modélisation générale perturbe le regard, car Vermeille joue avec diverses techniques picturales (pinceaux, raclette, graffito, aérographe, etc.) Figures et décors s’entremêlent en un maelström quasi-existentiel. Deux stèles (2017) montre deux visages déconstruits et grimaçants qui semblent terminer chaque stèle rigide et longiligne. La possibilité d’un autre regard s’impose puisque nous ne nous trouvons pas dans un décor figé, mais dans une multitude de possibilités de vues. L’action du futur, entretenu par sa passion pour la science-fiction bouscule les codes de la stabilité et nous emporte vers une circulation moléculaire. Dans cet état de peinture, les personnages qui apparaissent dans Dystopies (2018) flottent dans un espace où les hachures du temps mettent à mal leur intégrité physique. Ces particules définissent un monde flottant où l’indistinct des sexes se mélange à la composition générale du décor. L’interpénétration entre les deux mondes nous amène dans cet espace autre, lié à une dimension primordiale et dont la peinture de l’artiste tente inlassablement de rendre compte.

 

  Patrice Vermeille poursuit tranquillement et inlassablement son travail d’alchimiste contemporain, créateur de mondes improbables et imbriqués, jalons de son interminable Quête.

 

 

 

                                                                                                                            Christian Skimao


mardi 6 août 2024

Les Rencontres de la photographie, Arles, 2024 (deuxième partie)

 

Les Rencontres de la photographie, Arles, 2024

Sous la surface, expositions dans toute la ville

Du 1er juillet au 29 septembre 2024

Deuxième partie

 

 

Katayama Mari, Shell, 2016. Exposition Arles, 2024

                                                  

                            Photographies photographiques

 

  Une vision impressionniste s’impose dans cette deuxième partie consacrée à la photographie plus traditionnelle, d’où cette redondance, dans l’esprit de la dénomination peinture-peinture, du titre de l’article.

 

  Profitons-en pour dédicacer l’ensemble de l’article à  Katayama Mari, photographe héroïque, présente dans la grande exposition Quelle joie de vous voir (Photographies japonaises des années 1950 à aujourd’hui) au palais de l’Archevêché. Née en 1987, avec diverses malformations, elle a subi une amputation des deux jambes à l'âge de neuf ans. Elle a utilisé cette situation au travers de projets qu'elle crée avec ses prothèses, des objets brodés, des cadres rehaussés de coquillages et des autoportraits. Le rapport entre l’image du corps handicapé et le côté parfois mignon (« kawaii ») des accessoires crée un choc évident. Cette mise en abyme vertigineuse nous oblige à nous connecter à l’altérité grâce à un talent exceptionnel qui défie les normes. Retenons également l’élégance des compositions de Yamazawa Eiko (1899-1995) qui travaille des compositions abstraites proches de la peinture. L’Occident et l’Orient se rejoignent avec son approche duelle de l’épure des formes.

 

  Deux autres expositions de taille importante trouvent retenues. La première, une rétrospective de Mary Ellen Mark (1940-2015) qui a beaucoup travaillé sur et avec les oubliés des l’Amérique, que ce soit des travailleurs, des femmes placées en institution à l’Oregon State Hospital (Ward 81) ou encore des familles à la dérive (l’extraordinaire cliché The Damn Family in their Car de 1987) sans oublier l’incroyable série sur le Ku-Klux-Klan. Elle s’inscrit dans une filiation historique avec l’œuvre de Dorothea Lange. La seconde concerne la collection d’Astrid Ullens de Schooten Whettnall (Fondation A) avec Quand les images apprennent à parler, à La Mécanique Générale (LUMA). Sa fondation, de droit néerlandais, a procédé à des achats sériels auprès de très nombreux artistes ; on trouvera ici des œuvres allant, par ordre alphabétique, de Robert Adams à Garry Winogrand. On sait combien la déclinaison d’un sujet a structuré le travail et la pensée de Bernd et Hilla Becher, pour citer les plus célèbres du genre, mais de nombreux autres photographes ont exploré cette voie. La révolution visuelle qui en découle depuis les années 1960 change désormais toute notre perception de l’image.

 

  Autre point de vue, celui de Nicolas Floc’h à la Chapelle du Méjean avec Fleuves Océan. Le paysage de la couleur. Mississippi. Une approche très surprenante qui conjugue recherche scientifique sur la couleur des eaux du bassin du grand fleuve au travers d’une sélection d’une dizaine des 224 colonnes d’eau sur autant de sites couvrant 31 États et photographies de paysages en noir et blanc. Cette rencontre surprend au premier abord, pour ne pas dire davantage, avant de séduire très fortement. L’abstraction et la figuration tiennent lieu d’espaces de rêverie en un mariage fluvial où se meut toute une mémoire oubliée des Etats-Unis.


  Concernant Christina de Middel, à l’Eglise des Frères Prêcheurs, son Voyage au centre propose une traversée migratoire du Mexique (Tapachula) aux USA (Felicity). Cette traversée vers la Californie, rêvée, se trouve magnifiée par des photographies réelles et des images inventées. L’oscillation existant entre la dureté du voyage, la notion de traversée et la déception inhérente à cette odyssée marque durablement les esprits.

 

Photo de Rajesh Vora, exposition Arles 2024

  Beaucoup d’autres expositions n’ont pas trouvé leur place ici. Pour le plaisir, n’oublions pas le travail de Rajesh Vora, Baroque du quotidien, pour les monumentales sculptures (avions, tanks, soldats, sportifs, etc.) qui ornent les toits des maisons du Penjab, à la Maison des Peintres. Une recherche qui flirte avec la sociologie, l’art populaire, les inconscients de tous ordres et aussi le kitsch ostentatoire.

 

                                                                                                                     Christian Skimao