lundi 31 mars 2025

Exposition "Les Historiens du futur" de Léo Fourdrinier, Lattes 2025

 

Site archéologique Lattara-Musée Henri Prades, Lattes

Exposition Les Historiens du futur de Léo Fourdrinier

Du 25 janvier au 30 juin 2025

 

 

Vénus, Léo Fourdrinier, exposition "Les Historiens du futur", 2025

 

                                         Yamaha mon amour

 

 

 Nous ne pouvions faire l’économie de cette allusion à Hiroshima …, titre d’un film célèbre d’Alain Resnais, scénario écrit par Marguerite Duras, sorti en 1959 qui nous entraîne d’emblée dans l’Histoire et les histoires des deux protagonistes. L’exposition de Léo Fourdrinier, produite dans le cadre des expositions réalisées par le MO.CO. Montpellier Art Contemporain avec le Musée Henri Prades, s’inscrit dans une sorte de glissement du futur dans notre passé. L’oeuvre installée à l’entrée, Vénus (2024), mixe des parties de moto Yamaha, avec du marbre de Carrare, de l’acier, et de la résine. Ainsi la notion d’hybridation se trouve énoncée d’emblée tandis que s’établissent les correspondances avec ces « historiens du futur ».

 

Léo Fourdrinier, exposition "Les historiens du futur", 2025

  Dans les diverses salles, une tribu de motards ou plutôt leur représentation deviennent les archéologues de nos illusions perdues. Cette collaboration voulue entre vieilles pierres, combinaisons plus ou moins clinquantes, récits antiques et modernes, crée un cocktail détonant et extrêmement contemporain. Ces personnages, revêtus de combinaisons de cuir, chaussés de bottes ou de chaussures de ski, sans visage visible, puisque cachés derrière les visières plus ou moins surdimensionnées de leurs casques, semblent comme disséminés. A la recherche d’une eau disparue (celle du port de Lattara ?), quête philosophique ou triviale réalité d’un monde qui nous guette, ils ne possèdent ni sexe défini, ni hiérarchie apparente. Seuls deux enfants « cosmonautes », (fille et garçon, ou pas), avec une bannière siglée « Love », rompent ce bel ordonnancement des chercheurs en train de chercher. Nos historiens, harnachés de reproductions archéologiques diverses, surtout des moulures de visages antiques, se trouvent aussi reliés à des néons énergisants. Assis nonchalamment, postés en hauteur, accroupis trivialement sur une mosaïque antique, en train de se réunir autour d’une véritable moto Kawasaki (infidélité donc à la Yamaha précitée), dans un décor d’amphores, de jarres, de pots de statues et de bas-reliefs, ils ressemblent à des cueilleurs-guetteurs en train de suivre les dernières traces d’un monde perdu. L’utilisation de la  science-fiction apparaît à la fois très forte mais aussi très parodique. La littérature pourrait nous permettre de situer cette monstration dans le domaine de l’antiquité revisitée, autour de l’œuvre d’un grand auteur français, quelque peu oublié aujourd’hui, Alain Nadaud (1948-2015), influencé par l’imaginaire de Jorge Luis Borges.

 

Léo Fourdrinier, "Les Historiens du futur", 2025



  En tout cas, Léo Fourdrinier possède un sacré sens de la mise en scène et un grand talent pour saisir nos enjeux sociétaux. L’ensemble fonctionne à merveille au travers de ce syncrétisme historique, avec une élégance teintée d’émotion.

 

                                                                                                                                            Christian Skimao

 

 

mardi 18 mars 2025

Exposition Francesca Caruana "Rétrovisions", Centre d'art contemporain, Perpignan, 2025

 

Exposition Francesca Caruana Rétrovisions

Centre d’art contemporain àcentmètresducentredumonde, Perpignan

Du 8 mars au 19 avril 2025

 

 

Francesca Caruana, série des Nymphes, vue partielle, ACMCM, Perpignan, 2025

 

                                                 

                              L’épissure et l’épicentre 

 

    La dénomination de  rétrospective marque toujours un temps d’angoisse pour chaque artiste en raison de la perception d’un temps possiblement clos. La notion de « Rétrovisions » change la donne puisque l’arrière se trouve toujours perçu, tandis que l’avenir reste à découvrir. Ainsi en va-t-il de cette grande exposition, dénommée avec malice et finesse, qui propose cent soixante pièces, du milieu des années 1970 à 2020.

 

  Francesca Caruana demeure singulière et plurielle, artiste polymorphe et intellectuelle brillante qui a également enseigné à l’université, lui apportant ainsi une double ouverture extrêmement productive. D’emblée, le temps et l’espace nous interrogent dans son parcours ainsi que les techniques utilisées, allant du dessin à la peinture, en passant par l’installation. Si des œuvres des années 1970 nous sont présentées comme Matière grise (1976), elles font référence à une construction surréalisante, tout en opérant une déconstruction du sujet oiseau. L’effilochement des plumes va conduire au thème central de l’épissure que l’on retrouve dans le dessin au crayon des séries Cordes, dont Corde (2011) tandis que ses Nymphes continuent dans cet optique, mais en privilégiant des pubis féminins. Elle impose ainsi une visibilité du caché dans le cadre d’une approche féministe.

 

  Les Diablitos des années 1990 annoncent la thématique de l’eau au travers de peintures ondoyantes aux couleurs vives. Si la référence initiale demeure l’aérienne circulation des motifs des robes du sud, elles nous portent vers un monde mouvant, horizontal et vertical, au risque de se perdre dans les méandres liquides. Elles pourraient annoncer les travaux récents sur le support papier-bulles qui mettent en branle des vagues marines ou suggérées. L’utilisation de radiographies dans l’espace pictural ouvre sur une nouvelle interaction. Ainsi des réalisations comme Courir, radiographie et pigments et Respirer, radiographie et fusain sur papier (2013), convoquent la présence d’une interaction entre l’envolée de tracés gestuels et l’apparition fantomatique de parties du corps. Une grande composition murale composée de radios avec des dessins très stylisés, constitue une suite avec des figures ressemblant à des graffitis pariétaux.

 

Francesca Caruana, série des Masques, et autres oeuvres, vue partielle, ACMCM, Perpignan, 2025


  Elle a travaillé avec les artistes Kanak de Nouvelle-Calédonie, où elle a réalisé une exposition au Centre Tjibaou de Nouméa. En France toujours àcentmètresdumonde, en 2015, son exposition RECTO/OTCER continuait cette exploration culturelle. La série des Masques, avec Masque ethnique (2016) présente de grandes toiles, d’une grande puissance, qui interrogent l’altérité, dans des compositions figuratives, servies par une relecture de l’histoire des arts. Plus proche de nous, la dimension tauromachique se décline avec des volumes comme Ennemi de luxe (2016), une sculpture en os, peinte en rouge, représentant une tête de taureau et qui pourrait se trouver mise en relation avec deux dessins stylisés, également de têtes de taureau, très élégants, Toros pequenos (2010).

  Impossible d’évoquer toutes les œuvres qui apportent des éclairages différents, les Bois dormants et les Bois migrants par exemple, où la peinture abstraite répond à son vis-à-vis en forme de véritable bâton peint. Sans oublier l’importance du concept de « peintures installées », développé par la créatrice où des objets posés au sol complémentent l’espace vertical du regard. Les fils dénoués se renouent mentalement au fur et à mesure de cette exploration du tracé, de la gestualité et de la spatialisation. Francesca Caruana possède le talent d’avancer sans cesse, narrant et peignant sa vision d’un monde ouvert et palpitant, en total désaccord avec cet esprit du temps qui prône la fermeture et le repli sur soi.

 

                                                                                                                                                        Christian Skimao

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

lundi 3 mars 2025

Exposition Sigmar Polke, Fondation Vincent van Gogh, Arles, 2025

 

Exposition Sigmar Polke

Sous les pavés, la terre

Fondation Vincent van Gogh, Arles

Du 1er mars au 26 octobre 2025

 

 


Sigmar Polke, Atemkristall, 1977, 280 x 350 cm. Collection Speck, Cologne.©The Estate of Sigmar Polke, Cologne. Adagp, Paris, 2025. Photo Frank Sperling.


 

                       Une boulimie d’images


 

  L’exposition Sigmar Polke (1941-2010), représente un grand moment pour la Fondation Van Gogh, mais aussi pour Bice Curiger, qui a connu l’artiste depuis 1974. Elle organise ici, en compagnie de Margaux Bonopera, un vaste panorama des productions tant plastiques que photographiques du grand artiste allemand, achevant le circuit de visite avec un film qui présente sa dernière œuvre, les vitraux en agate et tourmaline de la Grossmünster de Zurich.

  Né en Silésie allemande, Polke est arrivé en RFA en 1953, après avoir fui la RDA avec ses parents, comme bon nombre de futurs artistes de sa génération, dont Gerhard Richter. Il va commencer une formation de peintre sur verre dans le domaine du vitrail, avant d’intégrer la fameuse Kunstakademie de Düsseldorf.

   Rien ne se perd, tout se transforme chez Polke, comme en témoigne Kartoffelhaus (Maison aux pommes de terre), 1967-1990, qui résonne avec les toiles de Van Goh, Travail des champs et Panier de pommes de terre, datées de 1885. Ce tubercule, à la fois symbolique et réel, flirte avec l’Arte Povera au niveau de la cabane, tout en s’inscrivant dans une contestation du Pop art américain au travers de cette « matérialité » grise de l’après-guerre en Allemagne. Une toile comme Atemkristall (Cristal d’un souffle) de 1997, titre d’un poème de Paul Celan, nous entraîne vers une fragmentation et une superposition des images donnant naissance, avec l’apparition d’un dessin enfantin, à une complexité ambiguë. L’utilisation d’une résine synthétique et feuille d’or sur polyester, montre l’interpénétration de référents anciens et d’une modernité en devenir.

  Si Polke a expérimenté une grande variété de matériaux et de techniques, souvent utilisées différemment dans le monde la peinture, il a voulu se propulser vers un ailleurs multidirectionnel, mais en deux dimensions. Klavier (Piano), 1982-1986, réalisée avec de la résine synthétique, du pigment et de la laque sur tissu, lui permet d’opérer une déstructuration de l’image. Flüchtende (Fugitifs) 1992, deux personnes en train de franchir le Mur à Berlin, donc une œuvre à la fois politique et personnelle, se sert d’une photographie pour aboutir à une toile à l’acrylique et résine sur tissu. Prêtée par Carré d’Art à Nîmes, elle met également en lumière le travail de Guy Tosatto, ancien et brillant conservateur de ce lieu, qui a ensuite beaucoup contribué à défendre le travail de Polke au musée de Grenoble.

Sigmar Polke. Palermo, Les catacombes,1976. Ensemble de cinq photographies uniques, 105x85 cm chaque. Coll. Sandra Alvarez de Toledo, Paris.©The Estate of Simar Polke, Cologne/ AdagpParis, 2025.



  Beaucoup de photographies montrent la volonté de l’artiste d’exploser et d’explorer ce medium. Des coulures apparaissent sur les clichés, d’autres souffrent de surexposition, de cadrages plus ou moins improvisés, etc. Disons que tous semblent en cours de métamorphose. La série, fort rare de Palermo, Les catacombes, 1976, ensemble de cinq photographies uniques représentant des cadavres momifiés, en habits de ville, frappe par la puissance qui s’en dégage et ouvre sur un espace surnaturel où l’art devient une sorte de révélateur. Enfin des vidéos se trouvent au dernier étage, avec divers moments de la vie de l’artiste en un tourbillon, à la fois privé et artistique. Tout dans cette superbe exposition, montre le foisonnement et la continuelle recherche d’un artiste intranquille, toujours sur la brèche.

 

                                                                                                                              Christian Skimao

 

mardi 25 février 2025

"Metempsychosis" d’Ivana Bašić, MO.CO Panacée, Montpellier, 2025

Exposition Metempsychosis d’Ivana Bašić (Saison Art et Science)

MO.CO Panacée, Montpellier, du 15 février au 18 mai 2025

 

 

Ivana Bašić, Passion of Pneumatics, 2020-2024. MO.CO. Panacée, 2025.© Ivana Bašić. Courtesy de l’artiste. Photo : Marc Dommage.

                         

          Plongée dans les profondeurs de l’être

 

 

 

  Ivana Bašić, artiste d’origine serbe, née en 1986 à Belgrade, vit et travaille à New York aux États-Unis. Son exposition à la Panacée qui suit celle du Schinkel Pavillon de Berlin en 2024 comprend plus d’une vingtaine d’œuvres, dont certaines monumentales. Le traumatisme subit par l’artiste dans son adolescence, durant la guerre qui a conduit à la dislocation de la Yougoslavie, demeure en arrière-fond de son approche.

La première œuvre visible, Passion of Pneumatics (2024), s’étend sur presque sept mètres de long. La référence au Cœur immaculé de la Vierge Marie dans la peinture italienne de la Renaissance se trouve transposée ici en un martèlement de marteaux pneumatiques sur une pierre qui doit devenir poussière. Les mouvements de ces derniers se trouvent synchronisés avec la cadence de respiration de la créatrice, faisant ainsi référence au « pneuma », en grec ancien, le souffle. Cette notion évoque également l’esprit ou l’âme dans une acception philosophico-religieuse. L’ensemble de la structure se compose de matériaux en acier inoxydable, mais aussi de cire, de verre soufflé, d’albâtre rose qui donnent naissance à des formes difficiles à définir, comme des fluides utérins ou des corps d’insectes. Comme le dit Ivana Bašić : « Chaque sculpture est une réflexion sur la transformation et la continuité de l'âme. J'utilise une variété de matériaux pour créer des pièces qui sont à la fois visuellement saisissantes et conceptuellement riches. »

  La matérialité même des œuvres ouvre sur un champ spirituel assez foisonnant. D’autres réalisations, moins imposantes, prennent place dans d’autres salles. La plupart du temps, on se trouve en présence d’entités en partie humaine et en partie proche des insectes, mais à chaque fois déclinés de façon différente. Si la référence formelle pouvait évoquer la créature du film Alien et surtout ses métamorphoses depuis sa naissance, Ivana Bašić introduit des organes intérieurs visibles qui symbolisent des fœtus ou des êtres en devenir. Une sculpture intitulée I had seen the centuries, and the vast dry lands; I had reached the nothing and the nothing was living and moist (2018-2024) représente une mante religieuse se transformant en chimère. Les pattes en inox portent une sorte de fœtus en transformation. La fixité des pièces laisse paradoxalement la porte ouverte à toutes les transformations.

  L’existence d’un baroquisme mâtiné de science-fiction a parfois lieu de surprendre. Cette plongée dans notre propre disparition, sans doute liée à notre potentielle renaissance, oblige à beaucoup d’humilité. Pourtant, les monstres physiques, saisissants par leur beauté trouble, ne sont rien par rapport à leurs doubles psychiques. L’art demeure toujours le vaste champ des questionnements existentiels.

                                                                                                                      Christian Skimao

                                                                                                                                  

mardi 18 février 2025

Exposition "Éprouver l’inconnu", MO.CO. Montpellier Contemporain, 2025

 

Exposition Éprouver l’inconnu (Saison Art et Science)

Exposition collective avec Isabelle Andriessen, Art Oriente Objet, Verdaguer & Pejus, Hicham Berrada, Morgan Courtois, HR Giger, Joey Holder, Tishan Hsu, Cooper Jacoby, Funchal Kim, Josh Kline, Roy Kohnke, Kinke Kooi, Tetsumi Kudo, Emma Kunz,Candice Lin, Pei-Ying Lin, Špela Petrič, Dimitris Stamatis & Jasmina Weiss, Mary Maggic, Guadalupe Maravilla, Nam June Paik, Jean Painleve, Bernard Palissy, Eduardo Paolozzi, Luboš Plny, Lea Porsager, Josephine Pryde, Victorien Sardou, Jeremy Shaw, Kiki Smith, Alina Szapocznikow, Haena Yoo, Anna Zemankova.

Et les collections scientifiques de l’Université

MO.CO. Montpellier Contemporain, du 15 février au 18 mai 2025

 

           

Joey Holder, Charybdis, vue partielle. Exposition MO.CO. Montpellier 2025

                          

 

                    Croisements insolites

 

  Cette grande exposition propose une sorte d’hybridation, tant au niveau des œuvres, la plupart provenant d’artistes actuels, mais aussi d’artistes très historiques (Bernard Palissy, par exemple), d’autres provenant des réserves de la Faculté de médecine, du Jardin Botanique, et de diverses institutions scientifiques de Montpellier. Cette collaboration se retrouve aussi avec la double rédaction des cartels, comprenant une partie bio-artistique habituelle et un commentaire d’accompagnement nommé « Regard scientifique » rédigé par des universitaires du Comité de pilotage des instituts de recherches concernés.

 

  D’emblée, nous interpelle une réalisation flamboyante de Joey Holder avec Charybdis (2025). Elle travaille sur les cryptozoologies, l’étude de créatures dont l’existence ne peut être encore prouvée actuellement. Sur ses écrans défilent des animaux complexes et fantastiques, animés d’une vie potentielle. Le glissement progressif entre données réelles et résultats irréels crée un effet de sidération poétique des plus impressionnants. Yunchul Kim propose également une machinerie complexe de grande taille nommée Dust of Suns II (2022). Si la beauté scintillante de sa réalisation apparaît de suite, il ne faut pas négliger sa pensée en action. Ses poussières se déclinent avec des soleils en une relecture de l’infiniment grand et de l’infiniment petit. Hicham Berrada propose un envoûtant voyage bleuté, au travers de cinq vitrines en verre où s’épanouissent des jasmins. Cette installation, Mesk ellil (2015), montre ce qui n’est pas vu de la croissance des plantes puisqu’il inverse le cycle lumineux et nous transporte au clair de lune, quelque part au Maghreb.

 

  Pour quitter, momentanément la technologie, une sculpture en bronze de la grande Kiki Smith ouvre la monstration, Digestive System (1998-2024). Cet intestin montre la transposition possible entre la réalité du corps et de ses organes et une autre imagerie à définir. N’oublions pas le couple Berdaguer & Péjus avec leurs questionnantes Sculptures hystériques (2017) tandis qu’Isabelle Andriessen expose deux Ghouls (2024). Ses réalisations quelque peu cauchemardesques suintent de l’eau et se transforment de façon insidieuse mais irrévocable. Guadalupe Maravilla propose une série de Disease Throwers, de grandes pièces avec gong, issues des traditions d’Amérique latine qui serviraient à des cérémonies de guérison du cancer. Vrai ou faux l’ensemble demeure saisissant. Les odeurs existent aussi avec Morgan Courtois qui présente des fragments de corps stylisés en céramique, enduits de parfums inventés pour l’occasion. Cette évanescence, liée à la trivialité même de notre existence, ouvre sur une interrogation existentielle.

Guadalupe Maravilla, Disease Throwers, exposition MO.CO. Montpellier, 2025


    On trouve aussi de « grands anciens » disparus de l’art contemporain comme Nam June Paik, pionnier de l’art vidéo et ses télévisions très minimales ou encore Eduardo Paolozzi, précurseur du Pop Art britannique. Une mention spéciale pour l’œuvre graphique de H.R. Giger qui a permis à Ridley Scott de donner une dimension extraordinaire à son film Alien et rendre mondialement célèbre le fameux xénomorphe. Un volume, Passage (1971) tout à fait insolite, accompagne les esquisses. Depuis quelque temps déjà, l’apparition des œuvres du dessinateur designer, dans le monde des musées met en avant sa contribution au fantastique biomécanique. Enfin, des oiseaux naturalisés parsèment l’ensemble, ainsi que des squelettes floraux, provenant de la Faculté des Sciences de Montpellier.

 

  L’ensemble des œuvres et leurs interactions fournissent un copieux programme lors d’une visite qui ne pourra s’envisager de façon rapide. L’approfondissement des connexions obligera aussi à diverses recherches passionnantes mais chronophages pour celles et ceux qui voudront approfondir cette très riche thématique.

 

 

 

 

                                                                                                                                                         Christian Skimao

 

 

lundi 27 janvier 2025

Exposition "Roulé-Lavé", Won Jy, CACN, Nîmes, 2025

 

Exposition « Roulé-Lavé » de Won Jy

CACN, Nîmes

Du 24 janvier au 19 avril 2025

 

 


 

                               « Like a Rolling Stone » 

 

 

   Il semble tentant d’utiliser le titre de la chanson de Dylan pour illustrer cette réflexion sur l’exposition de Won Jy, artiste coréen, qui nous propose une démarche très questionnante. Cette notion de « pierre roulante » relève d’une expression coréenne qui présente celle qui roule et qui délogera celle qui se trouve figée, soit le mouvement même de la vie. Ainsi, Matelas se présente comme un lit de repos, mais en béton coulé contenant des pierres de calcaire et de granite. Il associe également les galets avec la figure de l’étranger, « gharib » en arabe. Ces migrations sont suivies par Won Jy qui participe à divers collectifs de soutien et connaît personnellement cette notion de déracinement. Ainsi Chaussures de hammam, œuvre réalisée avec des chaussures aspergées d’un enduit de façade, reprend de véritables artefacts abandonnés par leurs occupants temporaires, changeant ainsi de statut. Il n’hésite donc pas à connaître les lieux de provenance, les personnes et les conditions difficiles de celles et ceux qui passent et s’évanouissent ensuite dans d’autres refuges temporaires des métropoles.

 

    Le début de la visite s’effectue devant une pierre fendue, sur un socle, malicieusement nommée Origine du monde, en raison d’une ressemblance anatomique fort visible avec la toile de Courbet, le titre de l’exposition, Roulé-Lavé, tracé sur le mur blanc. Cette référence au monde du bâtiment concerne des graviers de construction. L’intitulé flirte avec la destruction qui produit un autre type de graviers. En fait Won Jy propose un subtil processus de déconstruction de nos schémas de pensée avec l’utilisation de matériaux pauvres, présents en quantité énorme et qui ne se voient plus. En effet, certains de ses travaux prennent place dans la réalité même des chantiers de démolition du quartier Pissevin. Ainsi apparaît Fontaine, grâce à un nouvel assemblage  de rebuts de forte taille, permettant de mimer les ouvrages baroques avec leurs bassins multiples. L’importance de l’eau comme lieu de transformation a également une grande importance dans son approche globale.

 

Won Jy, "Fontaine", CACN, 2025

  Les réalisations de l’artiste éclectiques comprennent un autre type d’approche, plus surprenant encore, celui de la mise en scène de pigeons morts. Des œuvres nommées génériquement Columbarium, contiennent une dépouille de pigeon incluse dans une résine époxy. Un parallèle formel pourrait s’établir avec la démarche de Tony Grand et ses poissons inclus dans le stratifié polyester. Parfois, les pigeons se trouvent dans des boîtes en plastique et se fondent peu à peu dans la terre contenue à l’intérieur. Il n’y a rien de morbide dans cette mise en scène, mais plutôt un regard interrogateur sur l’éternel recyclage des choses et des êtres. Là encore, les événements et le vécu du créateur s’inscrivent dans une analyse de la perception du pigeon dans notre société, mal aimé, souvent pourchassé, parfois même exterminé.

 

Won Jy, Columbarium, CACN, 2025

  Won Jy, oscillerait-il donc entre la terre (gravats) et le ciel (pigeons) ? En fait non, sa perception nous oblige toujours à nous tourner vers le sol. Pour regarder une vidéo, des bancs en granito nous forcent, non pas à s’asseoir, mais à se poser à même la pierre, car ils ne possèdent pas de pieds de soutènement. Les animaux ailés ne se trouvent pas en train de voler, mais reposent, morts, dans la terre ou dans leur gangue de résine. Cette humilité, non feinte, permet de changer la perception des choses et de nous questionner sur le point de vue humain. Il y a bien longtemps, les anciens quadrupèdes ont marché sur leurs deux jambes dans la savane et ont conquis le monde. Pourtant seuls demeurent les gravats après l’écroulement de leurs tours orgueilleuses. Won Jy nous enseigne la grandeur du peu. Dont acte.

 

                                                                                                                                                        Christian Skimao

 

 

 

 

 

mercredi 22 janvier 2025

Exposition "Même les soleils sont ivres", Collection Lambert, Avignon, 2025

 

Exposition « Même les soleils sont ivres »

Histoires de vent, Collection Lambert Avignon

Du 18 janvier au 25 mai 2025

Dans le cadre des célébrations Avignon, Terre de culture(s)

Avec Francis Alÿs, Massimo Bartolini, Céleste Boursier-Mougenot, Mircea Cantor, Martin Creed, Laurent Derobert, Jean Epstein, Spencer Finch, Susanna Fritscher, Claude-Marie Gordot, Henriette Grindat, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, Roni Horn, Joris Ivens, Joan Jonas Zilvinas Kempinas, Perrine Lacroix, Julie Rousse, Joseph Vernet, Auguste Vidal, Lawrence Weiner

 

 

Céleste Boursier-Mougenot, Prototype pour scanner, Collection Lambert, 2025

 

    Le vent du désir souffle dans nos regards

 

  L’exposition décline la thématique du vent avec brio et éclectisme. Elle emprunte son titre à une phrase d’Albert Camus extraite de La Postérité du soleil, chez Gallimard, ouvrage réalisé dans le Vaucluse avec la photographe Henriette Grindat, et préfacé par René Char. De nombreux artistes de diverses époques prennent place dans les salles (sous-sol, rez-de-chaussée et premier étage) parmi des textes qui eux aussi semblent voler autour de nous. L’aérien semble parfois léger, parfois tumultueux, se situant entre brise et tempête, sur une échelle de Beaufort quelque peu fantasmée.

  L‘installation de Céleste Boursier-Mougenot, Prototype pour scanner (2006) irradie d’une grande charge poétique. Un ballon muni d’un micro se déplace dans la salle tout en inventant des compositions spa­tiales et musicales. La technologie rencontre le charme des variations aériennes en un ballet toujours recommencé. Cette légèreté se poursuit avec une création sonore électroacoustique de Julie Rousse dans la cour de l’hôtel de Montfaucon. Susanna Fritscher a installé au plafond d’étranges structures constituées de tubes mécaniques qui produisent des harmo­niques grâce à l’air qui les traverse nommées Flügel Klingen (2017). La vitesse de rotation et le son varient continuellement produisant un effet de haute intensité pour notre appareil auditif.

  Une des œuvres les plus imposantes se trouve à l’étage avec Zilvinas Kempinas et ses seize fontaines sises au sol, Fountain (2011-2013). Animées par un mouvement aérien grâce à des ventilateurs et composées de bandes magnétiques qui flottent, elles entrent ici en résonance avec le Rhône et le mistral local. Au même endroit, sur le mur, Lawrence Weiner a réalisé ÉCRIT SUR LE VENT/WRITTEN ON THE WIND (2013) reprenant son travail plastique d’écriture.

Zilvinas Kempinas, Fountain, Collection Lambert, 2025


  Le cinéma se trouve également présent avec des réalisations très différentes. Un film de Jean Epstein, Le tempes­taire (1947), est un court métrage en noir et blanc, assez énigmatique, où une jeune fille consulte un mage qui maîtrise les tempêtes. Une vidéo de Joan Jonas, Wind (1968), où des artistes réalisent des performances, comiques ou tragiques, orchestrées par le vent et la neige. Francis Alÿs, lui, tente d’entrer dans le tourbillon des tornades au Mexique et transcrit cette démarche dans une vidéo datée de 2010. Perrine Lacroix avec Winfried (2013) filme un voile blanc qui cache la tragique aventure de Winfried Freudenberg, qui avait quitté la DDR en mars 1989, quelques mois avant la chute du mur, avec un ballon artisanal et avait trouvé la mort dans cette tentative de passer à l’Ouest. Enfin l’admirable réalisation de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, Histoire du vent, à l'occasion du festival d'Avi­gnon en 2010. D’un côté, apparaissent des scènes de théâtre au palais des Papes, avec le vent en protagoniste qui sublime ou déstructure les pièces, de l’autre des gens du théâtre qui parlent de cette expérience.

  Pour finir, la première œuvre qui ouvre l’exposition, une sorte de caisson de Massimo Bartolini, In a Landscape (2017) qui comprend un orgue jouant les dix premières mesures de la célèbre pièce musicale éponyme de John Cage. Sans oublier les installations minimales de Roni Horne et Spencer Finch qui dialoguent avec l’œuvre d’Emily Dickinson. Le matériel et l’immatériel s’épousent en des retrouvailles qualifiables d’inspirées, expirées ou aspirées.

 

                                                                                                                                                        Christian Skimao