lundi 12 mai 2025

Exposition Marina Lassnig, LUMA Arles ,2025

 

Archives Hans Ulrich Obrist

Exposition Maria Lassnig “Vivre avec l’art empêche de se faner », La Tour, galerie des Archives, galerie du Cerisier, niveau -2, LUMA, Arles

Saison 2025, ouverture en mai

 

 

Maria Lassnig, Früstück mit Ohr (Petit-déjeuner avec oreille), 1967. LUMA 2025.

 

                                                Éclectismes (partie 2)

 

   Retour à la peinture avec une importante présentation d’œuvres de Maria Lassnig  (1919-2014), grande créatrice autrichienne qui s’inscrit dans une peinture très particulière, à la fois expressionniste et surréaliste, mais qui penche aussi du côté de l’informel et la Nouvelle Figuration. L’importance de son engagement féministe se traduit par une mise en scène de sa propre personne, sans aucune complaisance, en utilisant souvent des couleurs criardes, exprimant à la fois la dureté des temps et une certaine hostilité du milieu où elle vit. Elle a beaucoup pratiqué l’autoportrait qui repose sur la notion de « conscience corporelle » qui peut se traduire par le fait qu’elle peint, non pas ce qu’elle voit, mais ce qu’elle ressent au travers des parties de son corps. Ce subjectivisme ne demeure néanmoins pas à l’état de rêverie mais apparait comme le moteur d’un activisme tous azimuts. 

 

Maria Lassnig, Selbst als Almkuh (Moi-même en vache alpine), 1987. LUMA 2025.

  Avec Selbst als Almkuh (Moi-même en vache alpine) de 1987, se met en place une fusion de la nudité de l’artiste avec la silhouette d’une vache alpine à cornes. Elle inscrit son propos dans une relecture mythologique sous-jacente tout en gardant une ironie constante par rapport à cette interprétation trop éthérée, car la vache pourrait être aussi un animal doué d’une intelligence limitée. Par contre au niveau de la figuration, nous nous trouvons face à un autoportrait féminin aux seins nus : naturisme ou naturalisme ? La forme générale demeure dans le registre du grotesque tout en évoquant un fort sentiment de puissance qui l’autonomise par rapport à un regard masculin. Enfin, les couleurs pastel apportent une gaieté inattendue évoquant une plaisanterie sur fond d’alpages autrichiens de sa jeunesse, tout en optant pour des tracés assez bruts. Elle est intervenue dans le domaine de l’animation avec un film comme Selfportrait (1971), où sa tête, peinte au feutre, chante en anglais avec un très fort accent autrichien. La présentation de ses désirs et de sa quête éternelle se trouve tournée en dérision par elle-même, une approche très parodique, proche du style d’une chanteuse de cabaret des années 1930.  Maria Lassnig recevra conjointement avec Marisa Merz, le Lion d’Or de la Biennale de Venise en 2013. Hans Ulrich Obrist a été frappé à 17 ans par sa rencontre ans avec elle dans son atelier de Vienne. Il a continué à la défendre et à mettre en avant son travail, tant au niveau critique qu’à la Serpentine Gallery de Londres. Des affiches d’exposition, des entretiens vidéo entre eux deux ainsi que leur correspondance, classée chronologiquement, complètent l’ensemble.

 

 

                                                                                                                                                        Christian Skimao

 

Exposition E.A.T. , Luma Arles, 2025

 

Exposition Sensing the Future : Experiments in Art and Technology (E.A.T.), La Tour, galerie des Archives vivantes, LUMA, Arles

Saison 2025, ouverture en mai

 

 

Photographie du Pavillon Pepsi à Osaka en 1970, au fond. LUMA Arles, 20025.

 

                                            Éclectismes (partie 1)

 

 

  Évoquons d’abord Sensing the Future : Experiments in Art and Technology (E.A.T.), exposition historique qui bénéficie du soutien du Getty Research Institute. La convergence de pensée de divers acteurs a permis la mise en place d’un soft power traduisant l’euphorie technologique et artistique de ces années 1960 et 1970. Dans un cadre extrêmement collaboratif entre ingénieurs, artistes, industriels, et penseurs, E.A.T. a été fondé en 1966 aux USA par Billy Klüver et Fred Waldhauer, ingénieurs aux Bell Telephone Laboraties ainsi que par des artistes, et non des moindres, comme Robert Rauschenberg et Robert Whitman. L’acmé des réalisations se trouve atteinte avec la création du pavillon Pepsi à la Foire internationale d’Osaka au Japon, en 1970. Les défis technologiques se trouvent présents à tous les niveaux ainsi que les enjeux artistiques. La création d’un brouillard d’eau qui enveloppe le dôme blanc à facettes, par la japonaise Fujiko Nakaya, offre une aura particulière à l’ensemble, tout en lançant une nouvelle forme de sculpture écologique. Un exemple de son approche très spectaculaire nous enchante et nous fascine avec Fog Sculpture #07563, dans le parc paysager de la LUMA et qui s’inscrit également dans Danse avec les démons


Fujiko Nakaya, Fog Sculpture #07563, parc LUMA Arles, 2025


  Dans des petites salles et dans une pénombre complice surgit une sélection de ces œuvres technologiques des années 1960 : Robert Rauschenberg avec Dry Cell (1963), sorte de Combine-painting animé réagissant à la voix humaine ; Cone Pyramid (Hearty Beats Dust) (1968) de Jean Dupuy, artiste français, qui enregistre les battements du cœur tout en les traduisant en fonction de leur intensité en une vibration déclenchant l’envolée d’un pigment, sublimé par un éclairage rougeoyant ; Hans Haacke avec Photoelectic Viewer-Controlled Coordinate System (1968) où des ampoules s’allument et s’éteignent en fonction des mouvements du public qui visite ; sans oublier les Silver Clouds (1966) d’Andy Warhol, refabriqués en 2025, sorte de ballons en forme d’oreiller qui réagissent aux courants et aux variations de température. Cette monstration à la fois didactique et nostalgique nous ramène dans une modernité, presque disparue, où les recherches technologiques se trouvaient placées sous le signe d’un optimisme qui aujourd’hui n’existe presque plus.

 

                                                                                                                                                     Christian Skimao

 

 

                                                                                                                                                    

 

 

jeudi 8 mai 2025

Expositions Lucas Arruda et Ivens Machado, Carré d'Art, Marina Rheingantz, Beaux-Arts, Nîmes, 2025

 

Expositions Deserto-Modelo de Lucas Arruda et Ivens Machado

Dans le cadre de la Saison du Brésil en France

Carré d’art-Musée d’art contemporain, Nîmes

Du 30 Avril au 5 octobre 2025

Avec un volet complémentaire

Exposition Mirage de Marina Rheingantz

Musée des Beaux-Arts, Nîmes

Du 30 Avril au 5 octobre 2025

 

 

Lucas Arruda, Untitled (from the Deserto Modelo series), 2019. Vue partielle en 2025.

             Un Brésil contemporain aux multiples facettes

 

 

 Les œuvres de Lucas Arruda, né en 1983 à São Paulo, occupent tout le second étage. De nombreuses peintures, de petits formats, questionnent la notion de paysage grâce à un long travail de couches et de reprises jusqu’à aboutir à un point de tension entre abstraction et figuration. L’utilisation de formats horizontaux pour les marines et de formats verticaux pour les jungles reprend, en apparence, des critères traditionnels. Son exploration d’un monde lié à l’impressionnisme, au sens, non pas historique mais sensitif (n’expose-t-il pas en ce moment même au musée d’Orsay à Paris, en écho à des peintures de Claude Monet) dans le cadre d’une expérience contemporaine, a souvent de quoi surprendre. Le titre Deserto-Modelo reprend un vers du grand écrivain João Cabral de Melo Neto (1920-1999) comme titre de l’ensemble de sa production en devenir. La notion de voyage et de quête se situe à la fois dans l’œil du regardeur, mais aussi dans la pensée très conceptuelle du créateur. Ainsi en va-t-il de l’installation Untitled (2019), qualifié par l’artiste d’ « idéogramme de paysage » où un carré de lumière se trouve projeté au-dessus d’un carré peint sur le mur. Après cette recherche d’infini, l’étrange vidéo finale, Neutral Corner (2018) utilise les images en noir et blanc, d’un réel combat de boxe entre Emile Griffith et Benny Parret au Madison Square Garden de New York en 1962. Ce dernier mourra de ses blessures dix jours plus tard. Le tragique, les corps, le sexe, enfin la chute de Parret et les tracés des cordes du ring nous offrent une sorte d’épure d’un réel, stylisé et connoté.

 

Ivens Machado, Untitled, 1990. Bois et gravier.Vue d'exposition en 2025.

   Au Project Room, premier étage du musée, se trouve une sélection d’œuvres d’un artiste historique, Ivens Machado, né à Rio de Janeiro en 1942 et disparu en 2015. La vidéo évoquée précédemment pourrait servir de lien formel avec celles de Machado. Travaillant sur les corps noir et blanc, comme dans Versus (1974), il met en avant la violence et le racisme sous-jacent dans le Brésil de ces années-là. L’utilisation de bandages dans ses performances propose un corps blessé et en voie de restauration. Enfin, d’intéressantes sculptures prennent place, dont sa chaussure-pied-langue datée de 1990, qu’il reconfigure et change d’échelle. Là encore, ses volumes évoquent souvent des corps, certes stylisés et souvent très éloignés d’une simple figuration. L’utilisation de matériaux bruts et liés au monde industriel de la construction (fer, verre, béton, débris, etc.) crée un effet poétique inattendu. Ne leur donnant pas toujours de titres et optant pour une dénomination générique d’Untitled, excepté Painel de Azulejos (1983), où l’organique rejoint le narratif, l’artiste a été influencé par l’Arte Povera en Italie. Ainsi ses formes réalisées avec du béton renforcé et des tessons de tuiles (2002) donnent une épaisseur liée à une dangerosité visuelle, conjuguant avec talent, poétique et politique.

 

Marina Rheingantz, Rabetao de Ouro, 2019. Vue d'exposition en 2025.


    L’exposition Mirage de Marina Rheingantz au Musée des Beaux-Arts nous offre une autre approche picturale. Née également en 1983, à Araraquara, elle travaille à São Paulo. Elle a exposé en France en 2021 au Frac Auvergne. Ses peintures se fondent temporairement dans la collection du musée. La plus imposante, au rez-de-chaussée, Rabetão de Ouro (2019) focalise toute l’attention sur elle avec ses couches plus ou moins opaques parsemées d’amas colorés de matière. Une sorte de mise en scène qui joue aussi avec des effets de tapisserie au niveau des motifs. Rien n’est véritablement abstrait et pourtant rien n’est figuratif non plus. Dans cet entre-deux de la peinture, l’esprit oscille constamment, pénétrant dans un univers onirique. À l’étage, une série de Duos, permet un dialogue entre hier et aujourd’hui, entre La Vierge et l’Enfant Jésus entourés de deux anges de Maestro Asiguo (15ème siècle) et Madona (2025) de Marina Rheingantz. Le déplacement opère à la fois temporellement, structurellement et spatialement, multipliant l’intérêt pour les deux peintures.

 

 

                                                                                                                                                        Christian Skimao

 

 

 

 

 

 

 

vendredi 25 avril 2025

 

Festival du Dessin d’Arles, 3ème édition

Expositions dans toute la ville d’Arles

Hommage à Jean-Michel Folon

Du 12 avril au 11 mai 2025

 

 

Stéphane Mandelbaum, sélection d'oeuvres graphiques, Arles, 2025

 

                                               Un dessein, des dessins

 

 

    Cette troisième édition internationale du Festival du dessin, créé par Vera Michalski (Présidente) et Frédéric Pajak (Directeur artistique), table sur un éclectisme susceptible de rassembler des publics très différents. En ces temps de technologies dévorantes, la pratique du dessin questionne l’humanité depuis ses origines.

 

  Avec Jean-Michel Folon (1934-2005) en tête de liste, avec ses réalisations montrées à la chapelle du  Museon Arlaten, artiste quelque peu oublié depuis quelques années et qui semble revenir en force actuellement. Le musée Réattu propose des estampes japonaises d’une grande pureté, prêtées par la BNF, dont celles d’Utagawa Togani (1769-1825) ou de Kitagawa Utamaro avec sa gravure sur bois polychrome intitulée Ivresse à trois ; des dessins d’Ossip Zadkine (1888-1967) sur la guerre de 1914-18 et des autoportraits tardifs donnent la mesure du talent de ce sculpteur dont le musée conserve en permanence deux volumes Odalisque (1932) et Torse de femme (1935). Mention spéciale pour un Jean Moulin inattendu qui figure ici en caricaturiste et en dessinateur de presse.

 

Jean Moulin, Le Marin aux trois filles, vers 1931, Arles 2025

  Trois « femmes puissantes » se trouvent au palais de l’Archevêché : Gudrun von Maltzan et sa déclinaison d’arbres réalisés comme lors d’une performance, avec l’avancée du dessin, le déroulé du papier et le temps qui passe. Françoise Perronno qui mixe dessins et plaques de verre, créant dans la pénombre un environnement d’une simplicité magique. Et Pascale Hémery dont la finesse du tracé et la précision toute classique, en apparence, ouvre sur l’intimité des cités. Il faudrait y ajouter la grande Annette Messager, à l’Espace van Gogh, qui décline son univers onirique, privilégiant ici des dessins de squelettes à l’aquarelle dans une installation traitant de la vie et de la mort. La présence d’artistes moins connus, du moins pour le grand public, comme Francine Simonin (1936-2020) et ses encres, la rapprochent d’une calligraphie gestuelle très lyrique, avec Les parleuses (1991).

 

Deux oeuvres de David Jacot, Arles, 2025

  La sélection d’œuvres de la collection d’Antoine de Galbert, à l’Église Sainte-Anne demeure le plat de résistance de la manifestation. L’art moderne avec Louis Soutter y donne rendez-vous à l’art contemporain avec Markus Raetz. Une découverte de taille, Stéphane Mandelbaum (1961-1986), artiste néo-expressionniste, fasciné par les bas-fonds, assassiné par la pègre et d’un talent foudroyant. Sans oublier l’énigmatique travail réaliste de Stéphane Borremans et le surréalisme tardif d’Olivier O. Olivier (1931-2011), membre du groupe Panique avec Fernando Arrabal et Alejandro Jodorowsky. À la fondation Lee Ufan, au second étage, des gouaches lumineuses de Bram van Velde d’un côté et un hommage à Nadia Léger, femme de Fernand Léger, qui a suivi bien des courants de la modernité avec une sorte de décalage temporel.

 

  Concernant l’humour, une sélection de dessinateurs se trouve au rez-de-chaussée du Croisière avec l’immense Sempé, Tetsu, Loup, Maurice Henry ou Bara, pour ne citer qu’eux.  Au premier étage, trois personnalités fortes, classées dans le cadre d’un art brut récent : Clemens Wild et ses personnages « invisibles » ou plutôt invisibilisés, infirmières, aides soignantes, femmes de ménage, etc. ; les cas hors-limites de Sandrine Mbala ; enfin David Jacot et ses très émouvants personnages liés par l’étreinte. Leurs compositions flirtent avec certaines obsessions personnelles, tout en dénonçant une société par trop normée, la nôtre ! Tout à fait différent, une belle sélection du grand illustrateur belge Ever Meulen qui revisite une modernité encore heureuse au travers d’un étonnant dialogue entre vision américaine et ligne claire locale. En espérant la tenue d'un grand hommage à Joost Swarte pour une édition future. Pour terminer, citons le grand Chaval (1915-1968), sa détermination sans faille, son humour noir, au sens où l’entendait André  Breton, et son film dessiné, Les oiseaux sont des cons, chef-d’œuvre répétitif en noir et blanc, à la Chapelle du Méjean.

 

 A suivre pour 2026 …

 

                                                                                                                                                      Christian Skimao

 

 

 

lundi 21 avril 2025

Exposition Victoire Thierrée, Collection Lambert, Avignon, 2025

 

Exposition Victoire Thierrée, OKINAWA !!

Collection Lambert, Avignon

Du 19 avril au 15 juin 2025

 

 

Victoire Thierrée, OKINAWA!!, vue partielle, Avignon, 2025

 

 

                               Correspondances et connexions

 

 

  Le travail de Victoire Thierrée tourne autour de plusieurs thématiques et pratiques (photographies, création de verres, et narrations) qui se focalisent autour de l’île japonaise d’Okinawa. Le dispositif scénique mis en place à la Collection Lambert montre les multiples connexions existant entre le passé et le présent dans une vision personnelle et contemporaine. Il nécessite néanmoins un éclairage lié aux multiples références utilisées.

 

  L’artiste se rend à Okinawa a lieu en 2019 où se trouvent 32 bases américaines avec 10.000 soldats et réalise des prises de vue en noir et blanc. En 2023, elle va à Washington (USA) aux archives de la Smitsonian Institution qui conserve les résultats des recherches botaniques d’Egbert H. Walker (1899-1991). Ce dernier a effectué des prélèvements de plantes dans les zones touchées par la bataille d’Okinawa, pour mémoire l’une des plus terribles de la guerre du Pacifique. Victoire Thierrée a ensuite sélectionné 40 planches d’herbier et les a photographiées (ex. Artocarpus altilis #2, 2023). Au niveau des tirages, l’utilisation du procédé gélatino-argentique et non pas numérique, change une fois encore notre rapport au temps. Si la dimension esthétique apparaît de suite, sans doute en raison d’une élégance japonaise sous-jacente, elle ne doit pas masquer l’essentiel, le questionnement.

 

Victoire Thierrée, Artocarpus altilis #2, 2023, tirage gélatino-argentique © Victoire Thierrée  Adagp 2025

  Les sculptures en verre, réalisées au CIRVA (Centre de recherche sur le verre et les arts plastiques) et suspendues dans l’espace grâce à de fortes structures en acier, se rapportent aux pratiques artisanales des îles Ryūkyū. Ne disposant plus ni de leurs ateliers, ni des matières premières nécessaires, les habitants se sont emparés des canettes de bière et de Coca-Cola en verre des militaires, afin de satisfaire leur besoin de souvenirs à ramener aux Etats-Unis. La forme des yeux, comme exorbités, se réfère aussi à la jeunesse écolière de l’île, enrôlée de force, pour un sacrifice inéluctable, comme en témoigne le roman d’ Akira Yoshimura, Mourir pour la patrie (1967).

 

    L’Histoire et les histoires se mélangent. Les périodes traitées établissent des ponts inattendus, mettant en lumière le fil conducteur de cette narration créée par l’artiste.  La démarche initiale de Victoire Thierrée se situe à l’origine dans la découverte du travail du photographe Shōmei Tōmatsu (1930-2012). La notion de déplacement semble essentielle puisque photographies et « yeux » entretiennent des rapports de connivence. Deux vers du poème Correspondances du grand Charles Baudelaire offriront une conclusion provisoire à cette œuvre toujours en devenir : « Comme de longs échos qui de loin se confondent / Dans une ténébreuse et profonde unité ».

 

                                                                                                                                                     Christian Skimao

jeudi 17 avril 2025

Exposition Daniela Montecinos, Arles, 2025

 

Exposition Daniela Montecinos

Dans le cadre du Off du Festival du dessin

Saillies graphiques. Dessins

Aux Docks d’Arles , galerie d’art , Arles

Du 11 au 25 avril 2025

 

 


 

                   Contours voyageurs

 

  Les dessins de Daniela Montecinos racontent son monde et racontent le monde. Si sa source d’inspiration apparaît semblable à celle de ses toiles (l’exil, la révolte contre l’injustice, les figures d’un cinéma déjà passé, le vécu personnel, l’enfance, etc.), l’utilisation du medium dessin ouvre la porte à une approche paradoxalement plus brutale et plus subtile. Le tracé du crayon suivrait la trace des pas d’une voyageuse qui circule entre les continents (Amérique-Europe et vice-versa) et les histoires qui en découlent. Loin de faire du passé, table rase, l’artiste l’orchestre à nouveau dans un récit contemporain qui nous emporte dans son tourbillon.

  Les techniques utilisées diffèrent en fonction du propos : un dessin traditionnel dans le cadre d’un champ figuratif ou parfois un éclatement de la représentation au travers d’un tachisme de circonstance. Les personnages, parfois flous et vibrionnants, jouent avec l’effet du mouvement comme dans certaines recherches cinétiques. Mais il s’agirait plutôt de mettre en avant mouvement et immobilisme, les deux cohabitant dans un espace-temps difficile à définir exactement. Ainsi fonctionne un diptyque de grand format intitulé Crossing Borders avec des silhouettes de chiens et chats qui se trouvent en contact avec des pinceaux et des silhouettes. L’artiste présente à la fois l’œuvre en train de se faire et le passage vers un ailleurs (meilleur, forcément meilleur) où s’engage une silhouette portant un lourd bagage sur sa tête. Il ne s’agit ni d’exotisme, ni de complaisance de circonstance comme nous en voyons de temps à autre, mais d’une grande empathie de la part de l’artiste avec celles et ceux qui doivent fuir. La force de la narration que l’on rencontrait déjà dans sa production de toiles se conjugue ici avec une sorte d’urgence. Si la thématique de l’exil, même intérieur, résonne comme une évidence, d’aucuns préfèrent d’illusoires enracinements, parfois inventés la veille, par crainte de l’altérité.

Daniela Montecinos, Dessins, vue partielle, 2025


  Daniela Montecinos pratique donc un art du dessin où l’allusif le dispute au figuratif. Du texte prend aussi place dans ses valises, frappées de vignettes qui mettent en abyme d’autres scènes. L’espace tragique du monde se pare de l’élégance de sa dénonciation au travers de ce que l’on nommerait son style. Comme dans ses peintures qui optent pour une référence cultivée à l’histoire de l’art, l’artiste explore ces territoires mentaux en y apportant sa science du dessin. Les tracés des histoires intimes se retrouvent dans les enjeux de l’Histoire ; chez elle n’existe aucun sentimentalisme de pacotille, mais une vibrante nostalgie qui irrigue la totalité de sa production.

       

                                                                                                             Christian Skimao

dimanche 13 avril 2025

Oeuvres in situ, Catherine Baas et Antonio Massarutto, Bambouseraie en Cévennes, 2025

 

Œuvres in situ

Catherine Baas avec Tryptique Zoï

Antonio Massarutto avec Banzaï

Bambouseraie en Cévennes, Générargues (30)

Saison 2025

 

 

Catherine BaasTryptique Zoï, Bambouseraie en Cévennes, 2025

                     La courbe et l’angle

 

 

  Pour la saison 2025, à la Bambouseraie en Cévennes, interviennent deux artistes, Catherine Baas et Antonio Massarutto qui proposent deux approches, à la fois différentes en apparence, et complémentaires en réalité. Leurs volumes, réalisés pour le lieu,  se répondent dans le cadre d’un dialogue noué autour du bambou, entre nature et culture, matière et manière, pensée et action.

  Catherine Baas, artiste française, propose une installation intitulée « Zoï », qui signifie « Vie » en grec. Elle s’inscrit dans l’art environnemental et se compose de trois œuvres placées autour d’un grand chêne. Les formes organiques du triptyque évoquent l’évolution d’une graine inspirée des turions du bambou, issus du rhizome souterrain et en cours d’évolution. L’ existence d’une double interaction, entre formes réelles et inventées, crée un nouvel espace plastique. Composées de tiges de bambou refendues et tressées, elles mettent en avant leur inclusion dans l’espace naturel, tout en usant d’indispensables tuteurs métalliques. L’utilisation de la peinture couleur corail, entre orange et rouge, propose une touche lumineuse par rapport à la couleur verte des végétaux. Elles apparaissent différentes et évolutives, la première, couchée, en forme de réceptacle et totalement peinte à l’intérieur semble offerte au public ; la seconde, posée comme un couvercle sur le sol, peinte en son milieu apparaît comme une sorte de gouffre où s’enfoncer ; la troisième, enfin, en forme de cône, comme non achevée est juste surlignée de peinture à son extrémité. Jouant également avec les notions de contenant et de contenu, ces volumes invitent à la réflexion au travers d’une hospitalité potentielle pour toutes et tous, leurs formes incurvées générant une forme d’apaisement.

  

Antonio Massarutto, Banzaï, Bambouseraie en Cévennes, 2025

  Antonio Massarutto, artiste italien, expose le résultat d’un travail réalisé sur place nommé « Banzaï ». L’œuvre, de grande taille, aux formes géométriques et abstraites représente un animal ou plutôt la possibilité d’un animal, réel ou fantastique. En fait, l’artiste s’est emparé de la matière première locale, les bambous pour aboutir à une construction qui met en avant une idée archétypale à définir. En effet, nous trouvons-nous en présence d’un grand carnassier, d’un fourmilier hors d’échelle, d’un insecte géant, d’une créature xénomorphe ? Cet endosquelette qui évoque également et paradoxalement un exosquelette, repose sur quatre pieds ou pattes, sans véritable tête, oscillant entre approche naturaliste ou fantasmatique. Il se compose de trois types de bambous de couleurs différentes : un vert vif pour la structure de base du corps, un jaune doré pour la peau et un noir pour les artères, ce qui permet d’échafauder d’innombrables possibilités. Reliés entre eux par des nœuds de fil de fer, solidement et habilement amarrés, laissant voir les tensions nées de leur assemblage, leur disposition n’offre aucune représentation précise. Ainsi apparaissent la matérialité et le dynamisme de cette « chose ». L’œuvre, élaborée à partir de dessins préparatoires, ne se réfère nullement aux canons classiques de l’art, laissant émerger l’essence même d’une pensée toujours en mouvement.

 

                                                                                                                                                 Christian Skimao