mercredi 11 juin 2025

Exposition Anne-Marie Soulcié. Sommières 2025.

 

Exposition Viennoises d’Anne-Marie Soulcié

Chapelle des Ursulines (Espace Lawrence Durrel) à Sommières

Du 7 au 28 juin 2025


Anne-Marie Soulcié. Le soleil sous la peau. Exposition Sommières, 2025.

                         Valser avec l’histoire des arts

 

 

  Les oeuvres d’Anne-Marie Soulcié s’inscrivent dans une approche très ouverte où de nombreuses références s’interpénètrent. En reprenant le titre de son exposition, Viennoises, immanquablement apparait un panorama culturel autrichien, allant de Robert Musil (littérature et inachèvement) à Sigmund Freud (psychanalyse et exploration), en passant par la Sécession viennoise (Sezessionstil) avec Gustav Klimt (peinture et élaboration), sans oublier une personnalité plus récente comme l‘inclassable créateur polymorphe Friedensreich Hundertwasser (1928-2000) et ses spirales magnétisantes.

 

  Cette riche sélection conduit à une déstructuration contemporaine des images qui convoquent le rêve et la suspension du temps au travers d’une mise en scène d’un monde intérieur mouvant. Certaines oeuvres optent pour une porosité certaine, tandis que d’autres jouent sur un cloisonnement plus structuré. Pour les premières, un effet psychédélique entre en action dans un enchevêtrement de têtes et de corps. L'explosion chromatique générale semble également s’inspirer d’un art africain caractérisé par une profusion de couleurs éclatantes et variées. Pourtant toutes ces représentations et abstractions se situent sur le même plan, désignant ainsi la puissance onirique de la démarche. D’autres œuvres, tout en conservant également leur part de rêve, se trouvent construites sur des canevas plus distincts. Des visages souvent imposants heurtent des éclats de paysages, des constructions plus ou moins identifiables se mélangent avec des objets malicieux et incongrus. Des réminiscences de l’enfance de l’artiste apparaissent au détour de la toile, mais transformées, sublimées en quelque sorte par la peinture. Des animaux étranges, et parfois des représentations mythologiques comme celle du dieu égyptien Thot, glissent devant nous. Remarquons aussi des plages plus sombres qui mettent en valeur les mosaïques colorées en un jeu d’apparitions et de disparitions.  

 

 Anne-Marie Soulcié  a ainsi composé un opéra pictural où les pièces d’un puzzle mental se trouvent assemblées au gré de son imaginaire. Pour en revenir à Vienne, du moins à une certaine Vienne, évidemment quelque peu fantasmée, l’artiste a rejoint ce vaste courant onirique qui va d’un Romantisme fantastique jusqu’aux nouvelles technologies utopistes et écologistes. Pourrions-nous enfin envisager la rencontre fortuite d’un croissant (de Lune ?) avec Le soleil sous la peau ?

 

                                                                                                                               

                                                                                                                                             Christian Skimao

mercredi 21 mai 2025

 

Exposition Jardins intérieurs de Jean-Pierre Loubat

Espace culture Jean-Jaurès, Vauvert

Du 16 mai au 12 juillet 2025

 

 


                        Livrer ses livres

 

 

 

 La bibliothèque demeure un lieu mystérieux, fantasmatique et fantasmé, mais aussi éminemment réel. D’un côté, celle décrite par Borges, avec l’emphase poétique qu’on lui connait : « L’univers (que d’autres appellent la Bibliothèque)… », de l’autre, celle de Pascal Quignard qui définit les amoureux du livre : « Ils forment à eux seuls une bibliothèque de vies brèves mais nombreuses.». Reste aussi la définition plus pragmatique d’un meuble aux étagères nombreuses et aux formes variées, dont le nom vient du grec ancien et met en relation le livre (biblion) avec le lieu de rangement (thêkê). Se trouvent, hors champ, mais intensément et souvent névrotiquement consultés, l’internet et l’IA, immatérialités redoutables, qui classent le monde selon des algorithmes plus ou moins orientés.

 

  Pour Jean-Pierre Loubat, le vagabondage au travers des lieux et des livres, photographiés en couleur et en noir et blanc, sans précision de l’identité des propriétaires, ouvre un champ exploratoire plein de surprises. Les angles de vue se diversifient, des plans larges alternent avec des plans resserrés, des gros plans sur certains titres de volumes se mélangent à de vastes espaces de classification où peu de détails émergent. Martine Guillerm, dans le texte critique du catalogue évoque deux fonctions de la bibliothèque, « comme lieu (réel/imaginaire ») et comme lien (à soi-même/au monde) », sans oublier l’existence d’un non-dit de taille, car le rangement personnel dévoile l’espace critique sous-jacent. Je range ce qui dérange, et inversement. La psychanalyse s’épanouit indéniablement dans les bibliothèques.

 

Jean-Pierre Loubat, Jardins intérieurs, vue partielle, Vauvert, 2025


   Le format des photographies varie ainsi que leur accrochage dans tout l’espace de monstration. La lisibilité des titres induit une réflexion plus ou moins orientée, le monde se découvre au travers de l’hétérogénéité. La qualité des reliures ou leur modestie concernant les éditions de poche se retrouvent dans une nouvelle concurrence lors de la découverte des auteurs. Mais les bibliothèques privées contiennent également autre chose que des livres. Des bibelots côtoient des peintures, de petites sculptures du monde entier se mélangent à des poteries, des coquillages séduisent des bronzes, etc. Les volumes, eux, demeurent sereins malgré la présence de ce petit peuple non imprimé. Le titre choisi, Jardins intérieurs, coïncide avec cette injonction à se cultiver, ou plutôt à « cultiver notre jardin », comme l’écrit Voltaire dans Candide, avec une cruelle malice. Et pour finir ou ouvrir un nouveau débat, une citation extrêmement questionnante d’Amos Oz : « Enfant, j’espérais devenir un livre quand je serais grand. »

 

                                                                                                                           Christian Skimao

 

 

PS Je suis très heureux de figurer dans les photographies exposées, bibliothèque parmi les bibliothèques.

mercredi 14 mai 2025

Exposition Danse avec les démons, LUMA Arles, 2025

 

Exposition collective et expérimentale avec une cinquantaine d’artistes contemporains, Danse avec les démons, La Tour, galerie principale, niveau -2 et dans le parc paysager, LUMA, Arles,

Saison 2025, ouverture en mai

 

 

Danse avec les démons, vue partielle, LUMA Arles, 2025

 

 

 

                  Eclectismes (partie 3)

 .

 

 

   Danser avec des démons ne semble jamais une activité anodine. La question du démon dans le titre exact, Danse avec les démons, demeure essentielle, car de quoi parlons-nous ? Du démon catholique ou du daimôn de la Grèce antique ? Cette exposition ou plutôt cette expérience, a été menée à Bâle-Riehen à la Fondation Beyeler en 2024 et se continue en 2025 à Arles. Projet ambitieux et évolutif, le titre même demeure variable en fonction des intervenants. Ainsi, l’accrochage pensé par Tino Seghal met en scène des photographies et des peintures qui se lient entre elles et forment sur les murs une sorte de ligne directrice, autonome, entre le portrait, l’architecture, et l’abstraction. Les sculptures entament également, entre elles, un dialogue, selon le principe énoncé mais dans une spatialité différente. Les cartels individuels se trouvent évincés pour ne pas nuire à l’effet visuel global tandis des schémas explicatifs prennent place sur le mur opposé.  

Danse avec les démons, LUMA Arles, 2025


 Une installation immersive de Carsten Höller et d’Adam Haar nous accueille dès l’entrée, nommée Dream Hotel Room #1 : Dreaming of Flying with Flying Fly Agarics (2024) . Si depuis 2008 Höller crée des chambres d’hôtel à l’intérieur des musées, Haar travaille sur la modification des rêves pour résoudre certains troubles du sommeil. Ensemble, ils proposent pendant la durée d’une sieste, pour une visiteuse ou un visiteur de changer leur état onirique grâce à différentes innovations comme un lit mouvant, un champignon « volant » et des récits murmurés les incitant à accompagner des amanites tue-mouches volantes. Finalement cette démarche introspective n’est peut-être pas si anodine que cela, et renoue avec certains aspects du Romantisme historique et des expérimentations de la Côte Ouest des USA durant les années 1960. Une autre réalisation, fort massive en raison de ses grosses chaînes en métal demeure paradoxalement très ouverte, et se trouve au centre de la salle, intitulée Une bibliothèque aussi grande que le monde. Elle a été conçue par le philosophe Federico Campagna et l’artiste Dozie Kanu. Un club de lecture permet de mettre en relation, les publics et les intellectuels sur divers questionnements

 

Philippe Parreno, Membrane, 2023. LUMA Arles, 2025

  Trois réalisations occupent le parc paysager. Voyons d’abord installation de Precious Okoyomon, poète et artiste avec the sun eats her children (2024) : dans une cabane en bois, avec des fleurs et des lauriers (toxiques) se trouve un gros ours animatronique qui pousse des cris à intervalles réguliers. Fujiko Nakaya se trouve ensuite sur un plan d’eau avec sa magique sculpture de brouillard (déjà évoquée dans l’article sur E .A .T.). Enfin, émerge une énorme machine, assez inquiétante, de Philippe Parreno, Membrane (2023), une « structure cybernétique à capacités sensorielles et traitement génératif du langage » qui se trouve reliée à la terre par des capteurs. Si l’étrange rapport qui s’établit entre nature et animation crée un trouble récurrent, il semble pourtant assez difficile de savoir ce qui relie tous ces éléments ensemble. Par ailleurs, les œuvres du parc semblent bien éloignées de celles de la salle d’exposition intérieure. Restons cependant dans l’attente curieuse des prochaines variations curatoriales.

 

                                                                                                                                                    Christian Skimao

 

 



       

 

 

lundi 12 mai 2025

Exposition Maria Lassnig, LUMA Arles ,2025

 

Archives Hans Ulrich Obrist

Exposition Maria Lassnig “Vivre avec l’art empêche de se faner », La Tour, galerie des Archives, galerie du Cerisier, niveau -2, LUMA, Arles

Saison 2025, ouverture en mai

 

 

Maria Lassnig, Früstück mit Ohr (Petit-déjeuner avec oreille), 1967. LUMA 2025.

 

                                                Éclectismes (partie 2)

 

   Retour à la peinture avec une importante présentation d’œuvres de Maria Lassnig  (1919-2014), grande créatrice autrichienne qui s’inscrit dans une peinture très particulière, à la fois expressionniste et surréaliste, mais qui penche aussi du côté de l’informel et la Nouvelle Figuration. L’importance de son engagement féministe se traduit par une mise en scène de sa propre personne, sans aucune complaisance, en utilisant souvent des couleurs criardes, exprimant à la fois la dureté des temps et une certaine hostilité du milieu où elle vit. Elle a beaucoup pratiqué l’autoportrait qui repose sur la notion de « conscience corporelle » qui peut se traduire par le fait qu’elle peint, non pas ce qu’elle voit, mais ce qu’elle ressent au travers des parties de son corps. Ce subjectivisme ne demeure néanmoins pas à l’état de rêverie mais apparait comme le moteur d’un activisme tous azimuts. 

 

Maria Lassnig, Selbst als Almkuh (Moi-même en vache alpine), 1987. LUMA 2025.

  Avec Selbst als Almkuh (Moi-même en vache alpine) de 1987, se met en place une fusion de la nudité de l’artiste avec la silhouette d’une vache alpine à cornes. Elle inscrit son propos dans une relecture mythologique sous-jacente tout en gardant une ironie constante par rapport à cette interprétation trop éthérée, car la vache pourrait être aussi un animal doué d’une intelligence limitée. Par contre au niveau de la figuration, nous nous trouvons face à un autoportrait féminin aux seins nus : naturisme ou naturalisme ? La forme générale demeure dans le registre du grotesque tout en évoquant un fort sentiment de puissance qui l’autonomise par rapport à un regard masculin. Enfin, les couleurs pastel apportent une gaieté inattendue évoquant une plaisanterie sur fond d’alpages autrichiens de sa jeunesse, tout en optant pour des tracés assez bruts. Elle est intervenue dans le domaine de l’animation avec un film comme Selfportrait (1971), où sa tête, peinte au feutre, chante en anglais avec un très fort accent autrichien. La présentation de ses désirs et de sa quête éternelle se trouve tournée en dérision par elle-même, une approche très parodique, proche du style d’une chanteuse de cabaret des années 1930.  Maria Lassnig recevra conjointement avec Marisa Merz, le Lion d’Or de la Biennale de Venise en 2013. Hans Ulrich Obrist a été frappé à 17 ans par sa rencontre ans avec elle dans son atelier de Vienne. Il a continué à la défendre et à mettre en avant son travail, tant au niveau critique qu’à la Serpentine Gallery de Londres. Des affiches d’exposition, des entretiens vidéo entre eux deux ainsi que leur correspondance, classée chronologiquement, complètent l’ensemble.

 

 

                                                                                                                                                        Christian Skimao

 

Exposition E.A.T. , Luma Arles, 2025

 

Exposition Sensing the Future : Experiments in Art and Technology (E.A.T.), La Tour, galerie des Archives vivantes, LUMA, Arles

Saison 2025, ouverture en mai

 

 

Photographie du Pavillon Pepsi à Osaka en 1970, au fond. LUMA Arles, 20025.

 

                                            Éclectismes (partie 1)

 

 

  Évoquons d’abord Sensing the Future : Experiments in Art and Technology (E.A.T.), exposition historique qui bénéficie du soutien du Getty Research Institute. La convergence de pensée de divers acteurs a permis la mise en place d’un soft power traduisant l’euphorie technologique et artistique de ces années 1960 et 1970. Dans un cadre extrêmement collaboratif entre ingénieurs, artistes, industriels, et penseurs, E.A.T. a été fondé en 1966 aux USA par Billy Klüver et Fred Waldhauer, ingénieurs aux Bell Telephone Laboraties ainsi que par des artistes, et non des moindres, comme Robert Rauschenberg et Robert Whitman. L’acmé des réalisations se trouve atteinte avec la création du pavillon Pepsi à la Foire internationale d’Osaka au Japon, en 1970. Les défis technologiques se trouvent présents à tous les niveaux ainsi que les enjeux artistiques. La création d’un brouillard d’eau qui enveloppe le dôme blanc à facettes, par la japonaise Fujiko Nakaya, offre une aura particulière à l’ensemble, tout en lançant une nouvelle forme de sculpture écologique. Un exemple de son approche très spectaculaire nous enchante et nous fascine avec Fog Sculpture #07563, dans le parc paysager de la LUMA et qui s’inscrit également dans Danse avec les démons


Fujiko Nakaya, Fog Sculpture #07563, parc LUMA Arles, 2025


  Dans des petites salles et dans une pénombre complice surgit une sélection de ces œuvres technologiques des années 1960 : Robert Rauschenberg avec Dry Cell (1963), sorte de Combine-painting animé réagissant à la voix humaine ; Cone Pyramid (Hearty Beats Dust) (1968) de Jean Dupuy, artiste français, qui enregistre les battements du cœur tout en les traduisant en fonction de leur intensité en une vibration déclenchant l’envolée d’un pigment, sublimé par un éclairage rougeoyant ; Hans Haacke avec Photoelectic Viewer-Controlled Coordinate System (1968) où des ampoules s’allument et s’éteignent en fonction des mouvements du public qui visite ; sans oublier les Silver Clouds (1966) d’Andy Warhol, refabriqués en 2025, sorte de ballons en forme d’oreiller qui réagissent aux courants et aux variations de température. Cette monstration à la fois didactique et nostalgique nous ramène dans une modernité, presque disparue, où les recherches technologiques se trouvaient placées sous le signe d’un optimisme qui aujourd’hui n’existe presque plus.

 

                                                                                                                                                     Christian Skimao

 

 

                                                                                                                                                    

 

 

jeudi 8 mai 2025

Expositions Lucas Arruda et Ivens Machado, Carré d'Art, Marina Rheingantz, Beaux-Arts, Nîmes, 2025

 

Expositions Deserto-Modelo de Lucas Arruda et Ivens Machado

Dans le cadre de la Saison du Brésil en France

Carré d’art-Musée d’art contemporain, Nîmes

Du 30 Avril au 5 octobre 2025

Avec un volet complémentaire

Exposition Mirage de Marina Rheingantz

Musée des Beaux-Arts, Nîmes

Du 30 Avril au 5 octobre 2025

 

 

Lucas Arruda, Untitled (from the Deserto Modelo series), 2019. Vue partielle en 2025.

             Un Brésil contemporain aux multiples facettes

 

 

 Les œuvres de Lucas Arruda, né en 1983 à São Paulo, occupent tout le second étage. De nombreuses peintures, de petits formats, questionnent la notion de paysage grâce à un long travail de couches et de reprises jusqu’à aboutir à un point de tension entre abstraction et figuration. L’utilisation de formats horizontaux pour les marines et de formats verticaux pour les jungles reprend, en apparence, des critères traditionnels. Son exploration d’un monde lié à l’impressionnisme, au sens, non pas historique mais sensitif (n’expose-t-il pas en ce moment même au musée d’Orsay à Paris, en écho à des peintures de Claude Monet) dans le cadre d’une expérience contemporaine, a souvent de quoi surprendre. Le titre Deserto-Modelo reprend un vers du grand écrivain João Cabral de Melo Neto (1920-1999) comme titre de l’ensemble de sa production en devenir. La notion de voyage et de quête se situe à la fois dans l’œil du regardeur, mais aussi dans la pensée très conceptuelle du créateur. Ainsi en va-t-il de l’installation Untitled (2019), qualifié par l’artiste d’ « idéogramme de paysage » où un carré de lumière se trouve projeté au-dessus d’un carré peint sur le mur. Après cette recherche d’infini, l’étrange vidéo finale, Neutral Corner (2018) utilise les images en noir et blanc, d’un réel combat de boxe entre Emile Griffith et Benny Parret au Madison Square Garden de New York en 1962. Ce dernier mourra de ses blessures dix jours plus tard. Le tragique, les corps, le sexe, enfin la chute de Parret et les tracés des cordes du ring nous offrent une sorte d’épure d’un réel, stylisé et connoté.

 

Ivens Machado, Untitled, 1990. Bois et gravier.Vue d'exposition en 2025.

   Au Project Room, premier étage du musée, se trouve une sélection d’œuvres d’un artiste historique, Ivens Machado, né à Rio de Janeiro en 1942 et disparu en 2015. La vidéo évoquée précédemment pourrait servir de lien formel avec celles de Machado. Travaillant sur les corps noir et blanc, comme dans Versus (1974), il met en avant la violence et le racisme sous-jacent dans le Brésil de ces années-là. L’utilisation de bandages dans ses performances propose un corps blessé et en voie de restauration. Enfin, d’intéressantes sculptures prennent place, dont sa chaussure-pied-langue datée de 1990, qu’il reconfigure et change d’échelle. Là encore, ses volumes évoquent souvent des corps, certes stylisés et souvent très éloignés d’une simple figuration. L’utilisation de matériaux bruts et liés au monde industriel de la construction (fer, verre, béton, débris, etc.) crée un effet poétique inattendu. Ne leur donnant pas toujours de titres et optant pour une dénomination générique d’Untitled, excepté Painel de Azulejos (1983), où l’organique rejoint le narratif, l’artiste a été influencé par l’Arte Povera en Italie. Ainsi ses formes réalisées avec du béton renforcé et des tessons de tuiles (2002) donnent une épaisseur liée à une dangerosité visuelle, conjuguant avec talent, poétique et politique.

 

Marina Rheingantz, Rabetao de Ouro, 2019. Vue d'exposition en 2025.


    L’exposition Mirage de Marina Rheingantz au Musée des Beaux-Arts nous offre une autre approche picturale. Née également en 1983, à Araraquara, elle travaille à São Paulo. Elle a exposé en France en 2021 au Frac Auvergne. Ses peintures se fondent temporairement dans la collection du musée. La plus imposante, au rez-de-chaussée, Rabetão de Ouro (2019) focalise toute l’attention sur elle avec ses couches plus ou moins opaques parsemées d’amas colorés de matière. Une sorte de mise en scène qui joue aussi avec des effets de tapisserie au niveau des motifs. Rien n’est véritablement abstrait et pourtant rien n’est figuratif non plus. Dans cet entre-deux de la peinture, l’esprit oscille constamment, pénétrant dans un univers onirique. À l’étage, une série de Duos, permet un dialogue entre hier et aujourd’hui, entre La Vierge et l’Enfant Jésus entourés de deux anges de Maestro Asiguo (15ème siècle) et Madona (2025) de Marina Rheingantz. Le déplacement opère à la fois temporellement, structurellement et spatialement, multipliant l’intérêt pour les deux peintures.

 

 

                                                                                                                                                        Christian Skimao

 

 

 

 

 

 

 

vendredi 25 avril 2025

 

Festival du Dessin d’Arles, 3ème édition

Expositions dans toute la ville d’Arles

Hommage à Jean-Michel Folon

Du 12 avril au 11 mai 2025

 

 

Stéphane Mandelbaum, sélection d'oeuvres graphiques, Arles, 2025

 

                                               Un dessein, des dessins

 

 

    Cette troisième édition internationale du Festival du dessin, créé par Vera Michalski (Présidente) et Frédéric Pajak (Directeur artistique), table sur un éclectisme susceptible de rassembler des publics très différents. En ces temps de technologies dévorantes, la pratique du dessin questionne l’humanité depuis ses origines.

 

  Avec Jean-Michel Folon (1934-2005) en tête de liste, avec ses réalisations montrées à la chapelle du  Museon Arlaten, artiste quelque peu oublié depuis quelques années et qui semble revenir en force actuellement. Le musée Réattu propose des estampes japonaises d’une grande pureté, prêtées par la BNF, dont celles d’Utagawa Togani (1769-1825) ou de Kitagawa Utamaro avec sa gravure sur bois polychrome intitulée Ivresse à trois ; des dessins d’Ossip Zadkine (1888-1967) sur la guerre de 1914-18 et des autoportraits tardifs donnent la mesure du talent de ce sculpteur dont le musée conserve en permanence deux volumes Odalisque (1932) et Torse de femme (1935). Mention spéciale pour un Jean Moulin inattendu qui figure ici en caricaturiste et en dessinateur de presse.

 

Jean Moulin, Le Marin aux trois filles, vers 1931, Arles 2025

  Trois « femmes puissantes » se trouvent au palais de l’Archevêché : Gudrun von Maltzan et sa déclinaison d’arbres réalisés comme lors d’une performance, avec l’avancée du dessin, le déroulé du papier et le temps qui passe. Françoise Perronno qui mixe dessins et plaques de verre, créant dans la pénombre un environnement d’une simplicité magique. Et Pascale Hémery dont la finesse du tracé et la précision toute classique, en apparence, ouvre sur l’intimité des cités. Il faudrait y ajouter la grande Annette Messager, à l’Espace van Gogh, qui décline son univers onirique, privilégiant ici des dessins de squelettes à l’aquarelle dans une installation traitant de la vie et de la mort. La présence d’artistes moins connus, du moins pour le grand public, comme Francine Simonin (1936-2020) et ses encres, la rapprochent d’une calligraphie gestuelle très lyrique, avec Les parleuses (1991).

 

Deux oeuvres de David Jacot, Arles, 2025

  La sélection d’œuvres de la collection d’Antoine de Galbert, à l’Église Sainte-Anne demeure le plat de résistance de la manifestation. L’art moderne avec Louis Soutter y donne rendez-vous à l’art contemporain avec Markus Raetz. Une découverte de taille, Stéphane Mandelbaum (1961-1986), artiste néo-expressionniste, fasciné par les bas-fonds, assassiné par la pègre et d’un talent foudroyant. Sans oublier l’énigmatique travail réaliste de Stéphane Borremans et le surréalisme tardif d’Olivier O. Olivier (1931-2011), membre du groupe Panique avec Fernando Arrabal et Alejandro Jodorowsky. À la fondation Lee Ufan, au second étage, des gouaches lumineuses de Bram van Velde d’un côté et un hommage à Nadia Léger, femme de Fernand Léger, qui a suivi bien des courants de la modernité avec une sorte de décalage temporel.

 

  Concernant l’humour, une sélection de dessinateurs se trouve au rez-de-chaussée du Croisière avec l’immense Sempé, Tetsu, Loup, Maurice Henry ou Bara, pour ne citer qu’eux.  Au premier étage, trois personnalités fortes, classées dans le cadre d’un art brut récent : Clemens Wild et ses personnages « invisibles » ou plutôt invisibilisés, infirmières, aides soignantes, femmes de ménage, etc. ; les cas hors-limites de Sandrine Mbala ; enfin David Jacot et ses très émouvants personnages liés par l’étreinte. Leurs compositions flirtent avec certaines obsessions personnelles, tout en dénonçant une société par trop normée, la nôtre ! Tout à fait différent, une belle sélection du grand illustrateur belge Ever Meulen qui revisite une modernité encore heureuse au travers d’un étonnant dialogue entre vision américaine et ligne claire locale. En espérant la tenue d'un grand hommage à Joost Swarte pour une édition future. Pour terminer, citons le grand Chaval (1915-1968), sa détermination sans faille, son humour noir, au sens où l’entendait André  Breton, et son film dessiné, Les oiseaux sont des cons, chef-d’œuvre répétitif en noir et blanc, à la Chapelle du Méjean.

 

 A suivre pour 2026 …

 

                                                                                                                                                      Christian Skimao