samedi 9 août 2025

Exposition Jean-Michel Othoniel, Avignon, 2025

 

Exposition Jean-Michel Othoniel COSMOS ou Les Fantômes de l’amour

Dans une dizaine de lieux culturels en Avignon

Palais des Papes, Collection Lambert, Musée lapidaire, etc.

Du 28 juin 2025 au 4 janvier 2026

 

                            

Jean-Michel Othoniel, Cosmos, Palais des Papes, Avignon, 2025

                    Construire un rêve amoureux

 

 

  Cette année 2025 marque une date importante pour Jean-Marie Othoniel. Sollicité par la ville d’Avignon pour célébrer les 25 ans de sa désignation comme capitale européenne de la culture et les 30 ans de son inscription au patrimoine mondial de l’Unesco, il a choisi d’occuper une dizaine de lieux emblématiques avec 260 œuvres, avec ses briques et ses perles, le plus souvent monumentales. La thématique de l’amour, assortie de nombreuses citations littéraires, où « Les Fantômes de l’amour pourraient entrer en résonnance avec Fragments d’un discours amoureux  de Roland Barthes.

  Le Palais des papes comprend, évidemment, le plus d’œuvres et les plus monumentales. Commençons par les deux Astrolabes, celui de la place du Palais, à l’extérieur en signalétique, et l’autre présent dans le cloître Benoit XII, tous deux composés de grosses perles rutilantes. Le Tombeau de l’amour demeure une œuvre plus émouvante, réalisée avec les fameuses briques de l’artiste, bleues et dorées, dans la Chapelle Saint-Jean. Sans oublier son pendant, le presque « petit » cénotaphe de la Chapelle Saint-Martial, inspiré du tableau de Nicolas Poussin, Et in arcadia ego (Moi aussi j’ai vécu en Arcadie) qui joue sur la profondeur d’un temps oublié, mais qui peut réapparaître. Le cosmos se trouve toujours présent avec les Constellations, suspendues dans la pénombre de la Chambre de Parement, créant un effet tout à fait magique. Enfin l’énorme installation avec un tapis de 7500 briques bleues et des suspensions de boules dans la Grande Chapelle renoue avec l’esprit « grand format » du Palais des Papes. Sans oublier les 60 peintures de l’artiste, de tailles diverses, sises dans le Grand Tinel, au fond recouvert de feuilles d’or blanc, qui représentent des plantes magnifiées.

Jean-Michel Othoniel et Sol Lewitt, Collection Lambert, Avignon, 2025


  Du côté de la Collection Lambert, Othoniel se trouve subtilement en correspondance avec des œuvres de Robert Ryman,  Louise Lawler, Roni Horn ou Nan Goldin, etc. Une mer de briques bleutées répond également à un Sol Lewitt permanent, tandis qu’une œuvre de 2015, une pierre en obsidienne sur un socle en bois de marronnier, prend place dans la pièce où se trouve Wall Drawing # 538 ; On Four Walls, Continuous Forms with Color Ink Washes Superimposed avec un résultat magnétique. Un autre dialogue superbe a lieu entre des Wonder Block, les élégants monolithes de verre sulfurisé (et leurs croquis préparatoires) et le légendaire Donald Judd mural, à dix modules, en acier galvanisé et plexiglas. Avec Carl Andre, s’établit rapidement une parenté horizontale tandis que des œuvres encadrées d’Othoniel entrent en discussion avec des Cy Towbly inspirés. Il y a également des œuvres plus anciennes, parfois à connotation érotique, en souffre jaune, qui irradient de leur côté. Bref, un ensemble très inspiré et qui joue avec tous les codes de l’art contemporain.

Jean-Michel Othoniel, Precious Stonewall, Musée Lapidaire, Avignon, 2025


  Une mention spéciale pour deux institutions : d’une part, le Musée du Petit Palais-Louvre en Avignon qui trouve l’artiste en train de s’immiscer parmi les primitifs italiens, mettant en lumière et en volume une quarantaine d’auréoles composées de cercles de verre diaphanes sertis d’or, traduisant la puissance des amours sacrés et profanes (ex. avec Zanobi Strozzi et son Retable de saint Jérôme); d’autre part le Musée Lapidaire qui se trouve paré de Wonder Block sur toute sa façade tandis qu’à l’intérieur se trouve un grand volume avec des guirlandes de verre, nommé Precious Stonewall. Une excellente illustration du passage de la thématique choisie entre les restes antiques et la pensée contemporaine au travers d’une historicité dynamique.

 

                                                                                                                     Christian Skimao

 

 

 

dimanche 3 août 2025

Exposition Ho Tzu Nyen, LUMA Arles, 2025-26

Ho Tzu Nyen, extrait du film One or Several Tigers, LUMA Arles, 2025

 

Exposition Ho Tzu Nyen , Jour spectral et contes étranges

La Mécanique Générale, LUMA Arles

Du 5 juillet 2025 au 11 janvier 2026

 

 

  

                                              Mon nom est multiple

 

  Présentation de l’autre exposition la plus importante de la LUMA, intitulée Jour spectral et contes étranges, pour cette saison 2025. L’artiste singapourien, Ho Tzu Nyen nous propose 5 installations : Phantom of Endless Day, The Nameless, The Name, One or Several Tigers, Hotel Aporia et T for Time. Il oeuvre du côté de l’histoire, de la politique et de la religion de l’Asie du Sud-Est en convoquant le théâtre, les arts, la philosophie, les mythes, au travers de technologies actuelles, avec l’aide de l’IA, le plus souvent immersives.

  Histoire et mythologie avec One or Several Tigers (2017) qui fonctionne avec deux écrans, le public se trouvant au centre d’une double projection vidéo synchronisée et d’un théâtre d’ombres inspiré du « wayang kulit » indonésien (théâtre d’ombres réalisé avec des marionnettes recouvertes de cuir). La narration plonge dans l’histoire coloniale avec d’un côté le géomètre George Drumgoole Coleman, premier arpenteur officiel de l’administration coloniale britannique et architecte en chef de Singapour, de l’autre un tigre malais. Des travailleurs indiens sortis des bagnes construire des routes constituent le troisième protagoniste. L’interférence entre le pouvoir temporel britannique et l’esprit de la forêt rebelle symbolisé par le Tigre crée un effet de distorsion de la réalité, les rôles s’imbriquent dans un nouveau récit, les niveaux perceptifs se complexifient. À la fin la de projection, des écrans se lèvent au fur et à mesure et laissent apparaître la lithographie du 19ème siècle représentant l’attaque de Coleman par le tigre.

Ho Tzu Nyen, Phantom of Endless Day (vue partielle), LUMA Arles 2025

  Une commande de la LUMA, Phantom of Endless Day (2025), apparaît fort ambitieuse. Quatre groupes de personnages se trouvent présentés en action : des soldats japonais, des guérilleros communistes, deux agents des Forces spéciales britanniques, un esprit de la forêt et un Tigre-garou durant les derniers jours de la Seconde Guerre mondiale. Ces histoires se croisent sur 4 écrans double face avec une bande son soutenue. On peut se promener à l’intérieur de l’espace ou prendre place sur de petits cubes. La narration se trouve toujours recomposée, proposant ainsi un monde mouvant aux contours incertains. Les personnages peuvent se transformer et rejoindre d’autres créations, d’autres œuvres, grâce à cette hybridation permanente.

Ho Tzu Nyen, Timepieces (vue partielle), LUMA  Arles 2025

  Le travail sur le temps lui-même avec T for Time, double projection vidéo qui comprend 42 chapitres avec un mélange d’images et d’anecdotes personnelles. Sa continuité Timepieces (2023) se compose de 43 vidéos qui cherchent à donner des « images du temps ». Les durées varient d’une seconde à de longues années, ouvrant sur un questionnement métaphysique sur la durée. Somme toute, l’éternité se trouve dans chaque instant ; ainsi s’amorce une réflexion sur la notion « d’éternel retour » chère à Friedrich Nietzsche, et de la figure antique de l’ouroboros.

  L’ambition de Ho Tzu Nyen, soutenue par son équipe, physique et virtuelle, ouvre un champ infini de possibles qui parfois donne le vertige.

 

                                                                                                                                                      Christian Skimao

jeudi 31 juillet 2025

Rencontres d'Arles 2025 (3)

 

Rencontres d’Arles 2025

Dans divers lieux de la ville

Eté 2025

 

 

 

Michael Cook, Majority Rule (Senate), 2014. Rencontres d'Arles 2025

 

 

                      Rencontres électives (partie 3)

 

 

  Des travaux de recherche prennent place ici, évoqués de façon fragmentaire. Ainsi On Country évoque l’Australie au travers des peuples premiers et de leur représentation (cf. l’affiche des Rencontres qui reprend un des protagonistes de la série des Super héros de Warakurna). Extraordinaire mise en regard d’une société autre avec Michael Cook qui pour dénoncer l’ancienne vision coloniale utilise toujours le même homme, un aborigène mâle, censé représenter l’ensemble de la société australienne. Les lieux changent, mais le même individu cloné se trouve partout, créant un effet visuel de saturation. En parallèle, l’exposition Futurs ancestraux poursuit au Brésil, la dénonciation des violences historiques faites aux minorités, liées à leur origine et/ou à leur orientation sexuelle. Castiel Vitorino Brasileiro  propose une œuvre Corpoflor qui frappe par sa puissance visuelle et son approche incantatoire. Sa transition de genre se trouve incarnée par ces rituels qui ont partie liés avec la transmutation des corps.

 

Castiel Vitorino Brasileiro, oeuvres, Rencontres d'Arles 2025

  Agnès Geoffray, à la Commanderie Sainte Luce, expose « Elles obliquent Elles obstinent Elles tempêtent » qui nous ramène dans une France d’autrefois, malheureusement pas si ancienne, du mi-19ème au mi 20ème siècle, sur fond de violence envers les jeunes filles mineures. Le sujet porte sur les « écoles de préservation », euphémisme pour parler des prisons censées « remettre dans le droit chemin » ces malheureuses. Des documents d’époque, des articles de presse se trouvent interprétés par une mise en situation actuelle de photos de rébellion. L’Histoire, toujours sombre de l’oppression d’un sexe par un autre, se trouve révélée et génère un grand malaise. Jean-Michel André, au Croisière, à l’étage, propose « Chambre 207 », une histoire personnelle, terrible, que l’on résumera ainsi : le 5 août 1983, le père de l’artiste, faisant halte dans un hôtel d’Avignon a été assassiné avec 6 autres personnes, tandis que le jeune Jean-Michel, âgé de 7 ans dormait dans une chambre attenante. Le travail passionnant d’André consiste là aussi à chercher les chaînons manquants, à défaut de faire toute la lumière sur cette affaire criminelle. Des images de Corse et du Sénégal, jointes à des coupures de journaux, créent une installation qui tente de rendre compte d’une résilience en cours.

 

Todd Hido, photographies et citation d'Emily Dickinson, Rencontres d'Arles 2025

  Enfin, pour reprendre notre souffle, les paysages de Todd Hido avec « Les présages d’une lueur intérieure », au premier étage de l’Espace van Gogh. Un parcours toujours étonnant et déroutant entre les souvenirs du photographe et les paysages présentés. Il règne une nostalgie jointe à une désespérance cultivée au travers de ses représentations, très subtilement travaillées, résultat de longues errances en automobile. La notion très américaine du voyage glisse vers une expérience quasi-métaphysique pour aboutir à une œuvre totalement envoûtante.

 

                                                                                                                                Christian Skimao

mardi 29 juillet 2025

Rencontres d'Arles 2025 (2)

 

Rencontres d’Arles 2025

Dans divers lieux de la ville

Eté 2025

 

 


Louis Stettner, sculptures, Rencontres d'Arles 2025

 

                                Rencontres électives (partie 2)

 

 

 

   Cette deuxième partie évoque des productions plus classiques et le plus souvent en noir et blanc. A l’Espace van Gogh, se trouve Louis Stettner (1922-2016), le plus parisien des photographes américains. Il a  oeuvré du côté des travailleurs, mixant une approche de la photographie de rue américaine et d’une photo humaniste à la française. Dans cette exposition de 150 photographies, se profile une approche réaliste qui laisse le champ ouvert à une vision autre du monde, des années 1950 (ex. Serveuse pendant sa pause, New York, 1946) aux années 1970. Une partie de l’accrochage le replace dans le contexte de son époque et des photographes qu’il a bien connu comme Boubat et Brassaï. Il ne pratique jamais un réalisme poétique placé sous le signe du charme comme Robert Doisneau, préférant conserver la vision de l’âpreté du monde quotidien. Son approche engagée contre la racisme, la misère, et la pauvreté ne l’a jamais quitté. Stettner a aussi été peintre et sculpteur et a pris des cours à Paris en 1948 avec Ossip Zadkine. Une petite vitrine présente certaines de ses sculptures qui ne manquent ni de vigueur, ni d’inventivité.

 

Gertrudes Altschul, sélecton de photos, Rencontres d'Arles 2025

  De nombreux photographes ont participé au Foto Cine Club Bandeirante (FCCB), club de photographie amateur de São Paulo fondé en 1939. Sous le titre de « Construction Déconstruction Reconstruction », à la Mécanique générale (LUMA), se trouvent des fleurons de la photographie moderniste brésilienne. Leurs compositions souvent très épurées privilégient des décors dignes du cinéma, de grandes perspectives avec parfois quelques personnages en qualité de modérateur d’échelle comme celles de José Yalenti avec Paralelas e Diagonais (1950). D’autres privilégient un Brésil en pleine transformation avec de nouveaux bâtiments et leurs lignes de fuite comme Marcel Giró (1912-2011), d’origine espagnole, qui réalisera aussi d’importantes campagnes publicitaires. Gertrudes Altschul (1904-1962), allemande, née à Berlin, une des rares femmes du FCCB, va explorer les photomontages, les photogrammes, la solarisation, etc. Elle ouvre une nouvelle voie grâce à ses multiples connaissances. L’importance des points de vue sur le monde des différents participant(e)s a permis, comme souvent dans les pays en devenir, l’émergence d’une culture, à la fois européenne, et résolument sud-américaine, tout à fait originale.

 

Letizia Battaglia, 3 photographies de Pasolini, Rencontres d'Arles 2025

  Letizia Battaglia (1935-2012), exposée à La Chapelle Saint-Martin du Méjean, a été très connue pour ses reportages et ses articles sur les crimes mafieux à Palerme et en Sicile, parus dans le quotidien L’Ora. Ses images ont fait le tour du monde, comme lors de l’attentat contre le juge Falcone en créant une véritable légende autour d’elle. Un admirable portait de Rosaria Schifani, la veuve du garde du corps Vito Schigani, tué avec le fameux juge, daté de 1992, sculpte l’éclairage, partageant son visage entre ombre et lumière, dans une mise en scène proche de la peinture baroque. Néanmoins, loin ou près, de ces aventures sanglantes, existe aussi une véritable vie locale, avec ses traditions et ses habitants. Documentant la vie des garçons et des filles, elle s’attache aux fêtes religieuses et à l’âpreté de la vie sur ces terres. La question du féminisme demeure également primordiale chez elle.                   

 

                                            

                                                                                                                                                       Christian Skimao

 

 

 

lundi 28 juillet 2025

Rencontres d’Arles 2025 (1)

 

Rencontres d’Arles 2025

Dans divers lieux de la ville

Eté 2025

 

 

Stéphane Couturier, photographie de la série 1027 + 123, Rencontres d'Arles 2025
,

                   Rencontres électives (partie 1)

 

  Débutons avec l’éclatante proposition de Stéphane Couturier à l’abbaye de Montmajour. Il mixe les images de la villa d’Eileen Gray à Roquebrune-Cap-Martin (réalisée avec Jean Badovici à la fin des années 1920) avec les peintures de Le Corbusier ainsi que du paysage environnant. Un petit rappel historique : ce dernier avait réalisé des peintures murales en 1938-39, sans en avoir demandé l’autorisation à Gray, pensant que son travail pictural pouvait se trouver imposé chez ses amis sans problèmes. Même si Eileen Gray avait quitté la villa E 1027 (numérotation d’après les initiales des lettres des 2 fondateurs) dès 1932, elle avait été fort choquée de la défiguration de son travail de designeuse et d’architecte. Aujourd’hui, Stéphane Couturier met en place un dispositif qui doit conduire à une osmose symbolique (1027 + 123 pour les initiales du Corbu) au travers de photographies extrêmement travaillées nommées par lui des « images augmentées ». La somptuosité du résultat jointe à une démarche résiliente, surtout après toutes ces années, subjugue le regard et ouvre de nouveaux horizons.

 

Collectif, affiche de La guerre de la langouste, Rencontres d'Arles 2025



  Autre problématique avec « La guerre de la langouste » qui n’aura pas lieu pour parodier la pièce de Giraudoux des années 1930 sur la guerre de Troie. Il s’agit ici d’une uchronie mise en récit par le critique d’art Jean-Yves Jouannais, l’artiste et enseignante Mabe Bethônico (travaillant sur le questionnement des archives et la création de fausses pièces), la scénographe Elisabeth Guyon et des étudiants de l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie. Cette installation, collective, assez vaste, se tient d’ailleurs dans les locaux de l’ENSP à Arles et propose de mettre en scène au travers d’objets, de films, de photographies, une histoire extrêmement plaisante qui se serait déroulée dans les années 1961 et 63, entre la France et le Brésil à propos de cet animal comestible. Un véritable incident diplomatique a existé entre les deux pays, à propos des zones de pêche, et a été vite aplani juridiquement. On se laisse facilement happer par le réalisme des créations proposées et des discours élaborés dans ce grand but fictionnel (ex. changement de la couverture de l’édition de poche de Mythologies de Roland Barthes où la DS se trouverait remplacée par le crustacé). Saluons le caractère inventif et très amusant qui tranche avec le sérieux et la componction de certaines expositions. Sourire demeure le privilège des langoustes, fussent-elles en guerre.

 

Kourtney Roy, photographie  de la série La touriste, Rencontres d'Arles 2025

  Voyageons avec  « La touriste » de Kourtney Roy qui déconstruit les vacances de rêve. Sur fond de décor de carte postale, la vie de la touriste (américaine) ressemble plus à un véritable cauchemar qu’à un séjour apaisant. Le clinquant le dispute à l’inutile avec des photos aux couleurs éclatantes. Une courte vidéo montre l’envers de la vie d’une possible retraitée où tout s’écroule dès que fond le masque de beauté. Un humour noir qui demeure assez éprouvant.

 

                                                                                                                                                        Christian Skimao

 

 

 

 

jeudi 24 juillet 2025

Expositions David Armstrong et Nan Goldin, Arles, 2025

 

Exposition David Armstrong, Photographies

La Tour, LUMA Arles

Du 5 juillet 2025 au printemps 2026

Dans le cadre d’Arles Associé

 

Nan Goldin, Syndrome de Stendhal

Eglise Saint-Blaise, Arles

Du 7 juillet au 5 octobre 2025

Dans le cadre des Rencontres d’Arles 2025

 

   

Photo de Nan Goldin par David Armstrong

 

                            Entre histoire et histoires

 

 

  Ces deux expositions fonctionnent en miroir. En effet, en 2009, aux Rencontres d’Arles, Nan Goldin présentait le travail de David Armstrong (1954-2024).  Aujourd’hui, une sélection de ses œuvres donne lieu à une grande exposition personnelle à la LUMA. Les deux photographes se sont connus jeunes à Boston et ont cheminé ensemble sur des voies à la fois proches et parallèles.

 

  Armstrong est connu pour ses nombreux portraits d’amis, d’amours et de relations diverses sur un fond urbain, souvent celui de New York (ex. Cookie at Bleecker Street, New York City, 1977). Un monde déglingué, pourtant porteur de promesses, où règne une sorte d’insouciance avec un arrière-plan de désespérance. Parfois ses photographies semblent, en apparence, assez traditionnelles, puis lors d’une lecture plus attentive, deviennent plus troubles et moins consensuelles. Le grain de l’image, l’éclairage et l’attention portée à ceux et celles qu’il photographie font toute la différence. Ainsi nommera-t-on le talent. Avec l’explosion du sida, la mort se dessine en creux dans les visages et introduit une notion de fin de parcours, comme des stèles qui parsèment le cimetière de nos illusions perdues. Des paysages qualifiables de vaporeux se trouvent aussi exposés (ex. Fountain at Schönbrunn, 1992). David Armstong a toujours affiché son homosexualité, dans sa vie et sur sa pellicule. A la vue actuelle de ce travail, joyeux et crépusculaire à la fois, surgit une forte émotion liée à cette esthétique de la mélancolie.

 

  Nan Goldin présente un film intitulé Syndrome de Stendhal, reprenant la théorie stendhalienne selon laquelle la vision de certaines œuvres, prend une signification particulière pour un visiteur ou une visiteuse de musée, pouvant conduire à des troubles psychosomatiques. N’oublions pas que Stendhal s’inscrit dans une certaine flamboyance mystico-hédoniste de type Romantique et conservons cependant la notion de trouble pour Goldin. Celle-ci présente dans son diaporama des images de chefs-d’œuvre de la Renaissance, du Classique et du Baroque, en provenance de grands musées comme le Louvre à Paris, le Metropolitan Museum of Art de New York, la Galleria Borghese à Rome ou la Gemäldegalerie de Berlin) en regard de ses proches et de ses amours. La structure générale de l’oeuvre s’inspire des Métamorphoses d’Ovide et ses ami(e)s se trouvent sous les traits de figures mythologiques (ex. Diane au bain ou La Mort d’Orphée) avec la voix de l’artiste et une bande sonore spécifique. Cette mise en équivalence fonctionne souvent mais n’apparaît pas si évidente. Photographies et peintures se trouvent parfois en juxtaposition plutôt qu’en transposition. La narration et la musique créent un lien possible entre deux mondes mais la différence de temporalité demeure extrêmement forte. Pourtant les musées ne demeurent-ils pas aussi troublants que certaines chambres américaines ? Et nous revoilà partis avec Stendhal à Florence…

 

                                                                                                                         Christian Skimao

 

                                                                                                                   

 

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vendredi 18 juillet 2025

Exposition Peter Fischli, LUMA Arles, 2025

 

Exposition Peter Fischli, People Planet Profit

Les Forges, LUMA Arles

Du 5 juillet 2025 au 11 janvier 2026

                             

Peter Fischli, entrée de l'installation People Planet Profit, vue partielle, LUMA Arles, 2025

                           Sens plus ou moins interdits

 

 

Cette exposition de l’artiste suisse Peter Fischli (membre du célèbre duo avec David Weiss, ce dernier disparu en 2012) occupe un grand espace pour explorer certaines phases du capitalisme mondialisé, une démarche souvent déclinée par bien des artistes contemporains. En se servant des images de son téléphone portable, toujours aplaties, l’artiste nous propose une exploration d’une réalité sise sous le signe du simulacre.

 

  Dès l’entrée, des photos en noir et blanc, imprimées sur un revêtement de sol en vinyle (Vertigo Vinyl Floor Pattern) tapissent le sol tandis qu’une grande installation de feux de circulation, plus ou moins désaffectés, avec deux couleurs seulement (blanc éclatant et jaune citron) s’allument et s’éteignent, présentant métaphoriquement la marche du monde, au travers des potentialités d’un parcours balisé. L’ensemble fait songer à ces parcours de laboratoire où de malheureux rats courent vers une hypothétique récompense. D’emblée, le sens de la marche peut entrer en contradiction avec le sens de sa vie. Le long de l’escalier menant à l’étage, une œuvre nommée Trackless Train, composée d’ images sérigraphiées et répétitives, contrecollées sur aluminium, d’un train touristique rose, en deux dimensions, mais avec des pneus, nous emporte visuellement dans une visite touristique connotée.

 

  Cette vision d’une ville connectée, dite « augmentée », ressemble de plus en plus à notre contemporanéité. Pourtant l’effet de déréalité joue à plein à cause de l’omniprésence des images inventées provenant d’un mille-feuille numérisé. L’enchevêtrement offre un sentiment apaisant d’épaisseur, tandis que la circulation permanente des capitaux, des humains, des représentations, du décor urbain, des désirs, des idées (?), ouvre le plus souvent sur un vide abyssal. Curiosité, fascination et perplexité composent ainsi une trilogie questionnante. À l’étage, une énorme présentation de 462 couvertures d’ouvrages, devant permettre à des débutants n’y connaissant rien, de s’enrichir rapidement grâce à la connaissance ultra-rapide du monde des affaires. Ces représentations usent de stéréotypes et se trouvent parfois retouchées par l’artiste (People Planet Profit). Reposant sur le concept entrepreneurial de « triple performance », Fischli convoque un modèle qui cherche à élargir les critères de succès des entreprises, en y incluant le bien-être social et la durabilité environnementale, en plus du profit, tout en se demandant si cela paraît vraisemblable ou appartient à la doxa affairiste.

 

Peter Fischli, People Planet Profit, couvertures d'ouvrages, vue partielle, LUMA Arles, 2025


  Pour continuer le débat, l’Histoire nous propose toujours des références, comme « Le Cauchemar climatisé (The Air-Conditoned Nightmare), titre d’un récit célèbre d’Henry Miller, qui offrait au lecteur des années 1940 une vision critique de l’American way of life . Aujourd’hui l’adjectif « numérisé » a bien détrôné « climatisé », quoiqu’avec la nécessité de rafraîchir en permanence les énormes serveurs des bases de données, un nouveau « cauchemar » reste à écrire.

 

                                                                                                                                                   Christian Skimao