Exposition
Les animaux, ça vous parle ?
Grenier
à sel, Avignon
Avec Erik
Bunger, France Cadet, Dominique Castell, Nicolas Darrot, Lab212, Jean Painlevé,
Daniel Spoerri, Tout/reste/à/faire, Knud Viktor, Filipe Vilas-Boas
Du 4
octobre au 31 décembre 2025
Le déclin de l’empire
humain ?
C’est sur un paradoxe que s’ouvre cette
questionnante exposition autour du langage des animaux. En effet, comment « parlent-ils »,
comment les comprenons-nous et vice-versa. La science tente d’y répondre mais
l’altérité demeure. Bien sûr, le travail de Jean de La Fontaine, inspiré d’Esope,
nous marque toujours, mais dans leur cadre d’un anthropomorphisme très
littéraire. Filipe Vilas-Boas nous invite à découvrir ses
Fabulations partir d’une machine qui utilise l’IA pour générer
de nouvelles fables, rédigées devant nos yeux à l’aide d’un dispositif
mécanique avec une fausse plume censée évoquer le passé.
Une grande installation nommée Aurae, de
Béatrice Lartigue et Nicolas Guichard, appartenant au collectif « Lab212 »,
joue avec un vide spatial ponctué de faisceaux lumineux qui libèrent des chants
d’oiseaux au-dessus du visiteur. Cette création environnementale use de sons
naturels capturés dans divers points du globe et donne naissance à une forêt virtuelle,
sonore, qui pourrait évoquer Baudelaire avec «… leurs grands piliers, droits et
majestueux ». Un autre collectif, « Tout/reste/à/faire », avec Mathieu
Desailly, Vincent Gadras et David Chalmin proposent Phasme carapace, une
sculpture de belle taille, reprenant la morphologie de l’insecte, composée
d’instruments de musique de l’Afrique de l’ouest. Cette hybridation se trouve
enrichie d’un dispositif sonore et de textes, l’ensemble dégageant une magie
inattendue.
Filipe Vilas-Boas, Les fabulations de La Fontaine, Grenier à sel, 2025
Deux artistes importants, France Cadet et
Nicolas Darrot ouvrent la monstration. Elle présente une tentative de
résurrection du dodo, oiseau exterminé par les Européens sur l’île Maurice à la
fin du 17eme siècle, en raison d’une chasse intensive, des maladies et des
rongeurs ramenés sur leurs bateaux. À travers une application sur smartphone,
ce dernier réapparaît, avec son cri, qualifiable d’affreux, dans un paysage
encadré. D’autres œuvres suivent, plus conséquentes, comme les Trophées de
chasse qui reprennent les « massacres » des chasseurs, ici des
créatures robotiques qui manifestent leur mécontentement de se trouver tuées et
transformées en pièces décoratives, grâce à une interaction menaçante vis-à-vis
du regardeur. Botched Dollies met en scène des animaux-robots qui présentent
leurs malformations, suite à de potentiels clonages ratés, dans l’esprit de la
malheureuse brebis Dolly. Là encore, ces derniers se plaignent en gémissant,
créant un effet de trouble et de malaise général. Robots avez-vous donc une
âme ?
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France Cadet, Trophées de chasse (détail d'un trophée), Grenier à sel, 2025 |
Darrot expose Apollo, petite pièce
suspendue, comprenant un félin factice en tenue d’astronaute. Une interaction s’effectue
avec le visiteur lors de son approche, puisqu’il virevolte et l’étrange chanson
de Nico, Le petit Chevalier, se déclenche. La contradiction entre la technologie
et l’apparence d’un artefact de type marionnette crée la surprise. Avec Prince
Vaillant, l’artiste met en scène Vaillant, pigeon voyageur qui a
porté le dernier message écrit du commandant Raynal en juin 1916, durant
la Grande Guerre. Cet agent de transmission, ou plutôt son clone, se trouve
dans un casque russe, récupéré sur le front ukrainien, qui lui sert de cockpit.
Une lumière irréelle rend l’univers d’une science-fiction glaçante, tempérée par
une sorte d’humour noir assez plaisant.
Un hommage spécial se trouve rendu à Knud
Victor (1924-2013), pour ses travaux sur les bruits minuscules produits par les
animaux et leur aménagement plastique. Ses « images sonores »
demeurent aujourd’hui une grande source d’inspiration pour une jeune
génération. Au sous-sol, se trouve reconstituée sa chambre de travail dans le Luberon.
Et un autre hommage historique à Jean Painlevé (1902-1989) avec des extraits de
son film La Pieuvre, daté de 1927, qui mêle poésie et amour du vivant.
Les travaux postérieurs de la philosophe belge Vinciane Despret, connus sous le
nom de « thérolinguistique » nous culpabiliseront désormais si nous
avions encore la tentation de manger du poulpe.
Christian Skimao