mercredi 8 janvier 2025

Exposition Butor-Caruana, ACMCM, Perpignan, 2024

 

Exposition Michel Butor-Francesca Caruana

Butor, 12 poésures et en… corps !

Centre d’art contemporain àcentmètresducentredumonde, Perpignan

En partenariat avec la revue ArtPress

Du 4 janvier au 25 janvier 2025

 

 

Exposition Butor-Caruana, Carnaval des dragons, ACMCM, Perpignan, 2025

     

                                       Transpositions transposées

 

 

        

  La transposition irrigue l’œuvre de Michel Butor (1926-2016) tout au long de ses rencontres artistiques, depuis Hommage partiel à Max Ernst, poème publié à 19 ans, dans la revue Vrille en 1945. Par le biais de l’écriture poétique et au travers de livres d’artistes, il a tenté de rendre compte de l’œuvre d’art, s’inscrivant dans une filiation qui comprend chronologiquement Charles Baudelaire et André Breton, pour ne citer qu’eux. Dans le cas présent la situation s’inverse puisque Francesca Caruana a confié à Michel Butor des toiles vierges avec des feutres. Il a rédigé douze poèmes directement sur les toiles en préservant des zones blanches. L’écrivain débute le processus et l’artiste va le suivre. Ainsi naissent ces Poésures au nombre de douze qui inversent le processus de transposition évoqué auparavant.

 

  L’exposition propose à la fois une présentation des douze réalisations mais toutes se trouvent enrichies et présentées à la façon d’un triptyque. Chacune possède un nom, Entrelacs, Carnaval des dragons, Hiatus, L’Antre de la Nymphe, Narthex, etc. L’œuvre croisée de Butor et de Caruana se trouve au centre et se nomme génériquement poésure. A droite se trouve une œuvre de grand format de l’artiste réalisée sur un support plastique de type papier bulles. Enfin à gauche se trouvent un grand dessin et des objets divers. Mais cette disposition peut également s’inverser. Ainsi opère le débordement dans une sorte d’installation verticale qui franchit allègrement les normes en vigueur. La toile sur bâche plastique opte pour un univers onirique, parfois marin, parfois cosmique, parfois minéral, qui convoque un gestuel maîtrisé et un sens aigu de la mise en espace. Les tracés de l’artiste évoquent les écritures de l’écrivain en une savante correspondance. Les « mots dans la peinture » pourraient devenir également les mots autour de la peinture grâce à cette danse rituelle. Il est également loisible de découvrir, de façon plus traditionnelle mais plus lisible, sous un cadre de verre le poème butorien reproduit en caractères d’imprimerie accompagné d’une œuvre référentielle de l’artiste.

 

  Situé uniquement au rez-de-chaussée du Centre d’art, ce dispositif resserré et efficace permet de mieux cerner les problématiques de la collaboration mais aussi de l’absence de l’écrivain, ce dernier nous ayant hélas quittés avant ses 90 ans. Francesca Caruana insiste fortement sur le caractère transitoire de cette monstration puisqu’elle doit rejoindre un musée qui la conservera dans son fonds, à charge pour lui d’éditer un catalogue dont les textes critiques existent déjà. Les institutions françaises ne sauraient laisser passer cette occasion malgré les temps de disette qui s’annoncent.

 

                                                                                                                           Christian Skimao

lundi 9 décembre 2024

Dominique De Beir et Pierre Buraglio, musée Fabre, Montpellier, 2024-25


Deux expositions

Dominique De Beir, Accroc & Caractère

Pierre Buraglio …d’après…autour…avec…selon

Musée Fabre, Montpellier

Du 7 décembre 2024 au 5 mars 2025

 

 

              Murmurer à l’oreille des collections

 

Dominique De Beir, Zone verte, 2014. Musée Fabre, 2024.

  Deux artistes de talent qui entretiennent aussi une relation de professeur à élève circulent avec brio dans les collections du musée Fabre.  Commençons avec Dominique De Beir, née en 1964, qui se situe, avec malice, dans le rôle de l’ancienne élève de Buraglio. Elle poursuit depuis des années un travail questionnant et singulier autour des supports, intervenant sur toutes sortes de papiers jusqu’à des matériaux plus éloignés. Ainsi Zone verte (2014), appellation ironique pour un matériau aussi synthétique, se compose de polystyrène, de peinture et d’impacts réalisés avec des outils créés par ses soins. Elle aussi se réfère à de nombreux artistes comme Eve Gramatzki ou Pierrette Bloch dont elle a été l’assistante. Pourtant, ses filiations la conduisent paradoxalement à une forte singularité. Sa façon d’utiliser des outils pour trouer, percer, creuser la « peau », dont certains se trouvent exposés, crée un délicieux frisson de transgression. Avec la dénomination « Accroc » et « Caractère », les deux termes doivent se séparer avant de s’assembler à nouveau, car le premier relève de l’accidentel et le second de l’univers typographique. La très grande pièce, au titre éponyme, suspendue dans l’atrium du musée, reprend les codes des perforations des papiers ainsi que l’utilisation de la paraffine. Son écriture exploratoire et contemporaine repose également sur sa connaissance du braille qui permet de comprendre les choses autrement, lire par le toucher. Comme le dit si bien l’artiste « Trouer signifie avant tout regarder autrement… », un acte essentiel où les lignes du papier rejoignent les lignes de vie.

 

Pierre Buraglio (gauche), 2024 d'après Max Leenhardt (droite), 1899, D'après ...Etude pour Le prêche au désert. Musée Fabre, 2024.

   Continuons avec Pierre Buraglio, né en 1939, en pleine forme, qui joue le rôle du maître de la précédente, et dont le sous-titre de son exposition « La peinture s’édifie sur ses propres ruines », ne manque ni de poésie, ni de piquant, ni non plus de vérité. Proche du mouvement Supports-Surfaces, sans y appartenir, il va interroger la peinture et les problématiques des supports avec ses « Agrafages », la notion de cadre avec sa série des « Fenêtres ». Parcourant depuis sa jeunesse les musées, il va peu à peu reproduire certaines parties des oeuvres au travers de dessins plus ou moins épurés. Il a consacré de nombreuses visites aux salles du musée Fabre, réinterprétant certaines de ses œuvres les plus connues. On retrouve donc les originaux (Bazille, Courbet, David, Leenhardt, etc.) et les représentations distanciées réalisées par Buraglio. Ainsi en va-t-il pour Étude pour Le prêche au désert de Maximilien Leenhardt (1899) qui devient Aux huguenotes (2024) de Pierre Buraglio ou encore Académie dite Hector (1778) de Jacques-Louis David transmuté en une série de dessins de Buraglio D’après David-Hector (2023). Des pièces plus anciennes parsèment l’ensemble, comme Metro della Robbia, composée de morceaux de tôles émaillées bleues du métro parisien, référence directe aux grès vernissés de la famille de céramistes Della Robbia de Florence. Ce « mélange » intergénérationnel débouche sur une lecture nouvelle, passionnante et parfois émouvante.

                                                                                                                             Christian Skimao

dimanche 24 novembre 2024

Laura Garcia-Karras, Aurélien Potier, MO.CO Panacée, Montpellier,2024

 

Deux expositions personnelles

Laura Garcia-Karras, PERENNIAL

Aurélien Potier, DEFAILLANCE DESIR

MO.CO Panacée, Montpellier

Du 26 octobre 2024 au 12 janvier 2025

 

 

Laura Garcia-Karras, "Honneurs", 2024, exposition MO.CO Panacée.

 

 

                                       Premiers pas à la Panacée

 

 Deux jeunes artistes proposent le résultat de leurs travaux récents, réalisés dans le cadre d’une résidence de plusieurs mois dans les locaux du MO.CO Panacée à Montpellier.

 

  Laura Garcia-Karras, née en 1988, vit et travaille à Paris et Aubervilliers. Elle propose PERENNIAL, sorte d’hommage à la nature au travers de grandes peintures qui représentent principalement des fleurs. Evidemment cette formulation, fort connotée, cache une réalité autre. Évoquons plutôt des plantes, et même des formes organiques qui se métamorphosent continuellement. Ainsi son approche n’est point naturaliste mais savamment orchestrée grâce à l’éclat des couleurs et à la puissance des compositions où apparaît une artificialité liée à une grande connaissance technologique. Comme l’évoque l’artiste, l’acte de peindre l’intéresse au premier chef, comme la plupart des créateurs d’aujourd’hui, mais aussi d’autrefois. Le « faire » demeure toujours ce lieu irréfragable d’où naissent abstractions ou figurations, en tout cas des formes qui se décomposent et se recomposent en fonction de la lumière, de la présentation et aussi du sentiment de celui ou celle qui regarde. La présence d’une grande excroissance peinte au plafond, Honneurs, déroute tout d’abord avant de nous rappeler qu’on n'échappe jamais vraiment à l’histoire de l’art.

 

Aurélien Potier, vue partielle de son installation, MO.CO Panacée, 2024.

  Aurélien Potier, né en 1992, vit et travaille à Marseille. Il œuvre le plus souvent avec des ronds d’acier poncés, tordus au chalumeau et soudés entre eux, obtenant des volumes et torsades d’une force certaine. Évidemment pour ce projet, DEFAILLANCE DESIR, passer à autre chose, tout en conservant cette base, demeure une évidence. L’adjonction de mortier de construction qui inonde des meubles usés et détournés offre un côté « trash », sans doute indispensable à sa narration. On peut gloser sur le sens caché des compositions proposées, mais un certain formalisme demeure aussi une grille de lecture possible pour aborder cette totalité. Cette « grille » se trouve donc présente physiquement et mentalement sous la forme de câbles qui perdent leur innocence apparente pour devenir des pièges intellectuels. Son mortier participe à une action de recouvrement qui tient debout un monde déjà en décomposition. L’importance de la mise en scène renvoie à des visions pleines de péril où la chute se trouve toujours possible. De cet enchevêtrement « câblé », naît un monde différent et assez inquiétant, pourtant  terriblement familier.


                                                                     Christian Skimao

 

lundi 18 novembre 2024

Exposition "Parade, une scène française", MO.CO, Montpellier, 2024

 

Exposition Parade, une scène française

Collection Laurent Dumas

MO.CO, Montpellier

Du 26 octobre 2024 au 12 janvier 2025

 

 

Claire Tabouret, Makeup (Red and Purple), 2016. Exposition MO.CO Montpellier, 2024.

 

                                  Comme à la Parade

 

 

  Un ticket gagnant se remet en place : une collection privée d’art contemporain rencontre une institution publique qui la reçoit, les deux contribuant à la réussite d’un événement tant didactique que passionnant. Évidemment, ceci ravive quelques souvenirs. Ainsi, Laurent Dumas, président du groupe Emerige, achète de l’art français depuis plus de vingt ans et va ouvrir en 2026 un centre d’art privé sur l’île Seguin à Boulogne-Billancourt. Une sélection d’œuvres lui appartenant, réalisées par une quarantaine d’artistes, se trouve mise en scène avec soin dans les locaux de l’Hôtel de Montcalm, avec une forte présence de peintures, agrémentée de quelques sculptures et de réalisations plus composites.

  Des artistes historiques comme Jean-Pierre Pincemin avec une très belle peinture intitulée L’arbre au tombeau de 1999, Daniel Spoerri, qui vient de nous quitter, avec Bateau en détresse ou péril en mer (Détrompe - l’œil) de 1985, assemblage d’une tapisserie rehaussée de peinture, d’un gyrophare, d’un véritable rostre de poisson scie qui jaillit en avant, menaçant et ironique, de feuillages artificiels et de poissons en porcelaine, contrecollés sur un panneau en bois. Raymond Hains se trouve présent avec Votez Arlette, de 1974, un décollage sur toile où il a récupéré un morceau d’affiche où apparaissent, grâce aux déchirures, les strates d’une certaine réalité. Christian Boltanski, incontournable, avec Réserve - La fête de Pourim, de 1990, reprend une de ses séries où des images floutées d’enfants juifs de 1939 se trouvent au-dessus de boîtes en aluminium rouillé. Le temps s’écoule alors que la douleur de la disparition demeure.

 

  Les variations picturales se déclinent avec une autre génération, comme Hélène Delprat avec WUT (FUREUR) de 2022, immense acrylique sur toile, mesurant 245 x 970 cm, où les riches motifs ornementaux cachent une réalité historique. Elle a utilisé une photo de 1945, lorsque des soldats russes inspectaient le bunker où s’était suicidé Hitler. La grande Nina Childress qui interroge sans cesse les images au travers de réalisations où le kitsch flirte avec un univers très psychanalytique, Long Hair Piece (Pièce aux longs cheveux) de 1998. La peinture épurée de Djamel Tatah qui œuvre dans un espace scénique et pictural côtoie les rébus intimistes de Georges Tony Stol. Sans oublier l’immense travail de Fabrice Hyber, bricoleur génial et créateur quantique, autour de la nature, avec Tornade de 2008-09 où le pédagogique rejoint l’artistique.

 

Adel Abdessemed, Untitled, 2014. Exposition MO.CO, Montpellier,2024.

  N’oublions pas une vague encore plus jeune de créateurs comme Assan Smati et son grand tableau aux couleurs vives, Parade, de 2015, 283 x 540 cm, où le grotesque le dispute au tragique et qui donne le titre à l’ensemble de l’exposition. En effet, la notion de combat se trouve présente d’emblée avec des clowns armés de bâtons et menaçant un trapéziste à terre. Cette problématique se trouve présente également dans La lutte de 2012 de Rayan Yasmineh qui joue avec les codes du « non finito » italien et des représentations orientales. Il en émerge une sorte de décalage cultivé fort intéressant. La sculpture époustouflante d’Adel Abdessemed, Sans titre, de 2014, reprend aussi des références historiques, le tableau du Caravage intitulé Sacrifice d’Isaac de 1597-98. Ici, les deux figures humaines constituées de lames de scalpel, représentent un homme agenouillé, l’artiste, tandis que celui qui tient le couteau est son père. La violence visuelle se charge aussi d’une violence symbolique où soumission et rébellion se déclinent par rapport à des messages venus d’ailleurs. Enfin Claire Tabouret, qui vit et travaille à Los Angeles, dont les oeuvres frappent par leur puissance et leur étrangeté car elle réussit à rendre inquiétantes les scènes les plus banales.

 

  Une collection à voir et à revoir, dans le cadre d’une relecture de nos futurs classiques…

                                                                                                                                          Christian Skimao

 

 

 

 

dimanche 10 novembre 2024

Saison de la Lituanie en France 2024, Aleksandra Kasuba et Marija Olšauskaitė

 

Expositions d’Aleksandra Kasuba, Imaginer le futur et de Marija Olšauskaitė, The softest hard

Dans le cadre de la saison de la Lituanie en France 2024

Carré d’art-Musée d’art contemporain, Nîmes

Du  25 octobre 2024 au 23 mars 2025

 

 

Aleksandra Kasuba, Spectre. Une allusion, 1975-2014. Vue partielle à Carré d'art, Nîmes.

 

 

          Lithuania / Lietuva : deux générations

 

 

   Aleksandra Kasuba (1923-2019), d’origine lituanienne, née à Siauliau, fuit son pays sous occupation en 1944 et s’installe aux Etats-Unis en 1947. La problématique de l’environnement et sa détestation de l’angle droit, la conduit à multiplier des réalisations en membranes tendues dans le cadre d’une approche novatrice. Elle propose des installations, mais aussi des travaux architecturaux dont beaucoup sont restés à l’état de projet (d’où les nombreuses maquettes présentes dans l’exposition). La pièce maîtresse intitulée Spectrum. An Afterthought (Spectre. Une allusion) réalisée à partir de 1975 a été reprise à divers moments jusqu’en 2014. Se composant de tissu synthétique, de lampes néon, de filtres colorées, d’acier, d’aluminium, de contreplaqué, de plastique, etc. elle offre la possibilité de circuler à l’intérieur afin de profiter des ambiances colorées et de participer pleinement à cette expérience immersive glissant vers l’immatériel. Les contributions de George Maciunas et de Jonas Mekas, deux grands artistes d’origine lituanienne eux aussi, permettent de saisir le contexte artistique dans lequel a vécu Kasuba. Intégrée dans cette société américaine en devenir et encore pleine d’espoirs, elle a poursuivi ses recherches à la fois architecturales, sociologiques, sculpturales autour des textiles et des formes.

 

Marija Olšauskaitė, Etangs, 2023. Exposition Carré d'art, Nîmes.

  Marija Olšauskaitė, née en 1989 à Vilnius, poursuit également une carrière internationale. Son choix de l’élément verre dans une démarche contemporaine, se trouve lié à la foisonnante production traditionnelle en Lituanie. Une série de sculptures nous accueille avec Never Act in Haste (Agir sans précipitation) où des panneaux en verre parsemés de découpes vides jonglent avec des formes colorées placées à part qui évoquent des souvenirs d’enfance. Une très belle installation de sculptures de verres horizontales, Ponds (Étangs) suit. Le miroitement de lumières placées en-dessous des plateaux offre un inépuisable questionnement sur les rapports entre nature et culture. Un autre type d’approche apparaît avec Tranquility Extensions (Prolongement de la tranquillité) où dans une pénombre complice surgissent des formes bleutées réalisées avec des filtres de couleur. Rejoignant un univers onirique et pourtant très matériel, l’artiste conjugue histoires personnelles et hommage à sa mère. Enfin, dans la dernière salle, des extensions de silicone pendent nonchalamment, explorant le rapport entre pratiques sociales et volumes. La rigueur des conceptions se trouve contrebalancée par la forte poétique de l’ensemble alors que les contraires s’attirent en une sarabande inattendue.

 

  Se trouvent ainsi présentées deux créatrices, deux tempéraments, deux générations avec la même volonté d’explorer les méandres d’un art en devenir.

 

                                                                                                                               Christian Skimao

mardi 15 octobre 2024

 

Exposition collective Le futur est déjà là Symptômes du vivant #2

Associée à Chroniques, la Biennale des Imaginaires numériques.

Avec Donatien AUBERT, France CADET, Thierry COHEN, Heather DEWEY-HAGBORG, Bastien FAUDON, Mathieu GAFSOU, Esmeralda KOSMATOPOULOS, Ethel LILIENFELD, Maxime MATTHYS, Julien PRÉVIEUX, STELARC, VARVARA & MAR, Filipe VILAS-BOAS

Le Grenier à sel, Avignon

Du 5 octobre au 31 décembre 2024

 

                   

  


                

                       Déclinaison d'un futur au présent

 

  C’était mieux avant quand les technologies faisaient encore rêver. Peut-être…ou pas. Certains artistes émettent des doutes concernant l’évolution technologique comme Maxime Mathis et son projet 2091 : The Ministry of Privacy, qui parodie le travail de surveillance de la communauté ouïghoure par l’état chinois. De même, Heather Dewey-Hagborg propose un portrait-sculpture à partir d’analyses de matériel génétique. Julien Prévieux, prix Marcel Duchamp 2014 (10 ans déjà, donc un autre monde), avec Les inconnus connus inconnus questionne l’identité avec l’utilisation de la reconnaissance faciale. Où se trouve désormais la frontière brouillée entre la célébrité et/ou son invention ?

 

  D’autres continuent dans une sorte d’exploration ludique comme Filipe Vilas-Boas avec Dumb City / La peau de banane intelligente, une fausse peau de banane qui prend vie et bouge lorsque l’on s’approche d’elle. En contrepoint, The Punishment qui comme son nom l’indique représente un bras articulé en train de rédiger des lignes de punition, de façon préventive, comme un élève indocile d’autrefois. Questionnante monstration qui nous fait voguer à travers les siècles et qui débute avec le Pierrot écrivain d’André Soriano (première moitié du 20ème siècle), un automate à musique qui est la réplique ancienne de celui créé par la maison Vichy au 19ème siècle. Au recto, apparaît la figure romantique du Pierrot qui écrit à Colombine, au recto la vision des rouages constitutifs. Stelarc, artiste légendaire et historique, a toujours voulu aller plus loin dans la relation corps-machine : « Tous mes projets et performances se penchent sur l’augmentation prothésique du corps, que ce soit une augmentation par la machine, une augmentation virtuelle ou par des processus biologiques. » (Libération, 2007). Une vidéo de 1997 Parasite jouxte les éléments corporels augmentés, exposés sous vitrine, comme la fameuse troisième main. France Cadet, artiste remarquable et remarqué, œuvre également du côté de l’hybridation, se mettant en scène dans la « peau » d’un cyborg avec la série Robot mon amour.

 

Vidéo Parasite, Stelarc en action, 1997

   Beaucoup travaillent dans des directions multiples qui parfois se rejoignent. Ainsi Donatien Aubert, artiste de talent et théoricien, propose un ambitieux projet nommé Veille infinie qui comprend un certain nombre de réalisations comme son court-métrage en images de synthèse, au titre éponyme, mais aussi une installation très rétro Les profileurs profilés (Jeff, Elon et Mark) en noir et blanc avec des halos lumineux qui ne sont pas sans rappeler la scène de Metropolis de Fritz Lang avec la transformation de l’androïde. Sans oublier des blocs holographiques et des dispositifs sculpturaux qui demeurent à la fois inquiétants et séduisants. Esmeralda Kosmatopoulos a réalisé une quinzaine de paires de mains, réinterprétant celles de Bruce Nauman ; fixes, elles semblent pourtant vivantes dans la pénombre. Elle étudie ainsi la relation entre le corps humain et les appareils technologiques (téléphones portables). Enfin, Thierry Cohen (affiche de l’exposition) avec ses photographies Binary Kids s’interroge sur l’avenir de la jeunesse par rapport aux envahissantes nouvelles technologies.

 

  À l’étage, un film réalisé par Ethel Lilienfeld, EMI nous interroge sur la vie potentielle d’une influenceuse d’aujourd’hui, entre narration consumériste et réalité numérique. La force dramatique de l’ensemble se pare des éléments d’un décor réinventé, proche de Barbie. Mais nos modernes images de synthèse meurent aussi et que deviennent alors les êtres de chair et d’os ?

 

  En conclusion, deux titres d’ouvrages pourraient paradoxalement résumer l’ensemble : Surveiller et punir de Michel Foucault et La vie mode d’emploi de Georges Perec. Il semblerait qu’avec les avancées technologiques d’aujourd’hui, toute production légèrement antérieure dégage rapidement un parfum de nostalgie. Evoquerions-nous un futur presque dépassé par un présent toujours en avance ?

 

                                                                                                                                                    Christian Skimao

mercredi 9 octobre 2024

Exposition "La Haute Note Jaune", Fondation Vincent van Gogh, Arles, 2024-25

 

Exposition La Haute Note Jaune

 Avec Richard Artschwager, Paul Blanchet dit Le Sauvage, Louise Bourgeois, Vittorio Brodmann, Claude Cahun, Nina Childress, Martin Disler, VALIE EXPORT, Markus Gadient, Bruno Jakob, Asger Jorn, Martha Jungwirth, Karen Kilimnik, Verena Loewensberg, Albert Oehlen, Thomias Radin, Pipilotti Rist, Klaudia Schi­erle, Pierre Schwerzmann, Hyun-Sook Song, Vincent van Gogh, Dominique White

Fondation Vincent van Gogh, Arles

Du 5 octobre 2024 au 2 février 2025

 

 

Louise Bourgeois, Arch of Hysteria, bronze et patine polie,1993.

 

                              Le jaune dans tous ses états

 

  Une fois encore, Vincent se trouve en position centrale, avec son Lieur de gerbes (1889). Accompagné par VALIE EXPORT, la grande artiste autrichienne, qui ouvre l’exposition avec des clichés d’elle-même des années 1970, réutilisés en 2009, décadrés et colorisés partiellement en jaune (Jump). Un autoportrait en noir et blanc de la même époque la montre en train de présenter un paquet de cigarettes, celui qui donnera son pseudonyme. Elle s’achève sur les « peintures invisibles » de Bruno Jakob, sans jaune, sans rien, en apparence, mais avec la trace de l’eau et la possibilité de retenir toute l’énergie du monde. Rappelons la tradition chinoise d’écriture avec de l’eau qui s’évapore rapidement, sur une surface de pierre ou autre, laissant ainsi place à la force du fugace.

 

  Un grand nombre de peintures, plus ou moins figuratives, de grand format et de grande qualité se trouvent entre les deux artistes précités. Asger Jorn, avec des toiles des années 1960, rébellion colorée du membre-fondateur danois de Cobra, où les hurlements stridents des couleurs se marient à la pensée en action. Plus tardivement, Martin Disler s’occupe à mettre à mal le bon goût en une sarabande post-expressionniste. Cet artiste suisse, né en 1949, également écrivain, a eu sa première exposition à la Kunsthalle de Bâle avant de mourir en 1996. Une découverte pour certains, les travaux récents et passionnants de Markus Gadient qui travaille sur la notion de paysage de façon récurrente, entre couleur et grisaille. Martha Jungwirth expose de grandes toiles à partir d’une relecture de l’Asperge d’Édouard Manet en un superbe choc spatio-temporel. De somptueuses réalisations de Hyun-Sook Song, coréenne d’origine, vivant et travaillant en Allemagne, permettent de faire le pont entre les deux pratiques. Ses coups de pinceaux définissent un espace où l’objet acquiert une dimension nouvelle : mystérieuse, majestueuse et précieuse.

 

Martha Jungwirth, une des peintures de la série Edourd Manet L'asperge, 2023

  D’autres travaux s’inscrivent dans une abstraction au sens large avec Albert Oehlen et son triptyque réalisé à l’huile et à la laque sur Alubond. Ce recouvrement de jaune (qui pourrait être celui de la couleur de la poste allemande, comme le rappelle avec malice Bice Curiger dans son texte de présentation) ne manque pas de puissance puisqu’il se trouve surligné par des tracés noirs et remanié par une série de signes et de points : l’industriel au service de l’artisanal ? Caché dans un recoin, un petit portrait, très libre, de Van Gogh. Pierre Schwerzmann use du  trompe-l’œil avec brio. Ses œuvres froides et géométriques ne se trouvent point réalisées sur du métal, mais sur de la toile. L’effet obtenu oblige à reconsidérer les dates des œuvres et leur inscription dans une histoire de l’art décalée. Verena Loewensberg, la seule figure féminine de l’art concret suisse, se trouve mise en valeur avec sept toiles. Toute la rigueur du mouvement s’y retrouve, tempéré d’une certaine joie intérieure.

 

  Nina Childress, inclassable, propose des portraits réalisés avec des pigments phosphorescents dont Family of 24 (Ringo et Sheila entourés de peluches monstrueuses), les quatre portraits de Sylvie Vatan (2023), ou Genoux serrés et Bad genoux serrés. L’utilisation de torches spéciales demeurent indispensables pour découvrir les effets visuels de ces compositions pop, verdâtres en apparence et pleines de secrets.

 

  Côté volume, une œuvre de l’immense Louise Bourgeois, suspendue dans l’espace, Arch of Hysteria (1993), en bronze poli, corps féminin sans tête et en tension, qui interroge sur sa vie et ses obsessions. Richard Artschwager propose un gros point d’exclamation jaune très dynamique tandis qu’à l’étage une admirable sculpture de Dominique White nous attend, The Tortuous (La Tortueuse) de 2023. En acajou et fer forgé, une sorte de spirale pointue comme une lance s’élance vers le ciel tandis que sa base brisée nous invite à réfléchir sur la vanité des choses.

 

  Des portraits de Paul Blanchet dit Le Sauvage (1865-1947), émaillent la monstration. L’homme revenu de son service militaire au Sénégal décida de n’en plus faire qu’à sa tête, de raconter des histoires et de prendre des poses lors de saynètes comme un moderne performer. Il est né et a vécu à Saint-Rémy-de-Provence, n’a jamais rencontré Van Gogh, mais fait partie désormais d’une « légende dorée » laïque, donc jaune.

 

                                                                                                                                                    Christian Skimao

 

 

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PS  En 2007, Claude Viallat exposait à la Fondation Van Gogh (la première, que dirigeait alors Yolande Clergue) sous l’intitulé La haute note jaune. Je profite de cette correspondance pour saluer la mémoire de cette pionnière arlésienne, disparue récemment en septembre 2024.