samedi 20 avril 2024

Exposition Nicolas Momein, Domaine de Panéry, Ceysson et Bénétière, 2024

 

Exposition Nicolas Momein

Wipe your cheeks

Domaine de Panery, Ceysson et Bénétière

Du 13 avril au 14 juin 2024

 

 

Nicolas Momein, vue partielle de l'exposition, domaine de Panéry, 2024

 

                              Matières et pensées

 

 

  Cette exposition de Nicolas Momein propose différentes réalisations sérielles. La première avec de la poudre d’aluminium pigmentée sur toile (Transfert 2024); une deuxième utilisant de la poudre d’aluminium pigmentée sur vinyle contre collé (Orné, Boomerang,); une troisième, avec de l’acrylique sur toile de jute (Lining) ; enfin une quatrième, plus spécifique avec un support d’origine animale, transfert à chaud, poudre d’aluminium sur peau (Peaux à peaux 2024). La mise en avant des techniques utilisées ici n’est pas anodine car elle s’inscrit dans la démarche de l’artiste, qui opère un travail d’appropriation de celles-ci pour obtenir un résultat différent. Cette recherche dans le domaine du « faire », dépasse bien entendu le débat entre art et artisanat, pour aboutir à une réutilisation contemporaine et décalée de pratiques nées dans le monde industriel.

 

  La présence de ses surfaces réfléchissantes frappe au premier regard. L’utilisation de feuilles d’aluminium pigmenté servant au contre collage industriel a de quoi surprendre. Ces pigments s’ajustent en surface sur leur support tout en se plissant, d’où ces zones qui délaissent le « bien fait » pour glisser vers de plus turbulentes qualifiables de « mal fait ». J’emprunte ici cette ironique dichotomie à François Morellet qui jonglait avec malice entre les notions de « bien peint » et de « mal peint ». Le choc visuel demeure quant à lui intact et se trouve même renouvelé par cette démarche hors cadre. Ces pressions à froid sur vinyle se trouvent donc savamment orchestrées tout en laissant libre cours à toutes les interprétations possibles. L’apparition d’un certain lyrisme au travers de ces gestes contraints transforme chaque « peinture » (la dénomination semble assez impropre mais sa résonance passionnelle demeure trop forte pour se trouver négligée) en une sorte d’opéra sauvage. Dans le caveau du Domaine, s’exposent aussi de petits formats encadrés qui ne manquent pas d’une insolente élégance.

 

  Concernant ces étranges peaux, l’artiste poursuit son travail de « sape », introduisant, une surprenante dose de baroquisme. La rencontre, non fortuite, entre un élément naturel bien que transformé et des éléments industriels très typés, donne naissance à des œuvres hybrides. S’installant dans une entreprise, « Eureka », à l’occasion d’une résidence organisée par le Centre d'art le Lait à Graulhet en 2022, Nicolas Momein a mis en place une vision artistique toute reprogrammée. La pensée demeure un outil au service d’une esthétique liée à des conditions matérielles en perpétuel devenir.

 

                                                                                                                   Christian Skimao

 

 

 

 

vendredi 12 avril 2024

Manifestation "Une nouvelle jeunesse" dans le cadre de la "Contemporaine" de Nîmes, 2024

 

Manifestation Une nouvelle jeunesse dans le cadre de la Contemporaine de Nîmes

La fleur et la force

De nombreux artistes dans de nombreux lieux institutionnels et en plein air

Ville de Nîmes

Du 5 avril au 23 juin 2024

 

 

 

Jeanne Vicerial – Installation de mèches au sol in situ réalisée avec 466 km de fil – Armor n°5, 2016-2024.Textile, fils, cordes, tricotissage. Musée du vieux-Nîmes, 2024.

 

            L’union fait la force des sentiments artistiques

 

 

  La dénomination générale fait penser à une sorte de poupée gigogne. Ainsi, la Triennale de création contemporaine comprend la Contemporaine de Nîmes dont la première édition se nomme Une nouvelle jeunesse qui comprend diverses manifestations dans la ville de Nîmes, dont la principale a pour nom La fleur et la force, dans des zones institutionnelles et en plein air, accompagnée d’une Programmation associée, (des manifestations satellites). Le principe de base adopté par les commissaires de la manifestation, Anna Labouze et Keimis Henni, réside sur la composition de douze duos d’artistes afin d’établir une confrontation nouvelle entre les œuvres. Sophie Roulle, adjointe à la Culture de la ville de Nîmes, a été l’instigatrice du projet et a œuvré à sa réalisation et mise en œuvre grâce à de multiples partenariats.

 

  Jeanne Vicerial et Pierre Soulages (à titre posthume) exposent au musée du Vieux-Nîmes. Intitulée « Avant de voir le jour », cette mise en scène de leurs œuvres respectives demeure une grande réussite. On connaît le talent de l’immense Pierre Soulages et de ses Outrenoirs, mais aussi la fougue plastique de la virtuose du tissu dont les présences féminines noires et blanches ponctuent l’espace. En un lieu dédié, dans la pénombre, se trouve une gisante (Amnios) de Vicerial et au-dessus d’elle une toile de Soulages, Peinture166 x 230 cm, 17 janvier 1980. La musique environnante de Louis Vicerial ainsi que le parfum évocateur de Nicolas Beaulieu offrent un environnement teinté de mystère tandis qu’une Mue et un polyptyque de Soulages veillent également. Sans doute la meilleure installation en duo de toute la manifestation.

 

  Au musée des Beaux-Arts, « Rien ne me manque », marque la rencontre entre les gouaches de Baya (ici aussi à titre posthume) et les réalisations pleines de punch de Neïla Czermak Ichti dont son ring central et ses catcheuses. La force de Baya repose sur une sûreté du trait jointe à une magistrale utilisation de la couleur. Ses œuvres ne vieillissent pas et conservent une éternelle jeunesse. Le Musée des Cultures Taurines propose « Pleins feux » avec une vidéo extraordinaire d’Aïda Bruyère intitulée Make Up Destroyerz III où des adolescents et adolescentes créent un monde nouveau après quelque apocalypse. Inventivité et dérision jouent avec les codes d’un monde machiste qui a failli. Des photographies de Judy Chicago retracent certaines de ses performances avec feux d’artifice et fumigènes. Enfin dans la Chapelle des Jésuites, « Habiter la forêt » apparait comme un film émouvant de June Balthazard montrant des enfants vivant dans les bois et luttant contre la déforestation malgré les adultes. Une installation de branchages sert de rappel ainsi des troncs d’arbres préparés pour les spectateurs. Une tapisserie de Suzanne Husky, La Noble Pastorale, avec bulldozer, parachève le tout.

 

Plein air et monumental avec « Water Lines », dans les jardins de la Fontaine, de Feda Wardak et Tadashi Kawamata avec le passage de l’eau au travers de deux structures, un aqueduc, évoquant le Pont du Gard, l’autre une gouttière de bois, sorte de rigole qui court dans le parc. Cette métaphore du passage de l’eau qui s’écoule en permanence évoque bien sûr un passage de témoin générationnel. Avec « Les trois visages d’Héliogabale » on se trouve en présence d’une vidéo sur trois écrans réalisée par Valentin Noujaïm auxquels répondent trois masques d’Ali Cherri que l’on voit également dans le film. L’ensemble se trouve situé le long du Musée de la Romanité dans deux fosses profondes, dans un passage conduisant au jardin de l’institution, d’où émergent les réalisations. La figure d’Héliogabale demeure mystérieuse dans l’Histoire, entachée de crimes et d’oubli par la suite, sans doute en raison de ses orientations sexuelles. Entre le jeu des comédiens, la chanson de Nina Simone, et Artaud en intertexte, l’ensemble demeure à la fois déroutant et séduisant. Caroline Mesquita et Laure Prouvost ont érigé une sculpture interactive sur la Place du chapitre nommée « Bee be mon manège ». L’abeille, l’oiseau et l’être humain avec sa pancarte servent de prétexte à la création d’une sorte de roue de la fortune puisque des poignées intégrées permettent de faire tourner ce manège existentiel. Avenue Feuchères, dans la zone protégée des voitures, Delphine Dénéréaz propose ses tissages de récupération, accrochés en l’air, avec la collaboration de la poétesse Sonia Chiambretto et des élèves de 4ème du collège éponyme, pour les fragments d’écriture.

 

Hugo Laporte, Mirage 2021-2024, matériaux divers, Carré d'Art, Nîmes. 

  Concernant Carré d’Art, on trouvera dans une des parties hautes, « Oracle Museum », avec Hugo Laporte et Katja Novitskova qui proposent un doublé de grande qualité. Une préparation d’un avenir complexe dont l’œuvre « Mirage » de Laporte semble annonciateur. Des structures mobiles, colorées et lumineuses se répondent dans une obscurité craintive. La technologie se trouve utilisée, mais dans le sens d’un futur déjà dé-passé. Au même niveau les « Partitions sédimentaires » d’Alassan Diawara et Zineb Sedira questionnent photographiquement la transmission familiale et les histoires communes. Enfin au sous-sol, « G(Hosted) » de Prune Phi et Smith questionnent d’autres rituels. Prune Phi propose une rencontre entre l’informatique globalisée et les rites funéraires du Vietnam (bien sûr, cela fonctionne avec l’indocilité incontrôlable des machines, mais ne sommes-nous pas en phase avec l’au-delà ? ) tandis que les signaux lumineux de Smith nous flashent.

 

  Il semblerait que la participation en amont des élèves et étudiants ait fonctionné à plein concernant les travaux préparatifs avec les artistes. Comme dans toute première édition, il y a sans doute des aménagements à faire pour parfaire cette Contemporaine, qui a déjà le mérite d’exister et de permettre à la Nîmes de renouer avec les enjeux de l’art actuel, sachant que la concurrence (préférons collaboration ?) semble rude dans le sud de la France. La possibilité d’occuper de vastes locaux industriels permettrait une extension du domaine de la création comme cela se pratique dans d’autres villes. Une affaire à suivre dans trois ans, au plus tard…

 

                                                                                                                         Christian  Skimao

jeudi 25 janvier 2024

Exposition Toni Grand, musée Fabre, Montpellier, 2024

 

Exposition Toni Grand

Morceaux d’une chose possible

Musée Fabre, Montpellier

Du 20 janvier au 5 mai 2024

 

 

Toni Grand, Sans titre, 10 juin 1988, au premier plan et photo de l'artiste au second plan, musée Fabre, 2024.

 

 

 

 

  Sec, brut, refendu…le faire en action permanente

 

 

 Une exposition très claire et très bien documentée qui présente le parcours de Toni Grand et ses recherches sur la notion de sculpture. En quatre parties, une approche didactique permet de comprendre le parcours d’un artiste, quelque peu oublié par les jeunes générations, dont le travail conserve une puissante actualité : « Du bricolage sans importance » ; « Le double-jeu de la sculpture » ; « Le vivant et le fossilisé… » et enfin « Dénaturer l’art. Couleur, géométrie, éléments industriels ». Saluons également la présence d’Olivier Kaeppelin dans le commissariat scientifique de cette monstration.

 

  Durant l’époque héroïque de Supports/Surfaces, Grand, qui a connu Viallat dès son plus jeune âge, a proposé une approche où la dénomination des termes techniques utilisés pour la découpe du bois devient le titre même de l’œuvre, comme pour cette réalisation datant de 1970-75 : Sec, brut, débité entier-glissé-collé. Ce « bricolage » au sens où l’entendait Claude Lévi-Strauss s’inscrit dans une démarche artistique proche du minimal art, mais typiquement française. L’apparente technicité du vocabulaire cache néanmoins une poésie propre aux pièces dont la virtuosité demeure intacte.

 

  L’introduction d’un élément nouveau, la résine, pose de nouvelles problématiques. Cette matière, artificielle, enrobe le bois, matière naturelle, créant des effets d’opacité et de transparence. Conjointement apparaissent des colonnes doubles, créées à partir de troncs d’arbres sciés en deux. Le stratifié polyester épouse le demi-tronc évidé du bois pour donner naissance à un volume hybride. Une fois encore, l’apparente simplicité de son travail met en lumière la complexité intellectuelle où se trouve toujours évoquée la dimension humaine. Avec l’utilisation de l’acier découpé, le plein et le vide se répondent comme dans Sans titre (1981). Au poids des matériaux répond l’élégance de la pensée en action.

 

  L’apparition des poissons dans ses sculptures marque une date importante. En incluant dans un matériau artificiel, du vivant, l’artiste franchit un nouveau cap, comme en témoigne une réception assez controversée à l’époque des premières présentations. Différents éléments, comme les os de chevaux ou des fragments de squelette de bovins ont également participé à cette approche. Toni Grand incorpore ainsi une partie du monde réel dans ses sculptures. Les anguilles se trouvent souvent incluses, mais aussi d’autres variétés aquatiques. La notion de momification apparaît, non point dans l’apparat de l’ancienne Egypte, mais dans une approche paradoxalement cosmique, imprégnée de la connaissance matérielle et symbolique des éléments terrestres et maritimes.

 

  Pour terminer, évoquons les sculptures géométriques avec poissons qui proposent une géométrie un peu branlante et très inattendue, semblable à celle de 1988, Sans titre. Enfin une dernière série composée d’amas de bois sculpté et peint, dont la légèreté évoque un nuage. Ses amas de grande taille, imposants et fragiles, se trouvent fixés au mur ou parfois placés sur des objets fonctionnels et industriels comme Genie Superlift Advantage de 1999. Les machines ne sont désormais plus célibataires et composent avec un volume plus ou moins évanescent. La disparition prématurée de l’artiste laisse évidemment un goût d’inachevé, mais son œuvre demeure plus intrigante et questionnante que jamais.

 

                                                                                                                       

                                                                                                                               Christian Skimao

 

 

 

 

 

mercredi 24 janvier 2024

Exposition Mitja Tusek, Ceysson & Bénétière, Domaine de Panery, 2024

 

Exposition Mitja Tusek  ici, ailleurs

Ceysson & Bénétière au Domaine de Panery ( près d’Uzès)

Du 19 janvier au 20 février 2024

 

 

Mitja Tusek, Fact checking, 2016

 

                                         Pièges

 

 

 Il est des rencontres fortuites qui ouvrent le regard sur un ailleurs caché. Ainsi Michel Duport, artiste bien connu, qui passait voir les « forêts » de Mitja Tusek a évoqué devant moi cette notion de piège. En effet, les toiles de l’artiste d’envergure internationale, d’origine slovène et de nationalité suisse proposent un résultat visuel où ses écrasés de peinture constituent une idée de forêt ou plus précisément encore un piège abstrait ou s’égare une idée figurative. Que voyons-nous véritablement ? Et que fantasmons-nous inconsciemment ?

 

  Mitja Tusek travaille de façon sérielle avec un monde de couleurs où les repères s’effacent et où le regard finit par se perdre, car il n’y a ni horizon, ni ligne de fuite. L’extrême matérialité de sa production se trouve confortée par l’utilisation de découpes de papier bulle (film bulle, plus exactement), les mêmes qui servent à l’emballage des œuvres d’art, imprégnées de peinture puis pressées plus ou moins fortement sur la toile. Cet étrange mouvement crée des empreintes que l’on retrouve dans le résultat final de l’œuvre, introduisant dès lors une sorte de blocage par rapport à une appréciation trop naturaliste. Ces variantes vertes, bleues et brunes créent en apparence un espace illusionniste pour celui ou celle qui regarde. Mais il ne s’agit pas ici du but voulu par l’artiste qui s’inscrit dans une peinture beaucoup plus conceptuelle.

 

  Certaines œuvres n’utilisent pas ce processus lié au papier bulle, comme The wind blow high et The wind blow low (2019) qui composent un diptyque s’inscrivant dans l’histoire de l’art. Peut-on évoquer les peintures de l’Ecole de Barbizon, mais passées à la moulinette d’une réflexion intellectuelle sur l’apparence des choses ? Ou encore les paysages de Courbet où le vert apparaît parfois dans son artificialité même ? Les titres nous éloignent d’ailleurs de toute référence naturelle ou élégiaque et laissent planer un grand doute. Une narration se met en place, en fonction des questionnements picturaux et philosophiques de l’artiste, mais où le sens change en fonction de l’appréciation de chacune et de chacun. Si les archétypes ont la vie dure, l’art se cache souvent dans les détails.

 

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                                                                                                                                                    Christian Skimao

 

 

 

 

vendredi 22 décembre 2023

Exposition Christian Jaccard, Musée Fabre, Montpellier, 2023-24

 

Exposition Christian Jaccard

Une collection

Musée Fabre, Montpellier

Du 16 décembre 2023 au 21 avril 2024

 

 

Christian Jaccard, Couple  sauvages  (l'une des deux), 2023.

 

 

                                       Feux croisés

 

  Christian Jaccard, artiste rare, joue avec le feu, plutôt les feux et propose un travail à la fois matériel, esthétique et philosophique autour de la notion de combustion. Cette mise en scène d’un fonds chronologique dans les étages du haut et dans l’atrium Richier permet ainsi de faire le point sur la traversée de la modernité d’un proche des artistes du mouvement Supports-Surfaces, mais d’une singularité certaine.


  S’il porte une attention aux matériaux, son approche spirituelle l’emmène sur des chemins de traverse liés à la transmutation des matières et à l’invention du « concept supranodal ».  Avec la présence de Couple, nœuds sauvages (2023), deux toiles indissociables et récentes, sises dans l’atrium, cette démarche apparaît de façon plus claire. L’artiste a souvent évoqué des « masses de nuages blancs, colorés, noués, entrelacés » pour expliquer son travail ; leur transposition au travers de la combustion lente questionne l’inversion apparente du calciné à l’immaculé. Se trouve également une toile des années 1980, Anonyme calciné (1981), issue de la série éponyme. Jaccard cherchait sur les marchés et dans des lieux dédiés aux rebuts des œuvres peintes et non signées du 17ème au 19ème siècle, souvent dans un état lamentable. Il intervenait ensuite avec des mèches enflammées. Le résultat, spectaculaire, joue sur le cloisonnement et aussi sur le masquage/dévoilement d’œuvres qui n’existaient plus. Son approche, sans doute mal comprise par certains de ses pairs à l’époque, a posé un nombre incroyable de questions par rapport à l’utilisation du feu, perçu souvent comme destructeur, afin de redonner vie à ce qui était oublié. L’Anonyme avait ainsi retrouvé une nouvelle identité. 

  Dans les salles supérieures, se trouvent présentés des travaux de diverses époques, classées suivant certaines thématiques. Les Empreintes avec Couple-toile-outil calciné (1972), qui lui permet d’explorer les problématiques de la toile libre posée au sol et marquée par des cordes, ficelles, ligatures qui viennent de brûler par combustion lente. Avec les Polyptyques, Jaccard use également d’un autre matériau, le gel thermique. La répétition des modules ouvre de nouvelles perspectives visuelles. Les formats s’agrandissent et débouchent parfois sur des réalisations in situ. De nombreuses références au Vésuve et à son rouge volcanique trouvent place dans une œuvre comme Tondo BRN 04 (1991). Ainsi nature et culture s’épousent dans des noces fantasmatiques. Enfin, la série des Papiers ouvre sur des recherches où la fragilité du support permet de nouvelles déformations. Bellona (1984) opte pour une combustion à mèche lente sur de l’acrylique rouge. Cette nouvelle vision d’un monde extérieur et intérieur oriente la recherche du maître des feux. A ne manquer sous aucun prétexte…

                                                                                                                                              Christian Skimao

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Exposition Christian Jaccard

Ignigraphies

Galerie AL/MA

5, Plan du Palais, Montpellier

Du 8 décembre 2023 au 3 février 2024

  En même temps, se déroule une exposition, de conception muséale, organisée par Marie-Caroline Allaire-Matte, dont on connaît les qualités d’organisatrice (en témoigne une œuvre monumentale de Jaccard à l’abbaye de Lagrasse en 2017, réalisée dans le cadre d’IN SITU, pour rester dans le thème imparti). Dans sa galerie, Ignigraphies se compose de 200 dessins indissociables réalisés entre 2006-2007. Toutes les thématiques de l’artiste autour de la combustion s’y retrouvent. Un complément indispensable au fonds présenté par le musée Fabre.

                                                                                                                    

 

                                                                                                                                               

 

 

samedi 25 novembre 2023

L'Atelier du Sud, Fondation Vincent Van Gogh et Résidence d'artistes, Arles, 2023.

 Manifestation : L’Atelier du Sud : l’Exposition

Avec Laura Owens, Candida Alvarez, Alvaro Barrington, Julie Beaufils, Julien Ceccaldi, Jacob Eisenmann, Gabriele Garavaglia, Charlotte Houette, Gary Indiana, Parker Ito, François Lancien-Guilberteau, Sadie Laska, Miriam Laura Leonardi, Eric Palgon, Blake Rayne, Adee Roberson, Andy Robert, Clément Rodzielski, Asha Schechter, Alake Shilling, Naoki Sutter-Shudo, Alicia Vaïsse, Mona Varichon, Alexander Zevin & Vincent van Gogh

Fondation Vincent Van Gogh et la Résidence des artistes, Arles

Du 18 novembre 2023 au 21 avril 2024

 

 

 

Alvaro Barrington, installation, vue partielle, FVVG, Arles, 2023.

               Une toile d’araignée conceptuelle

 

 

  Laura Owens, incontournable et bienveillant fantôme, a réalisé une sélection d’artistes pour les faire résider deux mois chacun et chacune à Arles, dans une résidence appartenant à la LUMA. Ce projet coproduit entre les deux institutions présente des œuvres achevées à la Fondation et des œuvres spécifiques réalisées à la Résidence. Des liens existent évidemment entre les deux. Une sorte de « spider art », difficile à saisir de prime abord mais qui se déguste lentement, au gré des balancements du vent et des créations saisonnières. L’autre grand et véritable fantôme demeure Vincent Van Gogh, toujours prêt à servir la cause des arts de son époque et de la nôtre.

  L’ensemble des œuvres présentées à la Fondation s’inscrit dans une grande diversité. Les matériaux jonglent avec les idées pour aboutir à des réalisations souvent inattendues. Ouvrons la visite avec les toiles de Julie Beaufils. Elles déclinent avec beaucoup d’élégance une abstraction qualifiable de surréaliste. L’installation d’Alicia Vaïsse avec ses chiens bondissants qui tentent de s’échapper par le mur achève le parcours en une sorte de feu d’artifice animal à forte connotation onirique.

Parker Ito, Oeuvres murales, vue partielle, FVVG, Arles, 2023.


  Pour les autres artistes, Charlotte Houette réalise la fenêtre de l’atelier de sa résidence en reprenant ses dimensions exactes, tout en la recouvrant de feuilles de gélatine (référence indirecte à la Fresh Widow de Duchamp et ses opaques carreaux en cuir). Ces dernières évoquent le cinéma, exploré en compagnie de François Lancien-Guilberteau, avec l’organisation d’un ciné-club intitulé Totale Dérive. On voit ainsi l’interaction entre les deux lieux, la conception et la mise en scène du projet global d’échanges. Les réalisations entre bande dessinée de grande taille et fresque sur papier de Parker Ito déclinent des problématiques contemporaines sur fond d’humour noir et grinçant. Candida Alvarez a réalisé une grande fresque murale où s’emboitent formes et sentiments dans une explosion colorée. La pratique d’Alake Shilling surprend par son côté enfantin qui mélange dessins animés et représentations qualifiables d’innocentes. Pourtant, derrière ces couleurs acidulées et ces formes malléables comme de la guimauve, se dissimule un discours nettement plus radical. Enfin Alvaro Barrington et sa grande installation de carton et béton nous entraîne dans une subtile exploration de la réalité au travers de lieux difficiles où poussent parfois des roses. Tout un univers à découvrir au travers d’indices existentiels laissés discrètement sur la peau des murs. Sans oublier d’énigmatiques peintures de Laura Owens et une partie filmique réalisée autour du pont Van Gogh et une autre avec images réelles et de synthèse sur une course poursuite dans les rues d’Arles. Des interconnexions à développer et à suivre…

 

                                                                                                                                                    Christian Skimao

vendredi 24 novembre 2023

Exposition Huma Bhabha, MO.CO, Montpellier, 2023.

 Exposition monographique de Huma Bhabha

« Une mouche est apparue, et disparut »

MO.CO. Montpellier

Du 18 novembre 2023 au 28 janvier 2024

 

 

Huma Bhabha, VESSEL, statue matériaux divers, 2014.


                        Comme une boule à facettes

 

  L’excellent travail de cette artiste d’origine pakistanaise balaie tous les registres, allant de la contemporanéité à la relecture des grands artistes de la modernité et des temps anciens, en passant par des références aux formes populaires du cinéma et de la science-fiction. Il en va de même avec les matériaux utilisés, glissant avec aisance de l’argile au bronze en ne négligeant point le polystyrène, pour ne citer qu’eux. Huma Bhabha, qui réside Etats-Unis, opte pour une approche résolument actuelle, se voulant non dépendante des étroites références nationales, ouvrant des portes pour toutes et tous sur les mondes passés et futurs.

 

  Si Centaur (2000) ouvre l’exposition, il s’agit de montrer où réside cette interpénétration, évoquant des mythes anciens avec des matériaux d’aujourd’hui. La naissance des possibles surgit de l’incongruité entre le trivial et le grandiose au travers de la force de l’assemblage. Parfois, une tête monumentale frappe par son découpage en lamelles augmentant les points de vue, comme celle intitulée Call at Will2009qui se compose de couches verticales de bois et de polystyrène mêlées à de l’argile, du fil de fer et de l’acrylique. La puissance du résultat semble presque contredire la trivialité des matériaux. Sa pensée œuvre au recyclage des matériaux en une vertigineuse approche. Si nous nous trouvons bien dans le monde actuel, Huma Bhabha convoque avec force les temps antiques en une rencontre improbable.

 

  Un vers d’Omar Khayyâm, le grand poète persan des 11ème et 12ème siècles, sert de fil conducteur et donne le titre à l’exposition. Cette mouche qui apparaît et disparaît constitue une énigme poétique de taille. Mais revenons aux statues qui mises ensemble créent un effet de sidération. L’individualité de chacune se trouve transformée par cette nouvelle mise en scène qui semble jouer avec des codes archaïques. Ces références totémiques mêlent apparences humaines et animales dans un tourbillon plastique. Qui donc connaît précisément la signification exacte des anciennes divinités de pierre et celle des neuves idoles composites voulues par la créatrice ? The Hood Maker (2019), statue composée de liège, de synthétique et de peinture acrylique offre une représentation animale d’un côté et humaine de l’autre, symbole d’une incroyable hybridation.

 

Huma Bhabha, Sans titre, oeuvre sur papier, 2021-22 

  Des œuvres sur papier déclinent des portraits de potentiels aliens, parfois cruels, parfois égarés, mais toujours traités de façon expressionniste. Là encore la rencontre fortuite entre un style et une idée crée cet indicible décalage. Notre contemporanéité se trouve prise au piège des effigies de terre et de bronze tandis que plane au-dessus de nous le spectre d’amours (extra) terrestres toujours recommencées.

                                                                                                                           Christian Skimao