Manifestation
Une nouvelle jeunesse dans le cadre de la Contemporaine de Nîmes
La
fleur et la force
De
nombreux artistes dans de nombreux lieux institutionnels et en plein air
Ville
de Nîmes
Du 5 avril
au 23 juin 2024
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Jeanne Vicerial – Installation de mèches au sol in situ réalisée avec 466 km de fil – Armor n°5, 2016-2024.Textile, fils, cordes, tricotissage. Musée du vieux-Nîmes, 2024. |
L’union fait la
force des sentiments artistiques
La dénomination générale fait penser à une
sorte de poupée gigogne. Ainsi, la Triennale de création contemporaine
comprend la Contemporaine de Nîmes dont la première édition se nomme Une
nouvelle jeunesse qui comprend diverses manifestations dans la ville de
Nîmes, dont la principale a pour nom La fleur et la force, dans des
zones institutionnelles et en plein air, accompagnée d’une Programmation
associée, (des manifestations satellites). Le principe de base adopté par
les commissaires de la manifestation, Anna Labouze et Keimis Henni, réside sur
la composition de douze duos d’artistes afin d’établir une confrontation
nouvelle entre les œuvres. Sophie Roulle, adjointe à la Culture de la ville de
Nîmes, a été l’instigatrice du projet et a œuvré à sa réalisation et mise en
œuvre grâce à de multiples partenariats.
Jeanne Vicerial et Pierre Soulages (à titre
posthume) exposent au musée du Vieux-Nîmes. Intitulée « Avant de voir le
jour », cette mise en scène de leurs œuvres respectives demeure une grande
réussite. On connaît le talent de l’immense Pierre Soulages et de ses Outrenoirs,
mais aussi la fougue plastique de la virtuose du tissu dont les présences
féminines noires et blanches ponctuent l’espace. En un lieu dédié, dans la
pénombre, se trouve une gisante (Amnios) de Vicerial et au-dessus d’elle
une toile de Soulages, Peinture166 x 230 cm, 17 janvier 1980. La
musique environnante de Louis Vicerial ainsi que le parfum évocateur de Nicolas
Beaulieu offrent un environnement teinté de mystère tandis qu’une Mue et
un polyptyque de Soulages veillent également. Sans doute la meilleure
installation en duo de toute la manifestation.
Au musée des Beaux-Arts, « Rien ne me
manque », marque la rencontre entre les gouaches de Baya (ici aussi à
titre posthume) et les réalisations pleines de punch de Neïla Czermak Ichti dont
son ring central et ses catcheuses. La force de Baya repose sur une sûreté du
trait jointe à une magistrale utilisation de la couleur. Ses œuvres ne
vieillissent pas et conservent une éternelle jeunesse. Le Musée des Cultures Taurines
propose « Pleins feux » avec une vidéo extraordinaire d’Aïda Bruyère intitulée
Make Up Destroyerz III où des adolescents et adolescentes créent un
monde nouveau après quelque apocalypse. Inventivité et dérision jouent avec les
codes d’un monde machiste qui a failli. Des photographies de Judy Chicago
retracent certaines de ses performances avec feux d’artifice et fumigènes. Enfin
dans la Chapelle des Jésuites, « Habiter la forêt » apparait comme un
film émouvant de June Balthazard montrant des enfants vivant dans les bois et
luttant contre la déforestation malgré les adultes. Une installation de
branchages sert de rappel ainsi des troncs d’arbres préparés pour les
spectateurs. Une tapisserie de Suzanne Husky, La Noble Pastorale, avec
bulldozer, parachève le tout.
Plein
air et monumental avec « Water Lines », dans les jardins de la
Fontaine, de Feda Wardak et Tadashi Kawamata avec le passage de l’eau au
travers de deux structures, un aqueduc, évoquant le Pont du Gard, l’autre une
gouttière de bois, sorte de rigole qui court dans le parc. Cette métaphore du
passage de l’eau qui s’écoule en permanence évoque bien sûr un passage de
témoin générationnel. Avec « Les trois visages d’Héliogabale » on se
trouve en présence d’une vidéo sur trois écrans réalisée par Valentin Noujaïm auxquels
répondent trois masques d’Ali Cherri que l’on voit également dans le film. L’ensemble
se trouve situé le long du Musée de la Romanité dans deux fosses profondes, dans
un passage conduisant au jardin de l’institution, d’où émergent les
réalisations. La figure d’Héliogabale demeure mystérieuse dans l’Histoire,
entachée de crimes et d’oubli par la suite, sans doute en raison de ses
orientations sexuelles. Entre le jeu des comédiens, la chanson de Nina Simone, et
Artaud en intertexte, l’ensemble demeure à la fois déroutant et séduisant.
Caroline Mesquita et Laure Prouvost ont érigé une sculpture interactive sur la
Place du chapitre nommée « Bee be mon manège ». L’abeille, l’oiseau
et l’être humain avec sa pancarte servent de prétexte à la création d’une sorte
de roue de la fortune puisque des poignées intégrées permettent de faire
tourner ce manège existentiel. Avenue Feuchères, dans la zone protégée des
voitures, Delphine Dénéréaz propose ses tissages de récupération, accrochés en l’air,
avec la collaboration de la poétesse Sonia Chiambretto et des élèves de 4ème
du collège éponyme, pour les fragments d’écriture.
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Hugo Laporte, Mirage 2021-2024, matériaux divers, Carré d'Art, Nîmes. |
Concernant Carré d’Art, on trouvera dans une
des parties hautes, « Oracle Museum », avec Hugo Laporte et Katja
Novitskova qui proposent un doublé de grande qualité. Une préparation d’un
avenir complexe dont l’œuvre « Mirage » de Laporte semble annonciateur.
Des structures mobiles, colorées et lumineuses se répondent dans une obscurité
craintive. La technologie se trouve utilisée, mais dans le sens d’un futur déjà
dé-passé. Au même niveau les « Partitions sédimentaires » d’Alassan
Diawara et Zineb Sedira questionnent photographiquement la transmission
familiale et les histoires communes. Enfin au sous-sol, « G(Hosted) »
de Prune Phi et Smith questionnent d’autres rituels. Prune Phi propose une
rencontre entre l’informatique globalisée et les rites funéraires du Vietnam
(bien sûr, cela fonctionne avec l’indocilité incontrôlable des machines, mais
ne sommes-nous pas en phase avec l’au-delà ? ) tandis que les signaux
lumineux de Smith nous flashent.
Il
semblerait que la participation en amont des élèves et étudiants ait fonctionné
à plein concernant les travaux préparatifs avec les artistes. Comme dans toute
première édition, il y a sans doute des aménagements à faire pour parfaire cette
Contemporaine, qui a déjà le mérite d’exister et de permettre à la Nîmes
de renouer avec les enjeux de l’art actuel, sachant que la concurrence (préférons
collaboration ?) semble rude dans le sud de la France. La possibilité
d’occuper de vastes locaux industriels permettrait une extension du domaine de
la création comme cela se pratique dans d’autres villes. Une affaire à suivre
dans trois ans, au plus tard…
Christian Skimao