samedi 12 juillet 2025

Exposition Béatrice Helg, musée Réattu, Arles, 2025

 

Exposition Béatrice Helg

Géométries du silence

Dans le cadre d’Arles associé des Rencontres d’Arles 2025

Musée Réattu, Arles

Du 5 juillet au 5 octobre 2025

 

 

Béatrice Helg, Cosmos XVIII (2018), chapelle du musée Réattu, 2025

        L’étrange opalescence des mondes révélés

 

 

  Cette exposition monographique présente plus de 70 photographies réalisées au cours des 35 dernières années par Béatrice Helg, grande photographe suisse, née à Genève. Cette dernière pratique une approche où la rigueur de la construction formelle ouvre sur un univers qualifiable de magique et/ou de mystique.

 

  Commençons à l’envers de la monstration pour démarrer avec un premier éblouissement dans la Chapelle où se trouve Cosmos XVIII (2018), une oeuvre monumentale comprenant le fameux disque qui irradie. Une double possibilité de vue se trouve possible, celle du haut où la photographie apparaît comme par magie, ou celle du piéton qui entre dans la chapelle et se trouve confronté à un autre agencement. Dans les deux cas, demeure un choc visuel qui déclenche une émotion puissante. Certaines de ses œuvres se trouvent parmi les collections du musée, comme des Esprit froissé (1999-2001) qui dialoguent avec les fascinantes Grisailles du Temple de la Raison de Jacques Réattu, commandées par les Montagnards durant la Révolution française. Le rapport idéologique très étrange entretenu entre le culte de la Raison et les esprits (lesquels ? ) ouvre sur un questionnement, à la fois esthétique, politique et métaphysique.

 

Béatrice Helg, oeuvres, vue partielle, musée Réattu, 2025

  Béatrice Helg  crée des espaces avec des matériaux de construction, du métal rouillé, des feuilles de verre, des plaques d’isolant, des papiers, etc. et de la lumière. La prise de vue permet alors de mixer l’ensemble, oserait-on dire, de le transcender, pour d’obtenir quelque chose de radicalement différent, de l’art. Le tout repose sur une perception patiente en attendant de trouver le moment « juste » de la prise de vue, l’instant où tout prend forme dans une unité retrouvée. La créatrice dit : « La photographie est une écriture de lumière — de l’obscur et de la lumière dans l’espace. Elle me permet d’explorer l’invisible l’insoupçonné, l’espace du dedans. C’est une autre manière d’appréhender, de questionner le réel, la vie, le monde. » De nombreuses séries prennent place dans les étages du musée. Dans Émergence, surgit une masse centrale, verticale, ressemblant à quelque monolithe immatériel, tandis que dans Crépuscule celle-ci est horizontale. Avec ces deux possibilités, la perception de l’œuvre s’en trouve totalement changée. Si la science-fiction et ses visions demeurent en embuscade, l’artiste a véritablement œuvré avec l’astrophysicien français Jean-Pierre Luminet. Des œuvres des débuts comme Théâtres de la lumière et Scala mettent en avant le monde de la musique (elle a étudié le violoncelle) et de l’opéra, ce qui nous conduirait à placer l’ensemble sous la théorie de l’harmonie des sphères de l’Antiquité.

 

 

Christian Skimao

 

 

jeudi 10 juillet 2025

Exposition Wael Shawky , "Je suis les hymnes des nouveaux temples", LUMA ARLES

 

Exposition Wael Shawky

Je suis les hymnes des nouveaux temples

La Grande Halle, LUMA ARLES

Du 5 juillet au 2 novembre 2025

 

 

Wael Shawky, vue partielle, LUMA Arles, 2025

 

            Le futur demeure un passé possible

 

 

  Une exposition phare qui conjugue le passé et le présent dans une remarquable mise en scène globale, entre décors et film. Si les images animées constituent la partie principale de l’exposition, la constitution des décors et la mise en place de dessins et d’objets en verre, céramique et bronze, rehaussent l’ensemble pour aboutir à une expérience immersive. Pour mémoire, Wael Shawky, né en 1971 à Alexandrie, est un artiste égyptien qui travaille sur de nombreux supports et principalement des films comme sa fameuse trilogie Cabaret Crusades où des marionnettes représentent les personnages. Il questionne avec acuité les relations entre Orient et Occident au travers d’un dialogue historique, documenté et cultivé.

 

Wael Shawky, image du film, exposition LUMA Arles, 2025


  Le film, au titre original I am Hymns of The New Temples (Je suis les hymnes des nouveaux temples), en langue arabe classique, avec des sous-titres, date de 2023 et se trouve issu d’une commande du Parc archéologique de Pompéi dans le cadre de Pompeii Commitment. Archaelogy Matters. Il raconte les errances de Gaïa, déesse primordiale de la Terre et mère des Titans selon la mythologie grecque. Au cœur de cette narration, se trouve le temple d’Isis, édifice romain dédié à la déesse égyptienne aux vertus multiples. Des personnages portant de lourds masques, des créatures fantastiques, d’autres divinités, l’accompagnent et prononcent des paroles sacrées lors d’étranges rituels. Les interférences entre pensée grecque, romaine et égyptienne mettent en lumière les antiques croyances méditerranéennes. Tout peut fusionner, se transformer, s’hybrider en un ballet référentiel sans poser (trop) de problèmes. Ainsi, Io peut devenir Isis dans un rapport d’équivalence et Gaïa se trouver assimilée au dieu de la Terre égyptien, Geb. Wael Shawky nous présente ainsi un syncrétisme ancien qui a disparu depuis la naissance des monothéismes qui se sont toujours affirmés comme uniques, au détriment de toutes les autres croyances.

 

  Dans une atmosphère irréelle, plongée dans la pénombre, près d’un Vésuve de couleur rougeoyante, une sorte de rue, comprenant des alcôves ou des échoppes plus ou moins cubistes, permet de voir des têtes et des objets en céramique, bronze et en verre. Ces sculptures sont des inventions et pourtant elles se réfèrent à l’esprit de Pompéi. L’esprit du feu plane sur l’ensemble de cette monstration, entre une Antiquité recréée et une relecture permanente d’un monde disparu. L’artiste propose aussi des dessins, certains dressés comme des sculptures où s’égrène sa production de récits au travers des multiples mutations des temps. Évoquerait-il une sorte d’éternel retour nietzschéen où l’art posséderait la mesure juste ?  

                                       

 

                                                                                                                           Christian Skimao

jeudi 3 juillet 2025

Exposition "Pierre Soulages, La Rencontre" Musée Fabre, Montpellier, 2025

 Exposition Pierre Soulages, La Rencontre

Musée Fabre, Montpellier

Du 28 juin au 4 janvier 2025

 

 

Pierre Soulages, 3 brous de noix sur papier, 1949 et 1951. Vue partielle, Musée Fabre, 2025

 

            Bonjour Monsieur Soulages

 

 

 

  La difficulté d’une rétrospective réside souvent dans le fait de ne pas trouver un nouvel éclairage, susceptible de relancer le regard sur l’œuvre. Placée sous le signe de La Rencontre, le tableau célèbre de Courbet de 1854, ce dernier symbolise l’importance du musée Fabre et de la ville pour Pierre Soulages, depuis ses débuts de peintre jusqu’au moment de sa grande donation de 2005. Possédant 34 toiles réalisées entre 1951 et 2012, le musée Fabre possède une des plus grandes collections de l’artiste au monde. Sans oublier le rôle incontournable, de sa femme, Mme Colette Soulages, née Llaurens, tout au long de sa carrière,

 

  La contextualisation joue également un rôle important dans ce genre de manifestation car elle permet de mieux saisir le travail en cours avec les enjeux de chaque époque. Au début, se trouvent les fameuses stèles gravées du musée Fenaille de Rodez, sa ville natale, comme la Statue-menhir de la Verrière (IV-IIIème millénaire avant notre ère) La découverte de Piet Mondrian avec L’Arbre gris (1911) et Max Ernst qui expérimente la technique du raclage et du grattage lui ouvrent de nouveaux horizons. En 1947, Soulages découvre la calligraphie chinoise et va se lier avec Zao Wou-Ki. En 1949, il rencontre Pierrette Bloch, élève d’Henri Goetz. L’artiste refuse la gestualité et le lyrisme pour utiliser un espace construit, avec des outils spécifiques et plus bruts qui l’éloignent du matériel traditionnel de la peinture L’utilisation des brous de noix sur papier tel celui de 1952 et ses premières peintures au noir de goudron changent la donne. En 1948, Pierre Soulages participe à la première exposition d’art abstrait en Allemagne intitulée « Französische abstrackte Malerei » et une de ses toiles est choisie pour l’affiche. Par ailleurs, en fin d’année, J.J. Sweeney, ancien conservateur au MOMA, lui rend visite, achète une œuvre et le soutient. Ces deux évènements changent radicalement sa situation dans le monde pictural français de l’époque. Dès 1949, il expose aux Etats-Unis, à New York pour commencer, à la galerie Betty Parsons.


 La recherche de l’artiste tourne autour du noir et plus précisément de la lumière qui en jaillit. Avec bien des variantes, jouant avec des couleurs bleues par exemple, une préparation blanche, et des profondeurs sombres, l’œuvre nouvelle apparaît (peinture 162x114 cm, décembre 1959) lors de son exposition personnelle à la galerie de France en 1960. Ce clair-obscur se trouve influencé par Zurbaran avec Sainte-Agathe (1635-1640) et Vincent Van Gogh  et « la peinture de l’ombre » soit des variations de lumière dans des paysages nocturnes comme dans Paysage au coucher de soleil (1885). Une démarche très rare : en 1975, l’artiste fait mouler en bronze trois plaques de cuivre, semblables à des sculptures qui jouent avec les reflets lumineux, dont une se trouve exposée ici.

Pierre Soulages, Moulage de plaque de cuivre, 1975. Musée Fabre 2025 


L’arrivée des grandes séries d’Outrenoirs à partir de 1979 va relancer toute son approche de la toile. Ces nouvelles œuvres, très représentatives de l’aboutissement de ses questionnements, utilisent les reflets de la lumière en fonction du temps et des déplacements dans l’espace. Souvent sous forme de polyptyques, ces nouveaux espaces picturaux questionnent avec des variations infinies comme Peinture 222 x 314 cm, février 2008 faisant aussi référence aux entailles de Lucio Fontana. En 1994, la réalisation, après des années de recherche, des 104 vitraux de l’abbatiale Sainte-Foy de Conques en Aveyron, proposent une approche magistrale de l’envers du noir.

 

  A chacune et chacun, de percevoir la rencontre du faire et de l’exploration !


                                                                                                                                   Christian Skimao

 

 

                                                                                                                                                   

mardi 1 juillet 2025

Exposition "Benzine Cyprine" de Kamille Lévêque Jégo. Nîmes, 2025

 

Exposition Benzine Cyprine de Kamille Lévêque Jégo

Galerie Fotoloft Negpos, Nemausus, Nîmes

Du 28 juin au 25 octobre 2025

 

Kamille Lévêque Jégo, vue partielle de l'exposition, Negpos, 2025

                                     REBIRTH

 

  Kamille Lévêque Jégo est une photographe qui œuvre, entre autres, depuis des années (2014-2020) sur un documentaire nommé Benzine Cyprine, mettant en images un gang de filles. Elle s’inscrit d’un côté dans une esthétique picturale jouant avec les codes connotés de la représentation et de l’autre dans un discours qui s’affiche comme féministe. Le but de l’art n’est pas de simplement dénoncer un état de fait, mais de démonter les codes connotés afin de poser un œil neuf sur le monde. Son projet, présenté la première fois aux Rencontres d’Arles, dans le cadre de la Nuit de l’année le 5 juillet 2019, se décline en tirages de taille variable en fonction des lieux de monstration. Ici, à Negpos, de grands formats côtoient des œuvres plus petites en une sarabande plastique, ponctuée de diverses citations de l’auteure.

  L’art ne se situe pas dans la vérité, il crée une illusion qui le rend plus désirable encore. Toute la scénographie se trouve construite en amont avec des croquis préparatoires avant de passer aux prises photographiques. Les modèles choisis sont des connaissances de l’artiste plutôt que des actrices afin de retrouver l’illusion de réalité qui ne fonctionne pas toujours avec des professionnelles. Ainsi le gang, mis en scène, reprend les attitudes très connotées des « bad boys », mais en les détournant du côté féminin. Les activités du gang s’inscrivent, en apparence, dans une esthétique dure mais aussi dans le cadre d’une subtile réflexion sur la spécificité féminine. Il n’y a ni apologie de la drogue, ni culte de la criminalité, ni volonté de puissance viriliste comme dans de nombreux films qui encombrent nos imaginaires.

  Les corps en action reprennent les poses de la bagarre, l’explosion des tensions, la remise en cause de l’ordre (ainsi en va-t-il de la devise de la République française inscrite au fronton d’un potentiel édifice « LIBERTE EGALITE FRATERNITE » ; la portion dédiée aux frères « FRATER » se trouve barrée et remplacé par un tag vengeur en lettres rouges « ET TA SŒUR ?! »). Les normes se trouvent donc détournées par rapport à un espace urbain réel où les femmes ont du mal à trouver leur place. La réponse au sexisme urbain ne se trouve pas dans l’illégalité, mais dans une pensée en action qui s’incarne dans la sororité du gang. Comme le dit fort justement Kamille Lévêque Jégo : « … donner à voir une féminité flamboyante qui va à contre-sens des figures mièvres, complaisantes et hypersexuées de la femme, celles-là même qui saturaient les flux médiatiques des grands et petits écrans, de la presse ou encore de la publicité. »

  Dans une perspective de renversement assez amusante, liée aux glissements linguistiques de part et d’autre de l’Atlantique, « la gang » désigne en québécois (ou plutôt en français canadien) une bande de copains et/ou de copines. L’article féminin fait ainsi irruption là où on ne l’attendait pas. Enfin, ne perdons pas de vue les autres projets d’une artiste douée et extrêmement énergique.

 



                                                                                                                                                     Christian Skimao


Kamille Lévêque Jégo, exposition Negpos, 2025


Nota bene : l’exposition a été vandalisée à la fin du mois d’ avril 2025 dans les locaux de Negpos par des inconnus, non encore identifiés. Cette intolérance à l’encontre d’une manifestation artistique rappelle des périodes bien sombres. Le titre « Rebirth » joue à la fois sur la renaissance de l’exposition et l’éternel retour de l’art face à une censure violente prônant la destruction. Un débat public, organisé par le réseau LUX et intitulé « Engagement artistique : quels espaces de liberté aujourd’hui ? » se tiendra dans la cour de l’Archevêché de 19h à 20h, le 10 juillet à Arles.  

 


jeudi 26 juin 2025

Exposition Françoise Pétrovitch, "Sur un os" MO.CO. Montpellier Contemporain,2025

 

Exposition Françoise Pétrovitch, Sur un os

MO.CO. Montpellier Contemporain

Du 21 juin au 2 novembre 2025

 

 

 

Françoise Pétrovitch. Sur un os, 2024. MO.CO. Montpellier 2025

 

             Naviguer sur la mer des incertitudes

 

 

 

  A l’os. Au plus près de l’os. Sur un os. Gardons en mémoire cette étrange sculpture, en bronze patiné noir, de petite fille tenant un os énorme dans sa bouche, repris de travaux anciens où Françoise Pétrovitch a gravé puis mis en volume L’Ogresse, soit une enfant qui a mangé un ogre, en un surprenant renversement des codes des contes. Une grande sélection de céramiques l’accompagne au sous-sol, questionnant l’acte même de sculpter.  Au travers de toiles et de sculptures, mais aussi d’une installation, nous allons effleurer ces étranges continents où les mots s’envolent avant de revenir en images qui murmurent à l’oreille du public.

 

Françoise Pétrovitch. Sans titre (2019-2024).MO.CO. Montpellier 2025

  Les peintures de Françoise Pétrovitch égrènent des états d’âme et des éclats de vie, comme Sans teint (2024), huile sur toile, qui se retrouve utilisée pour l’affiche et les flyers du MOCO. Les couleurs acidulées, sans doute représentatives du temps de l’adolescence, se trouvent tempérées par la placidité apparente du visage qui laisse néanmoins entrevoir le trouble sous-jacent de celui/celle qui se pose des questions sur son avenir. Pourtant rien de mièvre dans ce portrait qui joue avec les codes de la grande peinture, tout en les détournant avec maestria. Le réalisme s’effiloche tandis que le questionnement philosophique s’accentue. Au Plateau du premier étage, un  tableau de grand format, sur quatre panneaux, Sans Titre (2019-2024) représente un personnage accroupi regardant vers le sol.  La mer, un bateau, une falaise semblent apparaître dans le fond tandis que deux fragments de corps, non identifiables, apparaissent en arrière plan. Le questionnement intérieur semble intense et nous revient en mémoire le titre de la fameuse toile de Gauguin : D’où venons-nous ?  Que sommes-nous ? Où allons-nous ? (1897-98). Chez Françoise Pétrovitch, la dimension onirique demeure primordiale et le temps semble toujours marquer un temps d’arrêt. D’autres réalisations, des dessins au lavis d’encre, présents en double ligne occupent également l’espace. Là aussi, il n’existe ni début, ni fin, mais une suspension temporelle extrêmement troublante qui se double d’une tension palpable obtenue par l’emploi de tons vifs et de gris colorés. Une grande installation vidéo occupe tout le rez-de-chaussée, Papillon, réalisée avec Hervé Plumet. Elle se compose de cinq écrans de voilage où se trouvent projetées des dessins éphémères réalisés à l’encre sur des plaques de verre, le tout dans une irréelle lumière violette. Un grand dessin réalisé sur le mur occupe le fond. L’ensemble possède une grande force poétique liée à cette immersion dans un univers mouvant dont le thème central demeure la métamorphose.

 

  En conclusion, une grande exposition d’une grande artiste qui essaye de cerner ce qui nous échappe : l’incertitude des transformations.

                                                                                                                                     Christian Skimao

                                                                                                                                   

mardi 24 juin 2025

Exposition Jean-Marie Appriou, "La cinquième essence" , MO.CO. Panacée, Montpellier, 2025

 

Exposition Jean-Marie Appriou, La cinquième essence

MO.CO. Panacée, Montpellier

Du 21 juin au 28 septembre 2025

 

 

Jean-Marie Appriou, The Lighthouse Watcher, 2025

 

 

                  Naviguer dans les interstices des mythologies

 

  Jean-Marie Appriou nous propose un fort beau voyage au travers des quatre éléments primordiaux que sont l’eau, la terre, l’air et le feu. Ne reste plus qu’à ajouter l’éther, partie céleste issue de l’Antiquité qui désigne à la fois l’impalpable et l’invisible, notion  indispensable à la vision humaine et qui sert de lien avec les quatre précédents. À partir de ce postulat, certes également utilisé par d’autres, doit surgir une forte singularité au travers de ses oeuvres. Il en parle dans un entretien avec Jean De Loisy : « Mes sculptures sont le fruit de l’association du minéral, du gaz et de l’eau, et de leurs échanges mystérieux qui se produisent dans le four. »

 

L’eau, et plus particulièrement l’océan, concerne Appriou au premier chef en raison de ses origines bretonnes. Un bateau d’aluminium portant un personnage de bronze, fend des flots imaginaires (La barque). La dimension maritime rejoint une dimension spatiale, semblable à un aéronef mythologique, puisque ce véhicule pourrait aussi bien circuler parmi les étoiles. Un très étrange gardien (The Lighthouse Watcher) semble veiller sur les passagers, lointaine référence au phare d’Alexandrie, septième des sept Merveilles du monde antique. La terre demeure aussi indispensable puisqu’elle lui permet de réaliser des modelages qui présentent des rugosités narratives. Le métal sert de peau et d’écorce tandis qu’en son centre des formes organiques, végétales, minérales et humaines émergent du chaos primordial. Tout un monde disparu semble bouillonner à l’intérieur de ces espaces sombres. À propos de l’air, Appriou réalise une grande et vaste série de douze figures zodiacales, à la fois hors d’échelle et dont la ressemblance n’est pas évidente. Utilisant des représentations d’animaux, plus ou moins réalistes, il en donne une représentation fantastique avec souvent de gros yeux de verre. Au centre, flotte un voyageur spatial (Mitosis), sorte de Témoin du devenir des prédictions potentielles. Le feu, élément difficile à saisir, se trouve présent dans trois oeuvres : deux dans le patio : un brasero en bronze situé dans la fontaine et un bénitier en bronze aux formes torsadées pouvant servir de barbecue, enfin trois lucioles en verre phosphorescent, de grand taille, installées au plafond dans la galerie de circulation.

 

Jean-Marie Appriou, un des douze signes du Zodiaque, MOCO, 2025.



  L’éther, le plus difficile à représenter, se retrouve au travers de grandes gravures, assez effrayantes, qui rendent compte d’un monde calme en apparence, mais grouillant et déformé sous la surface de l’eau et d’une pyramide qui propose une élévation de l’être symbolisée par une tête de plâtre sise dans une sphère en verre. Pour finir, l’artiste nous rappelle dans un entretien avec Numa Hambursin  que La Cinquième essence se réfère au tome 5 (en deux volumes) de la bande dessinée éponyme du cycle l’Incal, de Moebius et Jodorowsky, publiée aux Humanoïdes associés, à la fin du 20ème siècle. Tout reste à remonter, ou à démonter, en même temps.

 

                                                                                                                                                     Christian Skimao

 

mercredi 11 juin 2025

Exposition Anne-Marie Soulcié. Sommières 2025.

 

Exposition Viennoises d’Anne-Marie Soulcié

Chapelle des Ursulines (Espace Lawrence Durrel) à Sommières

Du 7 au 28 juin 2025


Anne-Marie Soulcié. Le soleil sous la peau. Exposition Sommières, 2025.

                         Valser avec l’histoire des arts

 

 

  Les oeuvres d’Anne-Marie Soulcié s’inscrivent dans une approche très ouverte où de nombreuses références s’interpénètrent. En reprenant le titre de son exposition, Viennoises, immanquablement apparait un panorama culturel autrichien, allant de Robert Musil (littérature et inachèvement) à Sigmund Freud (psychanalyse et exploration), en passant par la Sécession viennoise (Sezessionstil) avec Gustav Klimt (peinture et élaboration), sans oublier une personnalité plus récente comme l‘inclassable créateur polymorphe Friedensreich Hundertwasser (1928-2000) et ses spirales magnétisantes.

 

  Cette riche sélection conduit à une déstructuration contemporaine des images qui convoquent le rêve et la suspension du temps au travers d’une mise en scène d’un monde intérieur mouvant. Certaines oeuvres optent pour une porosité certaine, tandis que d’autres jouent sur un cloisonnement plus structuré. Pour les premières, un effet psychédélique entre en action dans un enchevêtrement de têtes et de corps. L'explosion chromatique générale semble également s’inspirer d’un art africain caractérisé par une profusion de couleurs éclatantes et variées. Pourtant toutes ces représentations et abstractions se situent sur le même plan, désignant ainsi la puissance onirique de la démarche. D’autres œuvres, tout en conservant également leur part de rêve, se trouvent construites sur des canevas plus distincts. Des visages souvent imposants heurtent des éclats de paysages, des constructions plus ou moins identifiables se mélangent avec des objets malicieux et incongrus. Des réminiscences de l’enfance de l’artiste apparaissent au détour de la toile, mais transformées, sublimées en quelque sorte par la peinture. Des animaux étranges, et parfois des représentations mythologiques comme celle du dieu égyptien Thot, glissent devant nous. Remarquons aussi des plages plus sombres qui mettent en valeur les mosaïques colorées en un jeu d’apparitions et de disparitions.  

 

 Anne-Marie Soulcié  a ainsi composé un opéra pictural où les pièces d’un puzzle mental se trouvent assemblées au gré de son imaginaire. Pour en revenir à Vienne, du moins à une certaine Vienne, évidemment quelque peu fantasmée, l’artiste a rejoint ce vaste courant onirique qui va d’un Romantisme fantastique jusqu’aux nouvelles technologies utopistes et écologistes. Pourrions-nous enfin envisager la rencontre fortuite d’un croissant (de Lune ?) avec Le soleil sous la peau ?

 

                                                                                                                               

                                                                                                                                             Christian Skimao