Exposition « Chorégraphies
suspendues»
Artistes contemporains du Vietnam
Lena Bùi, Tiffany
Chung, The Propeller Group, Ɖinh Q Lê,
Nguyễn Huy An, Nguyễn
Thái Tuấn, Nguyễn Trinh Thi,
Jun Nguyễn-Hatsushiba
Carré
d’art-Musée d’art contemporain
Place de la Maison Carrée, Nîmes
Du 21 février au 27 avril 2014

NGUYEN THAI TUAN "Interior 2, from Heritage series", détail, 2011 Huile sur toile120 x 150 cm Collection Dinh Q Le. © Nguyen Thai Tuan |
Des ordinateurs aux
rizières virtuelles
Cette exposition organisée conjointement par Carré d’art à Nîmes (Jean-Marc
Prévost) et le centre d’art Sàn Art à Ho Chi Minh-Ville (Zoe Butt) prend place
dans le cadre de l’Année France-Vietnam (2014). Elle présente 8 artistes
vietnamiens qui réinterprètent l’histoire de leur pays au travers d’une
approche contemporaine. Une sorte de reconquête artistique pacifique en tenant
compte de la grille de lecture mondiale d’aujourd’hui au travers de quatre
thématiques : l’absence, le déplacement, l’habitude, les causes et les
effets.
On trouve donc de nombreuses vidéos qui optent pour une plongée
sociologico-artistique dans la mémoire du Vietnam et dans son devenir. C’est
d’ailleurs dans cet écart entre passé proche et avenir en cours de constitution
que se situent de nombreuses œuvres comme l’importante installation de Ɖinh Q Lê intitulée « Erasure »
qui mélange une vidéo présentant le
bateau du capitaine Cook en flammes, des fragments de bateaux en bois, des
photographies familiales d’un Vietnam d’autrefois jonchant le sol et la volonté de montrer
par le biais d’un ordinateur les nouvelles technologies en action pour la
mémorisation de ces documents. Il existe une relation entre les bateaux des
réfugiés détruits par le feu après leur arrivée et la destruction virtuelle du
fier voilier de l’explorateur. L’importance des flux se trouvent mis en lumière
dans une autre vidéo de Lena Bùi nommée « Passage of the mass » où
les deux roues effectuent un ballet sans cesse renouvelé dans les rues de la
ville de Saigon, entre intensité personnelle et risque d’accident. L’esthétique
se joint donc à la représentation des flux comme l’Histoire se mêle aux
représentations stratifiées de Tiffany Chung qui reprend des cartographies
anciennes, les superpose avec de plus récentes jusqu’à aboutir à d’élégants
tracés, vertigineux à souhait.
La peinture se trouve également présente,
d’un type très particulier avec les œuvres de Nguyễn Thái Tuấn qui interroge au travers d’un classicisme factuel la notion d’absence.
Ses personnages sans tête et sans mains sont comme des pantins oubliés dont les
vêtements flottent dans l’espace. Souvenirs d’empereur déchu, d’églises
catholiques d’autrefois ou de lieux ouverts aux quatre vents constituent une
réflexion aigüe sur le temps passé et sa perception actuelle. Ainsi en va-t-il
d’une œuvre de Jun Nguyễn-Hatsushiba,
vidéo certes mais qui parle de peinture, « The Ground, the Root, and
the Air : The Passing of the Boddhi Tree ». Descendant le Mékong en
barque, de jeunes peintres nichés sur de bruyantes barques à moteur tentent de
reproduire le paysage qui défile devant eux. L’impossibilité du challenge se
confronte à la contemplation d’un banian géant tandis que la bande son passe du
martèlement de joggers aux prières des moines. Une approche à la fois grotesque
avec cette impossible peinture mouvante sur le motif et totalement désespérée.
En guise de conclusion la sculpture proposée
par The Propeler Group (en attente de livraison par bateau) appelée « Bling »
et qui se compose d’une grosse tête de Lénine reliée à une chaîne de rappeur me
paraît hautement significative. Elle symbolise l’ancien monde collectiviste et
le nouveau monde affairiste. En raison de sa taille elle ne peut se trouver
portée que par des statues (de Lénine) plus gigantesques encore. L’affirmation
de soi passe bien par une valorisation excessive de sa propre représentation.
En français on pourrait doubler sémantiquement cette réflexion par l’expression
« bling bling ». L’art deviendrait alors une chose trop grave pour la
confier aux artistes ?
Christian Skimao
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