lundi 9 février 2015

Exposition Suzanne Lafont « Situations »

Exposition Suzanne Lafont
« Situations »
Carré d’art-Musée d’art contemporain
Place de la Maison Carrée, Nîmes
Du 6 février au 26 avril 2015



 
"Trauerspiel", (détail) 1996, impression encres pigmentaires sur papier, 84 x 66,5 cm Courtesy Erna Hecey Office



Danse avec les actants



  En reprenant cette définition des actants et en la mettant en relation avec le travail photographique de Suzanne Lafont  ─ pour mémoire « les actants sont les êtres ou les choses, qui, à un titre quelconque et de quelque façon que ce soit (…) participent au procès »  ─ nous entrons dans le vif du sujet.  La mise en scène générale de l’exposition se termine par une installation nommée « On annonce une série de conférences » pratiquant les rites même de cette activité didactique tout en pratiquant métaphoriquement la politique de la « chaise vide » (mais ces objets indispensables se trouvent photographiés dans leur plus simple appareil) et ouvre avec « Index » qui est un diaporama de 468 images possédant plusieurs entrées linguistiques, représentant la matrice même de cette monstration. Parcours à la fois conceptuel et interrogateur où le spectateur se trouve à sa vraie place, duchampienne.

  Il semble qu’on ne peut que tourner inlassablement autour des œuvres de Suzanne Lafont sans y pénétrer complètement. D’ailleurs le souhaite-t-elle véritablement ? Il nous faut au contraire écrire notre propre texte à partir des données fragmentaires offertes. Ainsi avec « Le nouveau mystère de Marie Roget » (2014)  ne s’agit-il pas de mettre en relation les éléments épars (en anglais et en français) de la nouvelle éponyme de Poe traduite par Baudelaire ? Un spectateur enquêteur en quelque sorte mais surtout en quête de soi. Tout se trouve transposé (de New York à Paris) comme dans les deux récits (l’initial de 1842 et la traduction de 1862) pour glisser dans une contemporanéité artistique.

  Un des moments forts de l’exposition demeure « Trauerspiel » présentée pour la première fois à la Documenta X (en 1997) et qui trouvent dans les locaux de Carré d’art une dimension nouvelle. Les annonces narratives mises en regard nous obligent à reconsidérer les angles de vue et la perception d’une réalité rejouée. Comme ses extraordinaires portraits d’acteurs aux masques de souris qui glissent le long des parois de notre inconscient. La plasticité inhérente aux corps se glisse aussi dans la présentation de « Situation Comedy » (œuvre aux facettes multiples, humaines et colorées) exposées au Mudam du Luxembourg en 2011. Suzanne Lafont use d’un langage visuel allant du mauve au vert en passant par le rouge, le bleu et le jaune. Elle fait référence à une réalisation du groupe « General Idea » qui avait publié ces corps volontairement contraints en 1971 sous le titre de « Manipulating the Self ». Nous nous trouvons donc dans le cadre d’un hommage mais aussi d’un déplacement et d’une relecture. Ces considérations passées sur la notion de performance élargissent le champ référentiel d’une quête toujours à redéfinir et poussent aussi à relire l’énigmatique texte de Kleist Sur le théâtre de marionnettes.

  L’œuvre de Suzanne Lafont a bénéficié du regard et des écrits théoriques de Jean-François Chevrier qui a tant fait pour définir la photographie ancienne et contemporaine tout en la situant dans un contexte à nouveau dynamique. L’apport philosophique de Jean-François Lyotard lui a permis de structurer ses formes subversives et paradoxalement lui faire quitter les chemins de la philosophie pour ceux d’une certaine photographie qu’elle définit de façon très personnelle : « faire du cinéma, sans les moyens du cinéma ».                                                                                                
                                                                                                                                  Christian Skimao





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