Exposition Suzanne Lafont
« Situations »
Carré d’art-Musée d’art contemporain
Place de la Maison Carrée, Nîmes
Du 6 février au 26 avril 2015
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"Trauerspiel", (détail) 1996, impression encres pigmentaires sur papier, 84 x 66,5 cm Courtesy Erna Hecey Office |
Danse avec les actants
En
reprenant cette définition des actants et
en la mettant en relation avec le travail photographique de Suzanne Lafont ─ pour mémoire « les actants sont les
êtres ou les choses, qui, à un titre quelconque et de quelque façon que ce soit
(…) participent au procès » ─ nous
entrons dans le vif du sujet. La mise en
scène générale de l’exposition se termine par une installation nommée « On
annonce une série de conférences » pratiquant les rites même de cette activité
didactique tout en pratiquant métaphoriquement la politique de la « chaise
vide » (mais ces objets indispensables se trouvent photographiés dans leur
plus simple appareil) et ouvre avec « Index » qui est un diaporama de
468 images possédant plusieurs entrées linguistiques, représentant la matrice même
de cette monstration. Parcours à la fois conceptuel et interrogateur où le
spectateur se trouve à sa vraie place, duchampienne.
Il semble qu’on ne peut que tourner inlassablement autour des œuvres de
Suzanne Lafont sans y pénétrer complètement. D’ailleurs le souhaite-t-elle
véritablement ? Il nous faut au contraire écrire notre propre texte à
partir des données fragmentaires offertes. Ainsi avec « Le nouveau mystère
de Marie Roget » (2014) ne
s’agit-il pas de mettre en relation les éléments épars (en anglais et en
français) de la nouvelle éponyme de Poe traduite par Baudelaire ? Un
spectateur enquêteur en quelque sorte mais surtout en quête de soi. Tout se
trouve transposé (de New York à Paris) comme dans les deux récits (l’initial de
1842 et la traduction de 1862) pour glisser dans une contemporanéité artistique.
Un des moments forts de l’exposition demeure « Trauerspiel »
présentée pour la première fois à la Documenta X (en 1997) et qui trouvent dans
les locaux de Carré d’art une dimension nouvelle. Les annonces narratives mises
en regard nous obligent à reconsidérer les angles de vue et la perception d’une
réalité rejouée. Comme ses extraordinaires portraits d’acteurs aux masques de
souris qui glissent le long des parois de notre inconscient. La plasticité
inhérente aux corps se glisse aussi dans la présentation de « Situation
Comedy » (œuvre aux facettes multiples, humaines et colorées) exposées au
Mudam du Luxembourg en 2011. Suzanne Lafont use d’un langage visuel allant du
mauve au vert en passant par le rouge, le bleu et le jaune. Elle fait référence
à une réalisation du groupe « General Idea » qui avait publié ces
corps volontairement contraints en 1971 sous le titre de « Manipulating
the Self ». Nous nous trouvons donc dans le cadre d’un hommage mais aussi
d’un déplacement et d’une relecture. Ces considérations passées sur la notion
de performance élargissent le champ référentiel d’une quête toujours à
redéfinir et poussent aussi à relire l’énigmatique texte de Kleist Sur le théâtre de marionnettes.
L’œuvre de Suzanne Lafont a bénéficié du regard et des écrits théoriques
de Jean-François Chevrier qui a tant fait pour définir la photographie ancienne
et contemporaine tout en la situant dans un contexte à nouveau dynamique.
L’apport philosophique de Jean-François Lyotard lui a permis de structurer ses
formes subversives et paradoxalement lui faire quitter les chemins de la
philosophie pour ceux d’une certaine photographie qu’elle définit de façon très
personnelle : « faire du cinéma, sans les moyens du cinéma ».
Christian Skimao
Christian Skimao
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