lundi 20 juin 2022

Berlinde de Bruyckere, MOCO, Montpellier, 2022

Exposition Berlinde De Bruyckere « Piller I Ekphrasis »

Mo.Co. Hôtel des collections, Montpellier

Du 18 juin au 2 octobre 2022

 

 

Berlinde De Bruyckere. After Crippelwood II (2013-2014). Exposition MOCO, 2022. 

   Drapée dans l’incertaine stupeur

 

 

 

  Cette importante exposition de Berlinde De Bruyckere s’inscrit dans le nouveau cycle des expositions monographiques du MO.CO Hôtel des collections. Elle comprend une cinquantaine d’œuvres datées de 1999 à 2022 et six nouvelles produites pour cette manifestation. La force du propos visuel de l’artiste fonctionne à partir d’une grande réflexion sur le corps humain et celui des animaux, principalement les chevaux. Tout s’enchaîne et s’enchevêtre dans une hybridation inattendue tandis que la question de la vie et de la mort ainsi que du sexe hante ses œuvres. L’histoire de l’art sert de fil conducteur à cette puissante évocation de notre destin commun, à la croisée d’une réflexion spirituelle et d’un désarroi orchestré.

 

  L’exposition propose un parcours qui démarre avec la sculpture After Cripplewood II (2013-2014) qui rappelle son travail permanent avec la cire. L’œuvre représente un arbre, mais évoque également un corps blessé. Des bandes de tissu se trouvent maintenues par des lanières de cuir dans un enchevêtrement très étudié. Ces strates de savoir et de reconnaissance entre les genres (végétal et humain) permettent une approche contemporaine, ancrée néanmoins dans un rapport traditionnel de la représentation. C’est donc bien dans un questionnement esthétique, philosophique et existentiel que se situe l’œuvre polymorphe de Berlinde de Bruyckere.


  A l’autre extrémité du parcours, tout au fond, sur le plateau 3, comme dans une sorte d’Enfer, prend place une installation d’une grande force sensorielle. Des empilements compressés de peaux en cire, reposant sur des palettes de bronze dialoguent avec dix-sept moulages de peaux suspendues à des crochets de boucherie. La trivialité du propos et sa mise à distance puisqu’il ne s’agit que de simulacres, incitent à la réflexion sur l’exploitation furieuse de l’animal. Si une visite dans une peausserie d’Anderlecht avait vivement frappé l’artiste, sa mise en scène repose ici sur un agencement trouble où l’odeur joue également un rôle. L’esthétique se mue dès lors en une pensée politique au sens large. Une série d’aquarelles et de collages nommée Met Tere Huid ponctuent son propos comme des icônes révélatrices de ces chairs souffrantes, en attente d’on ne sait quelle potentielle résurrection.

 


Berlinde De Bruyckere. No Life Lost II (2015). Exposition MOCO, 2022.


  Entre les deux, se trouvent des pièces essentielles comme No Life Lost II (2015) avec ces deux chevaux qui débordent de la vitrine. Bandages, sangles, mise en place d’un cadre trop étroit, étrange parenté entre humains et animaux, mise en lumière de la puissance de la vie qui passe, proposent une grammaire artistique mouvante. San Sebastian (2022) reprend le mythe du martyr, si souvent représenté dans la peinture occidentale et transfiguré par la psychanalyse, mais sous la forme d’un arbre. Ce dernier se trouve dressé sur des cales en bronze et traversé de piquets en bois censés représenter les flèches. Là encore l’évidence se brouille et nous amène à changer les points de vue trop établis. Enfin, la figure humaine, trop humaine, se retrouve dans le groupe des Tre Arcangeli (2022) entouré d’autres Arcangelos. Recouverts de peaux, ces archanges semblent sur le point de s’envoler ou d’atterrir sur terre, sorte de rencontre irréelle avec la matière en train de se dissoudre. La présence irradiante de l’art primitif des Flandres, on songera à l’incontournable retable de L’Adoration de l’Agneau mystique, des frères Van Eyck à Gand, pèse sans doute inconsciemment sur certaines de ses créations, mais sans occulter ses problématiques personnelles. N’oublions pas la collaboration avec l’écrivaine sud-africaine Antjie Krog, qui irrigue toute la monstration et dont certains poèmes se trouvent placardés sur les murs.

 

 

                                                                                                                         Christian Skimao

 

Berlinde De Bruyckere. San Sebastian, 2022. Exposition MOCO, 2022.

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