samedi 16 juillet 2022

Exposition "Périzoniums". Jacqueline Salmon, Arles, 2022.

 

Exposition « Le point aveugle. Périzoniums, études et variations. » de Jacqueline Salmon

Musée Réattu, Arles (dans le cadre des Rencontres photographiques « Arles Associé »)

Du 2 juillet au 2 octobre 2022

                                              



   Recouvrements et découvertes

 

  Monumentale exposition autour d’un sujet peu connu et encore moins analysé, le périzonium (linge entourant les reins) du Christ dans la peinture occidentale. Le travail acharné de Jacqueline Salmon, artiste française très connue, qui aime explorer les rapports existant entre l’art, l’architecture, les éléments triviaux, les choses anodines, les biens précieux et la photographie. Elle se trouve accompagnée par un travail muséographique optant pour le long terme par Andy Neyrotti, commissaire de l’exposition, nos yeux stupéfaits découvrant alors ce qui demeurait couvert.

  Le titre de l’exposition, éminemment poétique, « Le point aveugle », fait référence à la tache découverte par Edme Mariotte (1620-1684), le seul endroit de la rétine qui ne voit pas. Cet aveuglement de l’histoire de l’art par rapport à un motif aussi central que la crucifixion dans l’iconographie chrétienne occidentale conduit donc l’artiste à recourir à des cadrages précis des œuvres qui interrogent ce qui se voit comme le nez au milieu de la peinture. La présence de ce pagne a donc évolué en fonction des siècles, du goût de l’époque ou des diktats de l’Église catholique régissant l’esthétique et la pensée, mais aussi de problématiques morales, comme la nudité. En présentant ses recherches au travers de nombreux carnets, de mises en scène spécifiques, mais aussi de dialogues avec les œuvres de la collection du musée, Jacqueline Salmon utilise donc la photographie, non pas comme un simple moyen de reproduction, mais comme un instrument d’interprétation à part entière.

  

Italie XIVe siècle¸ Jacqueline Salmon, 2022

Chercher, explorer, découvrir, analyser, composer, enfin cadrer et recadrer, c’est proposer une vision personnelle et ouverte du sujet. La démarche de la photographe porte donc sur des fragments d’œuvres comprenant des périzoniums, à travers l’histoire des arts, surtout dans la peinture ? mais en faisant parfois référence à des statues comme celle du Christ de Mas-Thibert (16ème siècle) qui se trouve au Réattu. Les voiles apparaissent parfois translucides comme dans une Variation sur la Crucifixion (Italie, 14ème siècle). La présence du sexe ou non, ouvre un champ interprétatif d’importance puisque le Fils de Dieu devient à la fois homme et femme. L’absence complète de pagne, comme dans une peinture de Michel-Ange renoue avec la réalité historique de la flagellation et de la crucifixion puisque les condamnés se trouvaient volontairement dénudés par les soldats romains, afin de les humilier davantage. Cela pose indirectement la question de la circoncision du Christ, né juif et mort juif, par rapport au récit des Évangiles qui va s’ensuivre et de la réappropriation de la pensée hébraïque par la doxa catholique. Et que penser des périzoniums avec des nœuds disproportionnés, qui flottent au vent, chez Lucas Cranach ou Wolfgang Huber (16ème siècle), où le sexe précautionneusement caché se retrouve métaphoriquement glorifié dans une boursouflure baroque de tissu ? Le 20ème siècle se trouve également convoqué dans une toile de Chagall où le pagne christique se trouve remplacé par un Tallith (voile de prière juif) dans une hallucinante traversée des cultures sur fond de pogroms allemands et russes.

Lucas Cranach (1503-80), Alte Pinakothek, Munich 

  Une exposition à voir, à revoir, et pour les historiens de l’art que de chantiers à ouvrir. Jacqueline Salmon présente ici un travail qualifiable d’exceptionnel, dont la modernité s’inscrit paradoxalement dans une grande tradition picturale. Son œil photographique dévoile et nous rend plus intelligents.

                                                                                                                             Christian Skimao

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