Exposition « Le point aveugle.
Périzoniums, études et variations. » de Jacqueline Salmon
Musée Réattu, Arles (dans le cadre
des Rencontres photographiques « Arles Associé »)
Du 2 juillet au 2 octobre 2022
Recouvrements et découvertes
Monumentale exposition autour
d’un sujet peu connu et encore moins analysé, le périzonium (linge entourant
les reins) du Christ dans la peinture occidentale. Le travail acharné de
Jacqueline Salmon, artiste française très connue, qui aime explorer les
rapports existant entre l’art, l’architecture, les éléments triviaux, les choses
anodines, les biens précieux et la photographie. Elle se trouve accompagnée par
un travail muséographique optant pour le long terme par Andy Neyrotti,
commissaire de l’exposition, nos yeux stupéfaits découvrant alors ce qui demeurait
couvert.
Le titre de l’exposition, éminemment
poétique, « Le point aveugle », fait référence à la tache découverte
par Edme Mariotte (1620-1684), le seul endroit de la rétine qui ne voit pas. Cet
aveuglement de l’histoire de l’art par rapport à un motif aussi central que la
crucifixion dans l’iconographie chrétienne occidentale conduit donc l’artiste à
recourir à des cadrages précis des œuvres qui interrogent ce qui se voit comme
le nez au milieu de la peinture. La présence de ce pagne a donc évolué en
fonction des siècles, du goût de l’époque ou des diktats de l’Église catholique
régissant l’esthétique et la pensée, mais aussi de problématiques morales,
comme la nudité. En présentant ses recherches au travers de nombreux carnets, de
mises en scène spécifiques, mais aussi de dialogues avec les œuvres de la
collection du musée, Jacqueline Salmon utilise donc la photographie, non pas
comme un simple moyen de reproduction, mais comme un instrument
d’interprétation à part entière.
| Italie XIVe siècle¸ Jacqueline Salmon, 2022 |
Chercher, explorer, découvrir, analyser,
composer, enfin cadrer et recadrer, c’est proposer une vision personnelle et
ouverte du sujet. La démarche de la photographe porte donc sur des fragments d’œuvres
comprenant des périzoniums, à travers l’histoire des arts, surtout dans la
peinture ? mais en faisant parfois référence à des statues comme celle du
Christ de Mas-Thibert (16ème siècle) qui se trouve au Réattu. Les
voiles apparaissent parfois translucides comme dans une Variation sur la
Crucifixion (Italie, 14ème siècle). La présence du sexe ou
non, ouvre un champ interprétatif d’importance puisque le Fils de Dieu devient
à la fois homme et femme. L’absence complète de pagne, comme dans une peinture
de Michel-Ange renoue avec la réalité historique de la flagellation et de la
crucifixion puisque les condamnés se trouvaient volontairement dénudés par les
soldats romains, afin de les humilier davantage. Cela pose indirectement la
question de la circoncision du Christ, né juif et mort juif, par rapport au
récit des Évangiles qui va s’ensuivre et de la réappropriation de la pensée
hébraïque par la doxa catholique. Et que penser des périzoniums avec des nœuds
disproportionnés, qui flottent au vent, chez Lucas Cranach ou Wolfgang
Huber (16ème siècle), où le sexe précautionneusement caché se
retrouve métaphoriquement glorifié dans une boursouflure baroque de tissu ? Le 20ème
siècle se trouve également convoqué dans une toile de Chagall où le pagne
christique se trouve remplacé par un Tallith (voile de prière juif) dans une
hallucinante traversée des cultures sur fond de pogroms allemands et russes.
![]() |
| Lucas Cranach (1503-80), Alte Pinakothek, Munich |
Une exposition à voir, à revoir, et pour les historiens de l’art que de chantiers à ouvrir. Jacqueline Salmon présente ici un travail qualifiable d’exceptionnel, dont la modernité s’inscrit paradoxalement dans une grande tradition picturale. Son œil photographique dévoile et nous rend plus intelligents.
Christian Skimao


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