Exposition
Jardins intérieurs de Jean-Pierre Loubat
Espace
culture Jean-Jaurès, Vauvert
Du 16
mai au 12 juillet 2025
Livrer ses livres
La bibliothèque demeure un lieu mystérieux,
fantasmatique et fantasmé, mais aussi éminemment réel. D’un côté, celle décrite
par Borges, avec l’emphase poétique qu’on lui connait : « L’univers
(que d’autres appellent la Bibliothèque)… », de l’autre, celle de Pascal
Quignard qui définit les amoureux du livre : « Ils forment à eux
seuls une bibliothèque de vies brèves mais nombreuses.». Reste aussi la
définition plus pragmatique d’un meuble aux étagères nombreuses et aux formes
variées, dont le nom vient du grec ancien et met en relation le livre (biblion) avec le lieu de rangement (thêkê). Se trouvent, hors champ, mais
intensément et souvent névrotiquement consultés, l’internet et l’IA, immatérialités
redoutables, qui classent le monde selon des algorithmes plus ou moins
orientés.
Pour Jean-Pierre Loubat, le vagabondage au
travers des lieux et des livres, photographiés en couleur et en noir et blanc,
sans précision de l’identité des propriétaires, ouvre un champ exploratoire plein
de surprises. Les angles de vue se diversifient, des plans larges alternent
avec des plans resserrés, des gros plans sur certains titres de volumes se
mélangent à de vastes espaces de classification où peu de détails émergent. Martine
Guillerm, dans le texte critique du catalogue évoque deux fonctions de la bibliothèque,
« comme lieu (réel/imaginaire ») et comme lien (à soi-même/au
monde) », sans oublier l’existence d’un non-dit de taille, car le rangement
personnel dévoile l’espace critique sous-jacent. Je range ce qui dérange, et
inversement. La psychanalyse s’épanouit indéniablement dans les bibliothèques.
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Jean-Pierre Loubat, Jardins intérieurs, vue partielle, Vauvert, 2025 |
Le
format des photographies varie ainsi que leur accrochage dans tout l’espace de
monstration. La lisibilité des titres induit une réflexion plus ou moins
orientée, le monde se découvre au travers de l’hétérogénéité. La qualité des
reliures ou leur modestie concernant les éditions de poche se retrouvent dans
une nouvelle concurrence lors de la découverte des auteurs. Mais les
bibliothèques privées contiennent également autre chose que des livres. Des
bibelots côtoient des peintures, de petites sculptures du monde entier se
mélangent à des poteries, des coquillages séduisent des bronzes, etc. Les
volumes, eux, demeurent sereins malgré la présence de ce petit peuple non
imprimé. Le titre choisi, Jardins intérieurs, coïncide avec cette
injonction à se cultiver, ou plutôt à « cultiver notre jardin »,
comme l’écrit Voltaire dans Candide, avec une cruelle malice. Et pour
finir ou ouvrir un nouveau débat, une citation extrêmement questionnante d’Amos
Oz : « Enfant, j’espérais devenir un livre quand je serais grand. »
Christian
Skimao
PS
Je suis très heureux de figurer dans les photographies exposées,
bibliothèque parmi les bibliothèques.
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