mercredi 21 mai 2025

 

Exposition Jardins intérieurs de Jean-Pierre Loubat

Espace culture Jean-Jaurès, Vauvert

Du 16 mai au 12 juillet 2025

 

 


                        Livrer ses livres

 

 

 

 La bibliothèque demeure un lieu mystérieux, fantasmatique et fantasmé, mais aussi éminemment réel. D’un côté, celle décrite par Borges, avec l’emphase poétique qu’on lui connait : « L’univers (que d’autres appellent la Bibliothèque)… », de l’autre, celle de Pascal Quignard qui définit les amoureux du livre : « Ils forment à eux seuls une bibliothèque de vies brèves mais nombreuses.». Reste aussi la définition plus pragmatique d’un meuble aux étagères nombreuses et aux formes variées, dont le nom vient du grec ancien et met en relation le livre (biblion) avec le lieu de rangement (thêkê). Se trouvent, hors champ, mais intensément et souvent névrotiquement consultés, l’internet et l’IA, immatérialités redoutables, qui classent le monde selon des algorithmes plus ou moins orientés.

 

  Pour Jean-Pierre Loubat, le vagabondage au travers des lieux et des livres, photographiés en couleur et en noir et blanc, sans précision de l’identité des propriétaires, ouvre un champ exploratoire plein de surprises. Les angles de vue se diversifient, des plans larges alternent avec des plans resserrés, des gros plans sur certains titres de volumes se mélangent à de vastes espaces de classification où peu de détails émergent. Martine Guillerm, dans le texte critique du catalogue évoque deux fonctions de la bibliothèque, « comme lieu (réel/imaginaire ») et comme lien (à soi-même/au monde) », sans oublier l’existence d’un non-dit de taille, car le rangement personnel dévoile l’espace critique sous-jacent. Je range ce qui dérange, et inversement. La psychanalyse s’épanouit indéniablement dans les bibliothèques.

 

Jean-Pierre Loubat, Jardins intérieurs, vue partielle, Vauvert, 2025


   Le format des photographies varie ainsi que leur accrochage dans tout l’espace de monstration. La lisibilité des titres induit une réflexion plus ou moins orientée, le monde se découvre au travers de l’hétérogénéité. La qualité des reliures ou leur modestie concernant les éditions de poche se retrouvent dans une nouvelle concurrence lors de la découverte des auteurs. Mais les bibliothèques privées contiennent également autre chose que des livres. Des bibelots côtoient des peintures, de petites sculptures du monde entier se mélangent à des poteries, des coquillages séduisent des bronzes, etc. Les volumes, eux, demeurent sereins malgré la présence de ce petit peuple non imprimé. Le titre choisi, Jardins intérieurs, coïncide avec cette injonction à se cultiver, ou plutôt à « cultiver notre jardin », comme l’écrit Voltaire dans Candide, avec une cruelle malice. Et pour finir ou ouvrir un nouveau débat, une citation extrêmement questionnante d’Amos Oz : « Enfant, j’espérais devenir un livre quand je serais grand. »

 

                                                                                                                           Christian Skimao

 

 

PS Je suis très heureux de figurer dans les photographies exposées, bibliothèque parmi les bibliothèques.

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