dimanche 10 juin 2012

Exposition VERA LUTTER

Exposition Vera Lutter
Carré d’art-Musée d’art contemporain
Place de la Maison Carrée, Nîmes
Du 6 juin au 16 septembre 2012





Frankfurt Airport, IV: April 13, 2001, 2001, tirage gélatino-argentique / gelatin-silver print, 207 x 427 cm Collection Golden Tree Asset Management, LP. Photo: John Back.



Une exposition révélatrice


  Une grande partie des œuvres en noir et blanc de Vera Lutter exposées ici relèvent de la technique du sténopé (hormis pour la série des photographies de la lune intitulée « Albescent »). Pour mémoire il s’agit d’un dispositif optique formé d’une boîte dont l’une des quatre faces se trouve percée d’un trou minuscule qui laisse passer la lumière. Mais la taille de cette boîte peut devenir chez l’artiste celle d’une chambre ce qui implique un changement d’échelle conséquent. Sur la surface opposée à cette ouverture vient se former l'image inversée de la réalité qui se trouve capturée sur du papier photographique. La durée de prise de vue pouvant se chiffrer en heures, jours et parfois semaines, elle a inclus dans ses titres le temps nécessaire à l’obtention de l’image. Nous nous trouvons alors face à un questionnement lié à la durée.

  Ce travail semble renouer renoue avec les origines de la photographie mais aussi avec le dispositif pictural de la « camera obscura » car Vera Lutter ne se définit pas comme photographe. La présence de paysages industriels, urbains ou liés à l’activité économique comme « Frankfurt Airport IV : April 13, 2001 » pose la question de la superposition des activités humaines et de leur perception par le spectateur. En effet lors d’une séance de pose, la fixité du dispositif se heurte aux incessants mouvements liés à la vie, à la circulation des hommes et des appareils ainsi qu’aux variations climatiques. L’absence totale de figure humaine ou de présences quasi fantomatiques liés au temps d’exposition participe elle aussi à sa recherche d’un temps perdu. Elle essaye de retrouver les structures géométriques sises dans l’espace, référence lointaine à la sculpture par le biais de ses images irréelles. Il faut à la fois se projeter dans un espace immatériel tout en savourant toutes les nuances encore perceptibles du réel. La restitution de l’œuvre finale joue avec des images séparées et réunifiées, polyptyques liés à une obligation technique mais qui renouent aussi avec la notion de grande peinture.

 D’autres séries travaillent sur les villes, New York l’incontournable et Venise l’autre incontournable. Obligatoirement se créent des superpositions mentales et référentielles qui œuvrent dans une interpicturalité assumée. La magie des lieux se retrouve dans l’imperceptible qualité du résultat final. Inversion des images et rétablissement de ces dernières contribuent également à brouiller les cartes. La mise en abyme des œuvres comme dans « Pepsi Cola Interior » ouvre là aussi de nouvelles perspectives. Sans jeu de mots. L’alliance de la ruine et du contemporain contribue dès lors à la vision d’une nouvelle esthétique qualifiable de postmoderne, pour reprendre un concept quelque peu tombé  lui aussi en désuétude. On pourrait même parler de maniérisme dans la façon qu’a l’artiste de se servir de toutes les arcanes de l’histoire de l’art et de les redistribuer. La dangereuse apparition de l’invisible finit par laisser entrevoir des failles spatio-temporelles.

  Enfin une vidéo en couleurs nommée « One Day » propose une vision de 24 heures d’un coin de nature qui ponctue sa recherche sur le temps et le sentiment. Dans une salle on voit les huit heures du jour, dans une autre les huit heures de nuit, huit autres heures demeurent non visibles. Si ce rapport elliptique ne semble pas évident au premier abord, il trouve rapidement sa pertinence avec les photographies. En effet une fois encore l’impalpable se trouve mis en lumière par le biais d’une relecture du réel. Bruitage et cadrage fonctionnent de concert mais là encore « l’essentiel est invisible pour les yeux ». A méditer.


                                                                                                                                                   Christian Skimao

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