Carré d’art-Musée d’art contemporain
Place de la Maison Carrée, Nîmes
Du 6 juin au 16 septembre 2012
Frankfurt Airport, IV: April 13, 2001, 2001, tirage gélatino-argentique /
gelatin-silver print, 207 x 427 cm Collection Golden Tree Asset Management, LP. Photo: John Back.
Une exposition révélatrice
Une
grande partie des œuvres en noir et blanc de Vera Lutter exposées ici relèvent
de la technique du sténopé (hormis pour la série des photographies de la lune
intitulée « Albescent »). Pour mémoire il s’agit d’un dispositif
optique formé d’une boîte dont l’une des quatre faces se trouve percée d’un trou
minuscule qui laisse passer la lumière. Mais la taille de cette boîte peut
devenir chez l’artiste celle d’une chambre ce qui implique un changement
d’échelle conséquent. Sur la surface opposée à cette ouverture vient se former l'image inversée de la réalité qui se trouve capturée sur du papier photographique. La durée de prise de vue pouvant se chiffrer en
heures, jours et parfois semaines, elle a inclus dans ses titres le temps
nécessaire à l’obtention de l’image. Nous nous trouvons alors face à un
questionnement lié à la durée.
Ce travail semble renouer renoue avec les
origines de la photographie mais aussi avec le dispositif pictural de la
« camera obscura » car Vera Lutter ne se définit pas comme
photographe. La présence de paysages industriels, urbains ou liés à l’activité
économique comme « Frankfurt Airport IV : April 13, 2001 » pose
la question de la superposition des activités humaines et de leur perception
par le spectateur. En effet lors d’une séance de pose, la fixité du dispositif
se heurte aux incessants mouvements liés à la vie, à la circulation des hommes
et des appareils ainsi qu’aux variations climatiques. L’absence totale de
figure humaine ou de présences quasi fantomatiques liés au temps d’exposition
participe elle aussi à sa recherche d’un temps perdu. Elle essaye de retrouver
les structures géométriques sises dans l’espace, référence lointaine à la
sculpture par le biais de ses images irréelles. Il faut à la fois se projeter dans
un espace immatériel tout en savourant toutes les nuances encore perceptibles du
réel. La restitution de l’œuvre finale joue avec des images séparées et
réunifiées, polyptyques liés à une obligation technique mais qui renouent aussi
avec la notion de grande peinture.
D’autres séries travaillent sur les villes,
New York l’incontournable et Venise l’autre incontournable. Obligatoirement se
créent des superpositions mentales et référentielles qui œuvrent dans une
interpicturalité assumée. La magie des lieux se retrouve dans l’imperceptible
qualité du résultat final. Inversion des images et rétablissement de ces
dernières contribuent également à brouiller les cartes. La mise en abyme des
œuvres comme dans « Pepsi Cola Interior » ouvre là aussi de nouvelles
perspectives. Sans jeu de mots. L’alliance de la ruine et du contemporain
contribue dès lors à la vision d’une nouvelle esthétique qualifiable de postmoderne,
pour reprendre un concept quelque peu tombé
– lui aussi – en
désuétude. On pourrait même parler de maniérisme dans la façon qu’a l’artiste
de se servir de toutes les arcanes de l’histoire de l’art et de les
redistribuer. La dangereuse apparition de l’invisible finit par laisser
entrevoir des failles spatio-temporelles.
Enfin une vidéo en couleurs nommée « One
Day » propose une vision de 24 heures d’un coin de nature qui ponctue sa
recherche sur le temps et le sentiment. Dans une salle on voit les huit heures
du jour, dans une autre les huit heures de nuit, huit autres heures demeurent
non visibles. Si ce rapport elliptique ne semble pas évident au premier abord,
il trouve rapidement sa pertinence avec les photographies. En effet une fois
encore l’impalpable se trouve mis en lumière par le biais d’une relecture du
réel. Bruitage et cadrage fonctionnent de concert mais là encore « l’essentiel
est invisible pour les yeux ». A méditer.
Christian Skimao
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