Exposition « Corps et Ombres, Caravage
et le caravagisme européen »
Musée Fabre
39, boulevard Bonne Nouvelle à Montpellier
Du 24 juin au 14 octobre 2012
Une trivialité sublime
L’exposition
intitulée « Corps et Ombres, Caravage et le caravagisme européen » se
divise en deux parties : l’une à Montpellier au musée Fabre avec Caravage
et les caravagesques du Sud, l’autre à Toulouse au musée des Augustins avec le
caravagisme du Nord. Nous n’évoquerons ici que celle de Montpellier orchestrée
avec brio par Michel Hilaire, co-commissaire général de la manifestation en
compagnie d’Axel Hémery, avec le soutien du réseau FRAME.
Lorsque l’on évoque l’œuvre de Michelangelo
Merisi dit Caravage la confrontation du spectateur à la notion de génie semble
toujours lourde à porter. Et pourtant cette monstration très didactique qui met
en relation l’inventivité de l’artiste et le courant qui s’en réclame,
directement ou indirectement, nous situe au cœur de cette problématique et des innombrables
connexions qui irriguent l’histoire de l’art. Chaque attitude induit une autre
attitude, chaque corps évoque un autre corps et chaque coup de pinceau se
réfère à une autre façon de peindre. Tradition et transgression se complètent
alors à merveille dans un dialogue permanent.
Caravage bouscule les codes en vigueur,
changeant cadrages et éclairages. Il met en place un « naturalisme »
au travers de l’emploi de modèles qui viennent de la vie quotidienne. La
confrontation entre les scènes obligées du répertoire sacré et les figurants
peints issus de son voisinage crée les conditions d’un choc visuel et culturel.
La dimension sexuelle demeure extrêmement forte dans ses œuvres. Le peintre
tente de redonner vie aux corps dans le cadre d’une mise en scène qui privilégie
la figure humaine. Si les natures mortes ne se trouvent pas dans l’exposition
(on songe ici à la célèbre corbeille de fruits de Milan et au texte d’analyse
de Michel Butor intitulé « La Corbeille de l’Ambrosienne », datant de
1959) les corps se heurtent et se rencontrent dans de suppliantes et mystiques
violences (cf. « La flagellation du Christ »). Il existe donc une
approche paradoxale chez Caravage qui cherche le sacré dans l’humaine
trivialité. Cette mise en avant de la chair de l’être au détriment de son
aspect éthéré ne doit pas nous faire perdre de vue qu’il s’agit toujours ici de
peinture. La figuration permet une narration qui semble en apparence plus
accessible que l’abstraction mais l’extrême connotation des scènes donne lieu à
un lent et minutieux décryptage. Nous nous trouvons bien en présence d’un art
du savoir enrichi ou contrebalancé par le ressenti. La perception globale de
chaque peinture, tout en ne négligeant pas sa contextualisation, s’inscrit dans
une contemporanéité qui en bouleverse à chaque fois la lecture, entre
sentiments et sensations.
Une grande partie de l’exposition explore la
continuité de l’œuvre au travers de ce que l’on nomme le caravagisme. Il faut
se souvenir qu’il ne s’agit pas d’une école mais d’un courant irriguant une
grande partie de la peinture occidentale durant de nombreuses années après la
disparition du Caravage. Cette mise en place d’un corpus contraignant mais
dynamisant qui repose sur le
naturalisme, la grandeur des figures, la luminosité, l’utilisation du
clair-obscur, etc., donne naissance à la fois aux caravagesques, héritiers
directs du maître à Rome (avec les deux Gentileschi par exemple) puis à un mouvement
qui nous conduit en Espagne (avec Francisco Zurbarán) et en France (avec Georges de La Tour) ;
cette déclinaison de la référence première offre un parcours où les
comparaisons le disputent aux découvertes. D’une lumière si modelée à des
personnages si vivants c’est toute une esthétique « révolutionnaire »
pour son temps qui se déroule devant nos yeux.
Christian Skimao
Christian Skimao
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