Deux
expositions
Anna
Boghiguian « Promenade dans l’inconscient »
Et
Abraham
Cruzvillegas « Autoconstriction
Approximante Vibrante Retroflexe »
Carré
d’art-Musée d’art contemporain
Place
de la Maison Carrée, Nîmes
Du
14 octobre 2016 au 19 février 2017
Courtesy de l’artiste & Sfeir-Semler Gallery Hambourg/Beyrouth. © Anna Boghiguian. "Cotton-Suez Canal, Camel", 2011. |
Une approche consciente
de l’inconscient
Anna Boghiguian propose une approche du
monde très originale au travers de peintures dressées et de dessins qui
mélangent aventures d’hier et d’autrefois. Les histoires se mêlent à l’Histoire
en un grand maelström coloré et figuratif. Une narration spécialement réalisée
pour l’exposition à Carré d’Art interroge les événements nîmois d’un passé
récent, mais aussi les origines égyptiennes (réelles ou non) de la cité. En
effet, le palmier et le crocodile, références antiques lointaines réactivées
par la suite se mêlent au métissage entre protestants et catholiques, sans
oublier un textile célèbre originaire de la perle romaine. Toutes ces images
nous plongent dans un inconscient collectif bariolé. Des textes de l’artiste se
mélangent à certains grands poètes grecs modernes comme Constantin Cavafy (né à
Alexandrie) qui lui aussi jouait avec la modernité tout en utilisant
subtilement la culture du passé. Toute la Méditerranée se donne rendez-vous
entre Actium, Le Caire, Nîmes et d’autres contrées existantes ou réinterprétées.
Une autre installation, très jungienne, propose une construction en bois,
porteuse de phrases et de lettres qui symbolise notre inconscient. Le
spectateur y pénètre, rencontre d’étranges figures au plafond, comme
l’Hermaphrodite (admirable) et circule entre plantes et abeilles. Le miel de
l’esprit demeure une spécificité de cette apicultrice des épopées plastiques.
© Abraham Cruzvillegas Vue de l’exposition "Autodestrucción 8": Sinbyeong, Artsonje Center, Séoul, Corée du Sud, 2015 Photo Kim Taedong |
Un bâtisseur perpétuel
Abraham Cruzvillegas s’inscrit dans cette
démarche du recyclage, en passe de devenir classique, mais en y incorporant de
nouveaux éléments plus immatériels. Son cycle de destruction et de
reconstruction prend corps dans l’expérience familiale qui a construit son logis
en récupérant des matériaux dans la banlieue déshéritée de Mexico. Mettant en
avant une idée de dépassement de la société de consommation, il intègre un questionnement
sur le devenir des objets, leur transformation et leur renaissance. Pour
l’exposition de Carré d’art, il a fait chercher des objets abandonnés dans les
poubelles de Nîmes avec l’aide de deux assistants locaux. Mettant en scène les
rapports existants entre ces rebuts disparates, il leur offre une nouvelle vie,
tout en faisant intervenir également un couple de danseurs mexicains. Ces
derniers, renouant avec des danses précolombiennes, redonnent sens aux objets
« morts » en frappant des pieds en cadence et en réactualisant des
rites anciens. Il y a là une sorte de continuité de la démarche duchampienne
mais dans un sens très différent, car si n’importe quel objet peut servir de
support artistique chez Marcel Duchamp de par la seule volonté de l’artiste,
c’est dans le relationnel et dans l’histoire que se situe la démarche de
Cruzvillegas. On pensera bien sûr aux réflexions de Jacques Derrida sur l’art
qui ouvrait la voie à une pensée toujours en devenir.
En
conclusion, on dira que ces deux artistes, Boghiguian et Cruzvillegas, offrent
une approche globalisée du monde. Ils laissent une grande place à la force de l’esprit
et aux interactions essentielles qui existent entre les êtres et leurs
représentations au sens le plus large. L’épaisseur des histoires se trouve
cimentée par la pertinence d’une approche artistique, jamais pesante et
toujours questionnante.
Christian Skimao
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