lundi 17 octobre 2016

Anna Boghiguian et Abraham Cruzvillegas, Carré d'art, Nîmes Christian Skimao

Deux expositions
Anna Boghiguian « Promenade dans l’inconscient »
Et
Abraham Cruzvillegas  « Autoconstriction Approximante Vibrante Retroflexe »
Carré d’art-Musée d’art contemporain
Place de la Maison Carrée, Nîmes
Du 14 octobre 2016 au 19 février 2017


Courtesy de l’artiste & Sfeir-Semler Gallery Hambourg/Beyrouth. © Anna Boghiguian. "Cotton-Suez Canal, Camel", 2011.


Une approche consciente de l’inconscient


   Anna Boghiguian propose une approche du monde très originale au travers de peintures dressées et de dessins qui mélangent aventures d’hier et d’autrefois. Les histoires se mêlent à l’Histoire en un grand maelström coloré et figuratif. Une narration spécialement réalisée pour l’exposition à Carré d’Art interroge les événements nîmois d’un passé récent, mais aussi les origines égyptiennes (réelles ou non) de la cité. En effet, le palmier et le crocodile, références antiques lointaines réactivées par la suite se mêlent au métissage entre protestants et catholiques, sans oublier un textile célèbre originaire de la perle romaine. Toutes ces images nous plongent dans un inconscient collectif bariolé. Des textes de l’artiste se mélangent à certains grands poètes grecs modernes comme Constantin Cavafy (né à Alexandrie) qui lui aussi jouait avec la modernité tout en utilisant subtilement la culture du passé. Toute la Méditerranée se donne rendez-vous entre Actium, Le Caire, Nîmes et d’autres contrées existantes ou réinterprétées. Une autre installation, très jungienne, propose une construction en bois, porteuse de phrases et de lettres qui symbolise notre inconscient. Le spectateur y pénètre, rencontre d’étranges figures au plafond, comme l’Hermaphrodite (admirable) et circule entre plantes et abeilles. Le miel de l’esprit demeure une spécificité de cette apicultrice des épopées plastiques.


© Abraham Cruzvillegas
 Vue de l’exposition "Autodestrucción 8": Sinbyeong, Artsonje Center, Séoul, Corée du Sud, 2015 Photo Kim Taedong


Un bâtisseur perpétuel

  Abraham Cruzvillegas s’inscrit dans cette démarche du recyclage, en passe de devenir classique, mais en y incorporant de nouveaux éléments plus immatériels. Son cycle de destruction et de reconstruction prend corps dans l’expérience familiale qui a construit son logis en récupérant des matériaux dans la banlieue déshéritée de Mexico. Mettant en avant une idée de dépassement de la société de consommation, il intègre un questionnement sur le devenir des objets, leur transformation et leur renaissance. Pour l’exposition de Carré d’art, il a fait chercher des objets abandonnés dans les poubelles de Nîmes avec l’aide de deux assistants locaux. Mettant en scène les rapports existants entre ces rebuts disparates, il leur offre une nouvelle vie, tout en faisant intervenir également un couple de danseurs mexicains. Ces derniers, renouant avec des danses précolombiennes, redonnent sens aux objets « morts » en frappant des pieds en cadence et en réactualisant des rites anciens. Il y a là une sorte de continuité de la démarche duchampienne mais dans un sens très différent, car si n’importe quel objet peut servir de support artistique chez Marcel Duchamp de par la seule volonté de l’artiste, c’est dans le relationnel et dans l’histoire que se situe la démarche de Cruzvillegas. On pensera bien sûr aux réflexions de Jacques Derrida sur l’art qui ouvrait la voie à une pensée toujours en devenir.


    En conclusion, on dira que ces deux artistes, Boghiguian et Cruzvillegas, offrent une approche globalisée du monde. Ils laissent une grande place à la force de l’esprit et aux interactions essentielles qui existent entre les êtres et leurs représentations au sens le plus large. L’épaisseur des histoires se trouve cimentée par la pertinence d’une approche artistique, jamais pesante et toujours questionnante.

                                                                                                                         Christian Skimao


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