mercredi 6 mars 2019

Niko Pirosmani Fondation Vincent Van Gogh


Expositions « Promeneur entre les mondes » de Niko Pirosmani avec des œuvres d’artistes contemporains
et « Vitesse & aplomb » de Vincent Van Gogh
Fondation Vincent van Gogh, Arles
Du 2 mars au 1 er juin 2019



NikoPirosmani-Femme au bock de bière



                     Pirosmani, « chevalier » de la Table




  Niko Pirosmani (1862-1918) est un important et incontournable artiste géorgien. Son parcours demeure en partie extérieur au monde de l’art de son temps et très impliqué dans la réalité de son époque. Artiste qualifiable de singulier, autodidacte, vagabond, il sillonne les campagnes et les villes de son pays tout en peignant constamment des figures animales et des représentations de la vie quotidienne dans un style primitiviste. Les classifications habituelles de l’histoire de l’art ne lui correspondent pas entièrement puisque son approche relève à la fois d’une vision naïve du monde, mais aussi d’une véritable transposition poétique, soutenue par une grande innovation plastique.

 Il s’agit souvent de grands formats sur carton ou sur toiles cirées. La série des animaux comprend, entre autres, un sanglier, des ours, un lion jaune assis et une exceptionnelle girafe. Cette dernière ne respecte que vaguement la morphologie réelle de l’animal et offre un resserrement de la composition générant une grande force expressive. L’impression de puissance remplace ici la sveltesse attendue et inscrit sa représentation dans une dimension d’animal quasi-mythique. De nombreuses scènes de genre avec des êtres humains optent soit pour des événements historiques (« La guerre russo-japonaise ») ou sociaux (« Le Millionnaire sans enfants et la pauvresse avec enfants ») ou pour des portraits de face dont certains possèdent une vocation décorative ou commerciale au sens large. Ainsi, « Femme au bock de bière » représente une imposante matrone en robe rouge tenant à la main une chope de bière. La stylisation générale, avec la table représentée comme un simple parallélépipède vertical, ainsi que des motifs floraux encadrant l’ensemble, sur fond noir, donnent à l’ensemble un caractère magnétique proche d’une scène extraite du cinéma muet.

  Il existe une parenté avec le Douanier Rousseau, mais Pirosmani s’inscrit dans un art beaucoup plus populaire concernant ses sources d’inspiration. Sa vie, fort difficile, avec des soucis financiers récurrents et la chute dans la misère, ainsi que sa véritable reconnaissance après sa mort, offrent un parallèle avec la vie et l’œuvre de Van Gogh, d’où la pertinence d’une sélection d’œuvres du grand Hollandais, comme « Le Bûcheron (d’après Millet) » de 1889 ou « L’Arlésienne (Mme Ginoux) » de 1890.

  Une exposition de réalisations contemporaines, aux étages supérieurs, accompagne en forme d’hommage cette monstration historique. Remarquons d’abord une œuvre centrale, une table massive de sept mètres de long en plexiglas contenant des roses bleues, réalisée par l’architecte Tadao Ando, qui reprend l’esprit de celle où devaient se réunir l’artiste et ses confrères afin de débattre des problèmes de l’art de leur époque et qui ne vit jamais le jour. Elle narre aussi l’achat possible de toutes les roses de la ville pour séduire l’actrice française Margueritte de Sèvres lors de son passage à Tbilissi en 1905 par Pirosmani qui en était amoureux (cf. sa peinture « L’Actrice Margarita »). Enfin, la table-sculpture actuelle symbolise également une sorte de tombeau pour l’artiste dont on ne sait toujours pas où se trouve la dépouille. Un superbe diptyque de Georg Baselitz (crayon, plume et encre sur papier) propose un double regard sur Pirosmani et Hokusai dans un grand choc graphique et narratif. Les œuvres de Raphaela Vogel parsèment les salles avec une très belle installation mélangeant des références à sa vie personnelle et à celle du peintre tandis que Christina Forrer propose des tapisseries pleines d’angoisse. Plus apaisées les photographies de Shirana Shabazi oscillent entre abstraction et figuration. Des peintures de Yoshitomo Nara revisitent les œuvres de l’artiste national géorgien alors qu’Adrian Ghenie en propose un portrait condensé à partir de fragments épars.

  Historiquement, Iliazd (Ilia Zdanevitch) a essayé avec son frère Kirill et Le Dentu, de mettre en valeur le travail de Pirosmani, dès 1912. Les conditions difficiles liées à la Première Guerre mondiale puis à la soviétisation de la Géorgie ont créé un climat des plus tendu avec une certaine récupération de son œuvre, mais il faudra attendre les années 1960 pour que s’opère une reconnaissance plus franche. Après le retour à l’indépendance du pays en 1991, le mouvement s’accélère, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, avec l’exposition de 1995 au Kunsthaus de Zürich, au Musée des beaux-arts de Nantes en 1999, à l’Albertina de Vienne en 2018 pour aboutir en 2019 à Arles.

                                                                                                                          Christian Skimao

NikoPirosmani Girafe



Aucun commentaire: