Expositions « Promeneur entre les
mondes » de Niko Pirosmani avec des œuvres d’artistes contemporains
et « Vitesse & aplomb » de
Vincent Van Gogh
Fondation Vincent van Gogh, Arles
Du 2 mars au 1 er juin 2019
NikoPirosmani-Femme au bock de bière |
Pirosmani, « chevalier » de la Table
Niko Pirosmani (1862-1918) est un important et incontournable artiste
géorgien. Son parcours demeure en partie extérieur au monde de l’art de son
temps et très impliqué dans la réalité de son époque. Artiste qualifiable de
singulier, autodidacte, vagabond, il sillonne les campagnes et les villes de
son pays tout en peignant constamment des figures animales et des représentations
de la vie quotidienne dans un style primitiviste. Les classifications
habituelles de l’histoire de l’art ne lui correspondent pas entièrement puisque
son approche relève à la fois d’une vision naïve du monde, mais aussi d’une véritable
transposition poétique, soutenue par une grande innovation plastique.
Il s’agit souvent de grands formats sur carton
ou sur toiles cirées. La série des animaux comprend, entre autres, un sanglier,
des ours, un lion jaune assis et une exceptionnelle girafe. Cette dernière ne
respecte que vaguement la morphologie réelle de l’animal et offre un
resserrement de la composition générant une grande force expressive.
L’impression de puissance remplace ici la sveltesse attendue et inscrit sa
représentation dans une dimension d’animal quasi-mythique. De nombreuses scènes
de genre avec des êtres humains optent soit pour des événements historiques (« La
guerre russo-japonaise ») ou sociaux (« Le Millionnaire sans enfants
et la pauvresse avec enfants ») ou pour des portraits de face dont
certains possèdent une vocation décorative ou commerciale au sens large. Ainsi,
« Femme au bock de bière » représente une imposante matrone en robe
rouge tenant à la main une chope de bière. La stylisation générale, avec la
table représentée comme un simple parallélépipède vertical, ainsi que des
motifs floraux encadrant l’ensemble, sur fond noir, donnent à l’ensemble un
caractère magnétique proche d’une scène extraite du cinéma muet.
Il existe une parenté avec le Douanier Rousseau, mais Pirosmani
s’inscrit dans un art beaucoup plus populaire concernant ses sources
d’inspiration. Sa vie, fort difficile, avec des soucis financiers récurrents et
la chute dans la misère, ainsi que sa véritable reconnaissance après sa mort,
offrent un parallèle avec la vie et l’œuvre de Van Gogh, d’où la pertinence
d’une sélection d’œuvres du grand Hollandais, comme « Le Bûcheron (d’après
Millet) » de 1889 ou « L’Arlésienne (Mme Ginoux) » de 1890.
Une exposition de réalisations contemporaines, aux étages supérieurs, accompagne
en forme d’hommage cette monstration historique. Remarquons d’abord une œuvre
centrale, une table massive de sept mètres de long en plexiglas contenant des
roses bleues, réalisée par l’architecte Tadao Ando, qui reprend l’esprit de
celle où devaient se réunir l’artiste et ses confrères afin de débattre des
problèmes de l’art de leur époque et qui ne vit jamais le jour. Elle narre
aussi l’achat possible de toutes les roses de la ville pour séduire l’actrice
française Margueritte de Sèvres lors de son passage à Tbilissi en 1905 par Pirosmani
qui en était amoureux (cf. sa peinture « L’Actrice Margarita »).
Enfin, la table-sculpture actuelle symbolise également une sorte de tombeau
pour l’artiste dont on ne sait toujours pas où se trouve la dépouille. Un superbe
diptyque de Georg Baselitz (crayon, plume et encre sur papier) propose un
double regard sur Pirosmani et Hokusai dans un grand choc graphique et narratif.
Les œuvres de Raphaela Vogel parsèment les salles avec une très belle
installation mélangeant des références à sa vie personnelle et à celle du
peintre tandis que Christina Forrer propose des tapisseries pleines d’angoisse.
Plus apaisées les photographies de Shirana Shabazi oscillent entre abstraction
et figuration. Des peintures de Yoshitomo Nara revisitent les œuvres de
l’artiste national géorgien alors qu’Adrian Ghenie en propose un portrait condensé
à partir de fragments épars.
Historiquement, Iliazd (Ilia Zdanevitch) a essayé avec son frère Kirill
et Le Dentu, de mettre en valeur le travail de Pirosmani, dès 1912. Les
conditions difficiles liées à la Première Guerre mondiale puis à la
soviétisation de la Géorgie ont créé un climat des plus tendu avec une certaine
récupération de son œuvre, mais il faudra attendre les années 1960 pour que
s’opère une reconnaissance plus franche. Après le retour à l’indépendance du
pays en 1991, le mouvement s’accélère, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur,
avec l’exposition de 1995 au Kunsthaus de Zürich, au Musée des beaux-arts de
Nantes en 1999, à l’Albertina de Vienne en 2018 pour aboutir en 2019 à Arles.
Christian Skimao
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