Exposition Rayyane Tabet
Fragments
Carré d’art-Musée d’art contemporain
Place de la Maison Carrée, Nîmes
Du 12 avril au 22 septembre 2019
Une narration
extraite des sables
L’œuvre mouvante et évolutive présentée par Rayyane Tabet s’inscrit à la
fois dans une histoire personnelle et la grande Histoire, avec une plongée du
côté d’un monde antique hittite disparu. Un mélange improbable où le talent de
l’artiste permet de renouer avec les fils d’un passé, en participant à un futur
encore à construire, tout en demeurant extrêmement contemporain.
Plongeons d’abord dans le récit avec l’acte fondateur de la découverte
chez ses grands-parents maternels, d’une carte de visite de 1932, adressée à
eux par un certain Max von Oppenheim (1860-1946). Ce dernier apparaît comme archéologue,
explorateur, collectionneur, diplomate et sans doute aussi espion de l’Empire
allemand avant la Première Guerre mondiale. Il a néanmoins fait des découvertes
importantes sur le site de Tell Halaf en Syrie en 1899. Suit ensuite un
rocambolesque parcours qui le conduit à ramener sa part de statues et d’objets en
Allemagne où le musée de Pergame les refuse en dépôt. Il créera alors son musée
privé dans une ancienne usine à Charlottenburg dans les années 1930. En novembre
1943, son lieu est touché par une bombe au phosphore lors d’un bombardement
allié qui détruit toutes les œuvres, sauf celles en basalte qui exploseront au
contact de l’eau utilisée par les pompiers pour combattre l’incendie. Les
fragments iront en 1944 dans des caisses au Pergame où elles vont connaître
après la mort de l’archéologue et la réunification de l’Allemagne (1990) une
nouvelle vie au début des années 2000. C’est donc dans les interstices temporels
de ces faits réels que prend place cette création artistique de Rayyane Tabet.
À Carré d’art, différentes salles permettent de renouer avec le temps
actuel et les temps immémoriaux dans un singulier dialogue. La visite débute
avec une vitrine contenant des objets et documents ayant appartenu à Faek
Borkhoche, le grand-père de l’artiste pour finir dans la dernière salle avec
une monumentale installation datée de 2017, sous forme de banderole circulaire
reprenant les énergiques propos du Baron von Oppenheim « KOPF HOCH !
MUT HOCH ! UND HUMPOR HOCH ! » (nous ne les traduirons pas pour
rester dans l’état d’esprit de la recherche) ; le texte a été réalisé à la
main par Tabet avec un stylo de la marque Montblanc, édité en version limitée en
2009, pour mettre en valeur le travail du découvreur. Entre les deux un
parcours qualifiable d’archéologique met en scène une installation nommée
« Ah, my beautiful Venus », qui se compose de 6,5 tonnes de basalte
noir en dalles, soit le poids de la statue de Vénus trouvée dans les fouilles,
avec le plancher entrouvert pour donner un aspect de chantier, tandis que des
moulages en papier d’aluminium, placés sur des tréteaux reprennent les
fragments de la déesse. « Basalt shards » comprend 1000 frottages au
fusain sur papier réalisés par l’artiste lors de sa résidence à Berlin dans le
cadre du programme d’art de la DAAD ; la série « Orthostates »
lui répond avec la présence de 32 frottages au fusain de frises dispersées dans
divers musées au monde et d’autres disparues. Un volet plus géopolitique existe
avec « Exquisite corpse », montage de tentes militaires de diverses
époques et de cartes montrant la complexité des territoires et leur
appartenance toute provisoire à l’un ou l’autre des occupants. Il reste encore
un volet plus intime avec « Genealogy » qui joue avec la notion
d’héritage familial et la présentation de douze fragments de tapis en poils de
chèvre. Ce tapis originel offert à son arrière-grand-père par les Bédouins de
Tell Halaf, se trouvera découpé pour chacun des descendants qui le diviseront à
leur tour jusqu’à sa disparition.
Rayyane Tabet participe activement dans cette opération d’extraction des
mémoires en effectuant une lecture-performance dans les différentes salles de
l’exposition. Une belle parole met en lumière un véritable talent d’écrivain. Alain
Nadaud (1948-2015) aurait certainement apprécié cette restitution des civilisations
encore enfouies. L’éveil hittite se devait d’attendre l’éveil à l’art actuel en
une pirouette de grande classe.
PS le carton d’invitation de l’exposition « Royaumes oubliés. De
l’empire hittite aux Araméens » du musée du Louvre vient de me parvenir.
Elle se tiendra en mai 2019 et y conviera également le travail de
l’artiste.
Christian Skimao
Christian Skimao
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