mardi 2 juillet 2019

Ernest Pignon-Ernest Palais des Papes, Avignon,2019


Palais des Papes, Avignon.
Ernest Pignon-Ernest Exposition « ecce homo. »
Du 29 juin 2019 au 29 février 2020.

1990-NAPLES-La Zecca-étude pour épidemie©Ernest Pignon-Ernest




                              Le dessein évolutif des dessins
 


  Ernest Pignon-Ernest est un grand artiste qui s’inscrit dans la durée et dans un humanisme actif. Il possède une grande maîtrise de son art et sait mettre en valeur son esthétique tout en la mariant avec ses convictions, ce qui demeure de plus en plus rare. Il prône un art accessible à beaucoup (tous ?) avec une volonté d’occuper poétiquement les lieux choisis par ses soins. Sa démarche repose ainsi sur une solide réflexion liée à la notion même du lieu : « Si on peut parler d’œuvre, l’œuvre n’est pas le dessin, mais le lieu lui-même révélé par l’insertion du dessin ». Avec cette réflexion, il situe ses recherches parmi les enjeux contemporains, dont ceux de Daniel Buren, non pas au niveau formel mais réflexif. Il ne s’inscrit donc pas dans une simple démarche de « street-art » bien que de nombreux jeunes créateurs le citent en exemple.

  Cette importante exposition, dans la grande chapelle du Palais des Papes, à la demande de la ville d’Avignon, regroupe 400 pièces qui vont des études aux photographies des images en situation en passant par des dessins préparatoires et des affiches originales retrouvées comme la légendaire image de Rimbaud de 1978. Elle retrace 50 ans de carrière d’un artiste confronté au réel et à la difficulté d’intervenir, souvent clandestinement, dans l’espace public. Parcours voulu chronologique, nous voyons les premiers travaux en hommage à Picasso et à la « Pieta d’Avignon ». En 1966, il s’installe à Méthamis dans le Vaucluse et très rapidement vient le moment de l’action puisqu’il veut montrer son opposition lorsque la force de frappe atomique nationale s’installe au plateau d’Albion. Que faire en tant qu’artiste et citoyen ? Il va se servir d’une photo d’Hiroshima pour en réaliser des pochoirs le long de la route menant au camp militaire. Toujours dans cet esprit, mais travaillant à partir de 1971 avec le graveur Dacos, ils réalisent ensemble de grandes sérigraphies qu’il colle sur les murs de Paris pour le 140ème anniversaire de la semaine sanglante de la Commune de Paris. De nombreuses créations vont suivre avec les « Immigrés » en 1975 dans les rues d’Avignon, à Alger avec la figure de Maurice Audin, à Santiago au Chili avec celle de Pablo Neruda, à Lyon (à la prison Saint-Paul), à Soweto, à Haïti, et bien d’autres encore. Lutte des arts et lutte des classes.

  L’Italie joue un rôle à part, d’accélérateur de création. La période napolitaine (1988-1995) avec ces corps terriblement présents qui s’intègrent dans les strates de l’ancienne cité semble lui permettre de renouer avec la grande peinture. Son dessin possède les attributs d’un certain classicisme qui lui a parfois été reproché par nos institutions culturelles. La neutralité voulue par l’artiste pour permettre à chacun de reconnaître le sujet ne semble pas toujours compris dans sa démarche. Naples est excessive, paradoxale, près du versatile Vésuve et lui convient à merveille. Le créateur se nourrit de littérature avec Dante, mais aussi de peinture avec Masaccio et de musique. Le cocktail obtenu change l’excrément en or ou montre le côté ordurier du métal avec le Caravage qui court plus vite que son ombre. Ne manquait que Pasolini vivant tenant Pasolini mort dans ses bras en 2015 pour les 40 ans de l’assassinat du grand créateur (cf. l’affiche officielle de l’exposition d’Avignon). On remarquera aussi l’inépuisable réservoir de thèmes et de représentations que peut fournir le catholicisme à cet athée.

  En guise de conclusion, remarquons que ses dessins et leur mise en situation à l’endroit propice, offrent l’indéfinissable sentiment d’appartenance à « l’espèce humaine », pour reprendre le beau titre du poignant récit de Robert Antelme.                                                                                                                                                                                                Christian Skimao





Pasolini, Scampia4-Naples 2015 BR ©Ernest Pignon- Ernest


Aucun commentaire: