Palais des
Papes, Avignon.
Ernest Pignon-Ernest Exposition « ecce homo. »
Ernest Pignon-Ernest Exposition « ecce homo. »
Du 29 juin
2019 au 29 février 2020.
Le dessein évolutif
des dessins
Ernest Pignon-Ernest est un grand artiste qui
s’inscrit dans la durée et dans un humanisme actif. Il possède une grande maîtrise
de son art et sait mettre en valeur son esthétique tout en la mariant avec ses convictions,
ce qui demeure de plus en plus rare. Il prône un art accessible à beaucoup (tous ?)
avec une volonté d’occuper poétiquement les lieux choisis par ses soins. Sa
démarche repose ainsi sur une solide réflexion liée à la notion même du
lieu : « Si on peut parler d’œuvre, l’œuvre n’est pas le dessin, mais
le lieu lui-même révélé par l’insertion du dessin ». Avec cette réflexion,
il situe ses recherches parmi les enjeux contemporains, dont ceux de Daniel
Buren, non pas au niveau formel mais réflexif. Il ne s’inscrit donc pas dans
une simple démarche de « street-art » bien que de nombreux jeunes
créateurs le citent en exemple.
Cette importante exposition, dans la grande
chapelle du Palais des Papes, à la demande de la ville d’Avignon, regroupe 400
pièces qui vont des études aux photographies des images en situation en passant
par des dessins préparatoires et des affiches originales retrouvées comme la
légendaire image de Rimbaud de 1978. Elle retrace 50 ans de carrière d’un
artiste confronté au réel et à la difficulté d’intervenir, souvent
clandestinement, dans l’espace public. Parcours voulu chronologique, nous
voyons les premiers travaux en hommage à Picasso et à la « Pieta
d’Avignon ». En 1966, il s’installe à Méthamis dans le Vaucluse et très
rapidement vient le moment de l’action puisqu’il veut montrer son opposition
lorsque la force de frappe atomique nationale s’installe au plateau d’Albion.
Que faire en tant qu’artiste et citoyen ? Il va se servir d’une photo
d’Hiroshima pour en réaliser des pochoirs le long de la route menant au camp
militaire. Toujours dans cet esprit, mais travaillant à partir de 1971 avec le
graveur Dacos, ils réalisent ensemble de grandes sérigraphies qu’il colle sur
les murs de Paris pour le 140ème anniversaire de la semaine
sanglante de la Commune de Paris. De nombreuses créations vont suivre avec les
« Immigrés » en 1975 dans les rues d’Avignon, à Alger avec la figure
de Maurice Audin, à Santiago au Chili avec celle de Pablo Neruda, à Lyon (à la
prison Saint-Paul), à Soweto, à Haïti, et bien d’autres encore. Lutte des arts
et lutte des classes.
L’Italie joue un rôle à part, d’accélérateur
de création. La période napolitaine (1988-1995) avec ces corps terriblement
présents qui s’intègrent dans les strates de l’ancienne cité semble lui
permettre de renouer avec la grande peinture. Son dessin possède les attributs
d’un certain classicisme qui lui a parfois été reproché par nos institutions
culturelles. La neutralité voulue par l’artiste pour permettre à chacun de
reconnaître le sujet ne semble pas toujours compris dans sa démarche. Naples
est excessive, paradoxale, près du versatile Vésuve et lui convient à
merveille. Le créateur se nourrit de littérature avec Dante, mais aussi de
peinture avec Masaccio et de musique. Le cocktail obtenu change l’excrément en
or ou montre le côté ordurier du métal avec le Caravage qui court plus vite que
son ombre. Ne manquait que Pasolini vivant tenant Pasolini mort dans ses bras
en 2015 pour les 40 ans de l’assassinat du grand créateur (cf. l’affiche
officielle de l’exposition d’Avignon). On remarquera aussi l’inépuisable réservoir
de thèmes et de représentations que peut fournir le catholicisme à cet athée.
En guise de conclusion, remarquons que ses
dessins et leur mise en situation à l’endroit propice, offrent l’indéfinissable
sentiment d’appartenance à « l’espèce humaine », pour reprendre le
beau titre du poignant récit de Robert Antelme. Christian Skimao
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire