Les Rencontres de la Photographie, Arles 2019
« 50 ans d’expositions », dans de multiples lieux en ville
Du 1er juillet au 22 septembre 2019
Fifty/fifty
Le festival international photographique
d’Arles présente sa cinquantième édition. C’est long et court pour un art qui a
connu tant de changements techniques, esthétiques et sociologiques. Notre
approche se trouvera dictée par l’intérêt personnel et la réflexion sur le fait
photographique. La construction très rigoureuse du festival offre néanmoins un
côté extrêmement éclectique qui séduira bien des regards différents.
En premier, l’éblouissant travail d’Evangelia
Kranioti à la chapelle Saint-Martin du Méjan. Mêlant des photographies à
l’aspect magique avec d’autres possédant une trivialité contestatrice, elle
explore la marge des mondes. Pourtant, une rigoureuse composition le dispute à
un lyrisme enveloppant. Marina Gadonneix, à la Mécanique générale, expose des
reconstitutions de phénomènes naturels à l’occasion d’une résidence au sein du
Centre national d’études spatiales (CNES). L’ensemble possède une incroyable
force poétique avec la mise en regard des changements d’échelle. Pourra-t-elle bientôt
montrer une tornade d’appartement aussi belle qu’une vraie ?
Un volet très politique avec Emeric Lhuisset (lauréat
de la résidence BMW) au cloître Saint Trophime avec la très intéressante
proposition « Lorsque les nuages parleront ». Il s’agit de nous
montrer ce qui ne se trouve plus présent. C’est la mémoire kurde qui s’estompe
dans les replis d’un paysage dominé par une autre culture. Fort et poignant à
la fois. « Les murs du pouvoir » (barrières bâties en Europe
seulement) » de différents artistes, montrent avec lassitude la force de
la méfiance au travers de 3 types de construction : les murs d’influence,
les murs de ségrégation et les murs de migration. Philippe Chancel à l’église
des Frères prêcheurs, avec « Datazone » propose un dispositif mettant
en relation diverses parties du monde et leurs interactions. Au Monoprix, à
l’étage, Mohamed Bourouissa avec « Libre-échange » expose quinze ans
de création mixant photographies, vidéos, peintures, dessins, sculptures ;
ses interrogations sur les représentations des oubliés, les circuits parallèles
du commerce, les interstices du marché, offrent une image très brouillée de la
société actuelle et de sa violence latente. Ici, il n’y a pas de « premier
de cordée ».
Les clichés de Libuše Jarcovjáková à l’élise
Sainte-Anne rejoignent les « Corps impatients » de la photographie est-allemande
des années 1980-1989 à l’Atelier des Forges; déglingue, bière, errances, sexe,
marges difficiles. Une sorte d’équivalent de la rébellion des jeunes à l’Ouest,
avec plus de répression idéologique et encore moins d’espoir. On remarquera les
photos de « Visages de morts » de Rudolph Schäfer où règnent
paradoxalement le calme et la tranquillité ; une grande force visuelle
soutenue par de solides références picturales. En contrepoint « La Movida »
au travers de ses photographes respire l’aventure colorée au palais de
l’Archevêché. Et que dire des coiffures extravagantes d’Ouka Leele, dont celle
citronnée de l’affiche des Rencontres ?
Si la
Fondation Manuel Rivera-Ortiz a choisi le thème général de « Hey !
What’s going up ? » on a d’un côté une approche de la Motown (la
maison de disques légendaire de la musique noire américaine), de l’autre un
reportage plus posé sur les « Nouvelles routes de la soie » de
Dominique Laugé où le temps s’étire le long des paysages.
Des perles chinoises ponctuent le parcours.
« Peony » d’Isa Ho, de Taïwan, au même endroit, fait cohabiter face à
face dans une vidéo, une danseuse d’opéra traditionnel chinois et de l’autre
une chanteuse de K-Pop qui se déhanche ; chocs des temporalités et des
gestuelles pour une nouvelle perception artistique. « Romance in Lushan
cinema » de Lei Lei : à l’origine, il y a une vieille photographie de
l’artiste au Mont Lushan en 1988. Son film se compose de clichés noir et blanc
d’amateurs trouvés dans des marchés, de cartes postales, d’images de propagande
de la période Mao, de captures du film « Romance on Lushan Mountain »
(premier film d’amour de l’après Révolution culturelle, réalisé en 1980) ;
dans cet univers recréé, avec un vieux cinéma reconstitué, la nostalgie le
dispute à l’impossible devenir au travers de l’art. Une très grande réussite.
À La Mécanique générale, les jeunes femmes
altières de Valérie Belin pourraient être des célébrités, mais elles se
trouvent totalement fabriquées. Ainsi ses « Painted ladies » suivent
un processus bien particulier de création. Elles se trouvent maquillées avant
la prise de vue puis leur image se trouve traitée numériquement. Il en résulte
une forme hybride, violemment irréelle, dont le glamour tragique en noir et
blanc irradie par sa présence nos rêves caviardés.
Les femmes pionnières de la photographie se
retrouvent à l’Espace Van Gogh. Helen Levitt, à partir de 1930 saisit la
culture de rue des quartiers défavorisés de New York. Eve Arnold, Abigail
Heyman et Susan Meiselas publient chacune un livre au milieu des années 1970.
Elles analysent avec lucidité le rôle des représentations féminines dans
l’espace public et privé.
Enfin, les dix artistes représentés par dix
galeries se situent dans un nouveau lieu nommé « Ground Control », avec
le soutien de la SNCF, près de la gare d’Arles. Une sélection qui présente des
approches parfois très esthétiques de la photo, mais aussi des recherches sur
la lumière jusqu’à des installations. La participation de la fondation Louis
Roederer se manifeste par un prix décerné cette année à deux créatrices Kontakt de Máté Bartha et la Galerie
Tobe à Budapest (Hongrie) ainsi que SUITE… de Laure Tiberghien
et la galerie Lumière des roses à Montreuil (France). Notons que ce
dernier travail demeure extrêmement questionnant sur le fait de savoir ce
qu’est réellement la photographie au sens le plus élémentaire.
Un bonus spécial pour « Cartes
postales » au musée de l’Arles antique. Cette monstration se trouve organisée
par deux commissaires Magali Nachtergael et Anne Reverseau, lauréates de la
Bourse de recherche curatoriale des Rencontres d'Arles. Elles offrent un regard
critique, ludique et ironique sur ce que véhicule cet étrange objet d’un désir préfabriqué.
Christian Skimao
Marina Gadonneix, Sans
titre (Foudre). Avec l’autorisation de la galerie Christophe Gaillard.
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