jeudi 11 juillet 2019

Les Rencontres de la Photographie, Arles 2019


Les Rencontres de la Photographie, Arles 2019
« 50 ans d’expositions », dans de multiples lieux en ville
Du 1er juillet au 22 septembre 2019


Evangelia Kranioti, Miss Without Papers, série Beirut Fictions.




                                                            Fifty/fifty



  Le festival international photographique d’Arles présente sa cinquantième édition. C’est long et court pour un art qui a connu tant de changements techniques, esthétiques et sociologiques. Notre approche se trouvera dictée par l’intérêt personnel et la réflexion sur le fait photographique. La construction très rigoureuse du festival offre néanmoins un côté extrêmement éclectique qui séduira bien des regards différents.

  En premier, l’éblouissant travail d’Evangelia Kranioti à la chapelle Saint-Martin du Méjan. Mêlant des photographies à l’aspect magique avec d’autres possédant une trivialité contestatrice, elle explore la marge des mondes. Pourtant, une rigoureuse composition le dispute à un lyrisme enveloppant. Marina Gadonneix, à la Mécanique générale, expose des reconstitutions de phénomènes naturels à l’occasion d’une résidence au sein du Centre national d’études spatiales (CNES). L’ensemble possède une incroyable force poétique avec la mise en regard des changements d’échelle. Pourra-t-elle bientôt montrer une tornade d’appartement aussi belle qu’une vraie ?

  Un volet très politique avec Emeric Lhuisset (lauréat de la résidence BMW) au cloître Saint Trophime avec la très intéressante proposition « Lorsque les nuages parleront ». Il s’agit de nous montrer ce qui ne se trouve plus présent. C’est la mémoire kurde qui s’estompe dans les replis d’un paysage dominé par une autre culture. Fort et poignant à la fois. « Les murs du pouvoir » (barrières bâties en Europe seulement) » de différents artistes, montrent avec lassitude la force de la méfiance au travers de 3 types de construction : les murs d’influence, les murs de ségrégation et les murs de migration. Philippe Chancel à l’église des Frères prêcheurs, avec « Datazone » propose un dispositif mettant en relation diverses parties du monde et leurs interactions. Au Monoprix, à l’étage, Mohamed Bourouissa avec « Libre-échange » expose quinze ans de création mixant photographies, vidéos, peintures, dessins, sculptures ; ses interrogations sur les représentations des oubliés, les circuits parallèles du commerce, les interstices du marché, offrent une image très brouillée de la société actuelle et de sa violence latente. Ici, il n’y a pas de « premier de cordée ».

  Les clichés de Libuše Jarcovjáková à l’élise Sainte-Anne rejoignent les « Corps impatients » de la photographie est-allemande des années 1980-1989 à l’Atelier des Forges; déglingue, bière, errances, sexe, marges difficiles. Une sorte d’équivalent de la rébellion des jeunes à l’Ouest, avec plus de répression idéologique et encore moins d’espoir. On remarquera les photos de « Visages de morts » de Rudolph Schäfer où règnent paradoxalement le calme et la tranquillité ; une grande force visuelle soutenue par de solides références picturales. En contrepoint « La Movida » au travers de ses photographes respire l’aventure colorée au palais de l’Archevêché. Et que dire des coiffures extravagantes d’Ouka Leele, dont celle citronnée de l’affiche des Rencontres ?


   Si la Fondation Manuel Rivera-Ortiz a choisi le thème général de « Hey ! What’s going up ? » on a d’un côté une approche de la Motown (la maison de disques légendaire de la musique noire américaine), de l’autre un reportage plus posé sur les « Nouvelles routes de la soie » de Dominique Laugé où le temps s’étire le long des paysages.

 Des perles chinoises ponctuent le parcours. « Peony » d’Isa Ho, de Taïwan, au même endroit, fait cohabiter face à face dans une vidéo, une danseuse d’opéra traditionnel chinois et de l’autre une chanteuse de K-Pop qui se déhanche ; chocs des temporalités et des gestuelles pour une nouvelle perception artistique. « Romance in Lushan cinema » de Lei Lei : à l’origine, il y a une vieille photographie de l’artiste au Mont Lushan en 1988. Son film se compose de clichés noir et blanc d’amateurs trouvés dans des marchés, de cartes postales, d’images de propagande de la période Mao, de captures du film « Romance on Lushan Mountain » (premier film d’amour de l’après Révolution culturelle, réalisé en 1980) ; dans cet univers recréé, avec un vieux cinéma reconstitué, la nostalgie le dispute à l’impossible devenir au travers de l’art. Une très grande réussite.

  À La Mécanique générale, les jeunes femmes altières de Valérie Belin pourraient être des célébrités, mais elles se trouvent totalement fabriquées. Ainsi ses « Painted ladies » suivent un processus bien particulier de création. Elles se trouvent maquillées avant la prise de vue puis leur image se trouve traitée numériquement. Il en résulte une forme hybride, violemment irréelle, dont le glamour tragique en noir et blanc irradie par sa présence nos rêves caviardés.

  Les femmes pionnières de la photographie se retrouvent à l’Espace Van Gogh. Helen Levitt, à partir de 1930 saisit la culture de rue des quartiers défavorisés de New York. Eve Arnold, Abigail Heyman et Susan Meiselas publient chacune un livre au milieu des années 1970. Elles analysent avec lucidité le rôle des représentations féminines dans l’espace public et privé.

  Enfin, les dix artistes représentés par dix galeries se situent dans un nouveau lieu nommé « Ground Control », avec le soutien de la SNCF, près de la gare d’Arles. Une sélection qui présente des approches parfois très esthétiques de la photo, mais aussi des recherches sur la lumière jusqu’à des installations. La participation de la fondation Louis Roederer se manifeste par un prix décerné cette année à deux créatrices Kontakt de Máté Bartha et la Galerie Tobe à Budapest (Hongrie) ainsi que SUITE… de Laure Tiberghien et la galerie Lumière des roses à Montreuil (France). Notons que ce dernier travail demeure extrêmement questionnant sur le fait de savoir ce qu’est réellement la photographie au sens le plus élémentaire.

 Un bonus spécial pour « Cartes postales » au musée de l’Arles antique. Cette monstration se trouve organisée par deux commissaires Magali Nachtergael et Anne Reverseau, lauréates de la Bourse de recherche curatoriale des Rencontres d'Arles. Elles offrent un regard critique, ludique et ironique sur ce que véhicule cet étrange objet d’un désir préfabriqué.


                                                                                                                          Christian Skimao


Marina Gadonneix, Sans titre (Foudre). Avec l’autorisation de la galerie Christophe Gaillard.


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