jeudi 21 novembre 2019

Exposition " ...et labora" Fondation Vincent van Gogh, Arles,2019-20


Exposition « … et labora »
Avec des photographies de la collection de Ruth et Peter Herzog, les œuvres des artistes contemporains Mika Rottenberg, Yuri Pattison, Emmanuelle Lainé, Andreas Gursky, Thomas Struth, Liu Xiaodong, Cyprien Gaillard, Michael Hakimi ainsi que des ex-voto provençaux des XIXe et XXe siècles.
Fondation Vincent van Gogh
35ter, rue du docteur Fanton, Arles
Du 16 novembre 2019 au 13 avril 2020


William Karrick, Le Semeur (portrait d’un paysan russe), vers 1860 © Jacques Herzog und Pierre de Meuron Kabinett, Basel Fotosammlung Ruth und Peter Herzog



Collisions temporelles            


  « Ora et labora » (« Prie et travaille ») pour reprendre une formule monastique. La partie « prière » étant tombée aujourd’hui en Occident dans un oubli relatif, resterait la torture, le « tripalium » latin qui, étymologiquement mène au labeur. Ainsi cette monstration aurait-elle partie liée, comme le condamné sur ses trois pieux, avec un travail de bénédictin ?

  Un mélange audacieux opère entre la présentation de photographies anciennes (19ème et jusqu’aux années trente du 20ème siècle) provenant de la collection Herzog de Bâle avec des œuvres contemporaines diverses. Des clichés, certains anonymes, d’autres signés, de travailleurs, de machines et plus rarement de femmes et d’enfants au travail. Certaines scènes évoquent les grands projets liés au chemin de fer et ses tunnels (percement de celui du Saint-Gothard) d’autres parlent du monde agricole De ce rude environnement mis en scène, le plus souvent mais pas toujours, par un patronat paternaliste, apparaissent bien des stéréotypes de l’époque. La lutte des classes apparaîtrait-elle sous ces dehors figés ?

  Les œuvres d’Andreas Gursky font le lien avec cette première perception. Ses photos monumentales jouent sur l’approche conceptuelle et humaine de ce qui pourrait sembler très distant. Sa recomposition du réel au travers de plusieurs prises de vue perturbe une approche supposée objective du fait photographique. Thomas Struth s’inscrit également dans cette approche au travers d’une série photographique prise au CERN près de Genève. L’enchevêtrement des câbles et des mécanismes offre une perception qui a partie liée avec la peinture. Tout se mélange jusqu’à devenir l’apparence d’une chose autre.

  Spécial Chine avec trois approches fort différentes. Tout d’abord, celle de Yuri Pattison avec the ideal (v.0.2.) qui propose une installation avec un « Antminer » pour produire de la monnaie virtuelle « bitcoin », une fontaine d’inspiration bouddhiste et un film de reportage sur une « mine » au Tibet, c’est-à-dire un espace comprenant de nombreux serveurs informatiques nécessitant un fort approvisionnement en électricité, donc proche d’un barrage hydraulique fournissant l’énergie à bas coût. Les questions posées sur le virtuel, le réel très trivial et l’informel demeurent essentielles à l’heure actuelle. Mika Rottenberg a conçu un film NoNoseKnows (Biennale de Venise, 2015) où une manageuse européenne a d’étranges relations avec les travailleuses chinoises, puisqu’elle fournit des plats cuisinés en éternuant, grâce à un ventilateur qui l’enrhume et lui fait allonger le nez. L’absurde dialogue entre la production mondialisée, le corps des protagonistes et les situations surréalistes donnent naissance à une réelle magie filmique, bien qu’un peu angoissante. Enfin, les peintures de Liu Xiadong, dans le style figuratif héroïque, s’appuient sur une réalité, celle des travailleurs extrayant le jade blanc dans l’ancien lit de la rivière Hotan, à l’entrée du désert du Taklamakan, dans la région autonome du Xinjiang. S’appuyant sur de nombreuses photographies, l’artiste nous montre des mineurs ouïghours durant leur dur labeur d’extraction en plein air. Vu le contexte actuel, il y a bien des facettes nouvelles qui apparaissent dans sa démarche.

  Citons encore le film d’Emmanuelle Lainé, Incremental Self : les corps transparents, la première version datant de 2017. Elle questionne les rapports entre les corps travaillant et les objets utilisés par eux. Partant d’une série d’entretiens, elle nous emmène dans des zones mouvantes, mêlant les séquences, sur ce que représente un travail et ses souvenirs et quel en est l’investissement personnel.

  Mais que devient la série d’ex-voto provençaux ? Elle appartient à la culture populaire et possède un lien intrinsèque avec la vie et le travail. Petites peintures naïves servant à remercier le saint ou la sainte d’avoir eu la vie sauve lors d’un accident, par exemple, elles mettent en avant l’« ora » absente du début de l’intitulé de la manifestation, tout en nous emmenant sur les chemins tortueux de l’ « aura » de l’œuvre.                                                                                                                                                                                                                Christian Skimao



Andreas Gursky, Tokyo, Stock Exchange, 1990 Kunstmuseum Basel, Suisse C-Print / Diasec, encadré 170 × 205 × 5 cm Dépôt de l’artiste en 2004 © Andreas Gursky / Adagp, Paris, 2019 

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