samedi 28 mai 2022

Exposition « Nicole Eisenman et les modernes. Têtes, baisers, batailles. » Fondation Vincent van Gogh, Arles, 2022.

 

 

 

Exposition « Nicole Eisenman et les modernes. Têtes, baisers, batailles. »

Fondation Vincent van Gogh, Arles

Du 21 mai au 23 octobre 2022

Nicole Eisenman, Le Kiss Deux, 2015 Encre sur papier, 128 × 114,3 cm. Collection privée. Courtesy : l’artiste

                                     Le « Grand Tour »                   

  Semblable aux rockstars, Nicole Eisenman fait sa tournée européenne en quatre haltes muséales : Kunsthalle Bielefeld (Allemagne), Aargauer Kunsthaus (Suisse) ; Kunstmuseum Den Haag (Pays-Bas) ; et la Fondation van Gogh, dont nous parlerons ici. L’appellation générale Nicole’s European Travelling Survey Show reprend de façon parodique (vraiment ?), ce thème.

  Son travail, figuratif, s’inscrit dans une recherche sur les confrontations sociales et sexuelles, au travers d’une peinture qui se nourrit ici de certaines grandes figures de la modernité et de l’avant-garde historique des commencements, allant de la fin du 19e à la moitié du 20e siècle. Cohabitent donc dans le même espace, des travaux d’Eisenman, d’Alice Bailly, Max Beckmann, Otto Dix, Edward Munch, Pablo Picasso, Hermann Scherer, Felix Vallotton, et beaucoup d’autres ainsi que deux Van Gogh. La scène du « crime » se trouve donc délimitée à partir d’une trilogie intitulée Têtes, baisers, batailles. Il semble intéressant d’opter pour une approche, faussement policière, en voyant cette démarche comme une enquête de l’artiste sur le monde comme il va et comme il devrait aller. 

 

Nicole Eisenman, Progress: Real and Imagined (Progrès, réel et imaginé), 2006 
Huile et techniques mixtes sur toile (diptyque) 234,5 × 481 × 5 cm chaque
Collection Ringier, Suisse

  

  Une œuvre sur papier comme Le Kiss Deux (2015) semble remplir les trois fonctions précitées : deux têtes vues de très près, en train d'échanger un baiser, dans une ambiance de lutte puisque l’une des deux présente un œil exorbité durant l’échange. Où nous trouvons-nous véritablement ? Dans une approche post-expressionniste, dans une lutte des sexes, dans une sidération réciproque ou dans un malentendu pictural ? La fureur de la scène le dispute à la distanciation voulue au travers de couleurs assez ternes, des variations brunes plus ou moins réalistes qui esquissent les contours d’un voyeurisme sous-jacent. Nicole Eisenman se met en scène dans un grand diptyque nommé Progress : Real and Imagined (2006). D’un côté, elle apparaît comme une Déesse en train de réaliser l’Histoire en marche (ne tient-elle pas une plume d’oie à la main et ne se trouve-t-elle pas en train d’écrire ?) ; de l’autre, se trouve une Arcadie féminine avec de nombreux aspects d’une vie quotidienne idéalisée. D’un côté, l’Artiste est plus qu’imposante, de l’autre fourmillent les détails plus ou moins minuscules qui reprennent certains codes de la composition de Jérôme Bosch par exemple. Un excellent exemple des chocs picturaux et de leur travestissement pour aboutir à d’autres codes narratifs.


Nicole Eisenman, Beer Garden with Ash/AK (Biergarten avec Ash / AK), 2009 Fondation De Ying. Courtesy : l’artiste et Hauser & Wirth


 

  
Les femmes puissantes ne manquant pas dans ses compositions. Dessinées comme des combattantes, elles s’inscrivent aussi dans la thématique du bondage avec Spank the Troublemaker (1993) ou de la musculation avec Support Systems for Women IV (1998), enfin présentes dans des marches triomphales. La référence au « Biergarten » (littéralement « Jardin à bière »), guère familière au public français, se retrouve souvent déclinée par l’artiste. Certes il y règne une convivialité apparente mais teintée d’une solitude sous-jacente, comme dans Brooklyn Biergarten (2008). Boire à plusieurs ne fait que cacher la solitude de l’individu. La référence au Bal du moulin de la Galette (1876) de Renoir, rend plus hexagonale la référence à une fête sous le signe des corps à vendre. On relira Maupassant, impitoyable et génial narrateur de ces années féroces. L’hétérogénéité des approches picturales de Nicole Eisenman trouble souvent notre perception. Avec Night Studio (2009), deux femmes se trouvent ensemble dans un lit ; néanmoins elles semblent porteuses d’attributs masculins, exception faite pour le sexe, bien sûr. L’artiste affirme sa contestation du genre, propose une forte frontalité, une virtuosité affirmée avec les croisillons de la couverture (en pensant à celle des drapés de la peinture classique), tout en nous rappelant par le biais de catalogues dont la tranche porte des noms familiers, l’importance de l’histoire de l’art (Matisse, Goya, Max Ernst, etc.). Ne manque plus qu’une certaine trivialité pour nous faire revenir dans le réel avec les cigarettes Camel, la boisson vitaminée et la canette de Pilsner Urquell. Le monde, même pluriel, demeure avant tout peinture! 

                                                                                                                                                          Christian Skimao

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