Exposition Gregory Crewdson
Mécanique Générale, LUMA Arles
Les Rencontres de la Photographie 2023
Du 3 juillet au 24 septembre 2023
Gregory Crewdson. Morningside Home for Women, série Eveningside, épreuve pigmentaire, 2021-2022. Avec l’aimable autorisation de l’artiste. |
Le théâtre des théâtres
L’exposition de Gregory Crewdson, Eveningside
2012-2022, à la LUMA relève de l’évènement. Dix années de création se
trouvent présentées avec trois séries : Cathedral of the Pines,
An Eclipse of Moths et Eveningside. L’artiste compose mentalement
des films et les réalise avec des photographies. Il n’existe véritablement ni
scénario ni narration, mais des plans figés dans le temps, à charge pour le
regardeur de construire son propre scénario.
Ce travail laborieux et minutieux,
nécessitant de grandes plages de temps pour la réalisation de chaque scène, met
en lumière un malaise civilisationnel profond. Il mêle des références
cinématographiques (l’influence fondatrice du film Blue Velvet de David
Lynch a été déterminante) à des références picturales comme les compositions d’Edward
Hopper. Mais comme chez lui, le naturalisme n’existe qu’en apparence ; les
représentations s’inscrivent dans une approche où domine cette fameuse
« inquiétante étrangeté » (« Das Unheimliche ») de
Freud. L’artiste construit donc des scènes où la familiarité apparente laisse
affleurer l’étrange. L’imbrication avec son histoire personnelle et son enfance
avec son père psychothérapeute a marqué sans doute durablement sa vision du
monde. Paradoxalement le but ultime de sa recherche consiste, au fur et à mesure
de son avancée, à se laisser suffisamment déborder pour trouver du nouveau.
Mother and Daughter
(série Cathedral of the Pines) joue sur l’intimité familiale,
mais dans un contexte tout à fait improbable. L’épaisse moquette du salon
répond à la neige extérieure, mais avec une porte fenêtre entrouverte. Les
corps alanguis et légèrement vêtus ne pourraient point demeurer ainsi par une
température aussi basse. Cet exemple montre bien l’écart entre réalisme et interprétation. Le décor de la
scène utilise un intérieur de type middle-class, mais quelque peu démodé. Gregory
Crewdson se réfère néanmoins à la grande peinture hollandaise des intérieurs ou
à quelque composition proche de l’art européen classique. La série Cathedral of the Pines,
explore une construction répétitive avec les troncs innombrables d’une grande
forêt typiquement américaine, mais les corps de jeunes filles qui y errent nous
placent dans une position de voyeurisme assez étrange. Il ne reste plus qu’à
attendre un drame potentiel, car plane une sorte d’impalpable danger. Pour Eveningside,
série réalisée en noir et blanc, une dimension plus politique se fait jour avec
une critique des lieux qui n’offrent qu’ennui et désarroi. Là encore rien
d’explicite mais toujours la volonté de montrer ce qui ne va pas, tout en étant
conscient de ne pouvoir y faire grand-chose. Enfin, l’étrange série des Fireflies
(« Lucioles ») évacue la figure humaine pour se concentrer sur
un phénomène naturel, mais qui conduit vers le surnaturel. Mais où donc
s’établit le passage entre tous ces mondes ?
Christian Skimao
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