vendredi 4 août 2023

Rencontres de la photographie, Arles, 2023

 Les Rencontres de la Photographie 2023

Dans toute la ville d’Arles

Du 3 juillet au 24 septembre 2023

 

 


        Éclectique

 

 

 Été 2023, se tient la nouvelle édition des Rencontres, chaleur habituelle, ventilateurs et images. Ouvrons le bal avec un petit bijou d’intelligence, le film de Garush Melkonyan Cosmovision, en l’église Saint-Blaise. Partant du projet « Golden Record » de 1977 où la Nasa avait envoyé deux disques dans l’espace avec des éléments représentatifs de la civilisation humaine, arrivent sur Terre deux extraterrestres qui essayent de nous découvrir au travers des méandres d’une station de recherche délabrée portant des caractères cyrilliques sur les panneaux de contrôle. La force du projet réside à la fois dans sa forte charge poétique, son questionnement philosophique sur les symboles et les représentations mentales dans un cadre rétrofuturiste.

 

Hoberto Huarcaya, vue partielle de Traces, Arles, 2023.

  Roberto Huarcaya avec Traces au Croisière propose un regard des plus singuliers. Réalisant des prises directes par le biais de photogrammes dans une réserve d’Amazonie, il essaye de rendre visible ce qui demeure invisible. Cette « pensée magique » prend donc la forme d’apparitions spectrales où la technique, des rouleaux de papier photo de trente mètres de long, s’efface pour laisser place à un monde impalpable. Le travail de Juliette Agnel, La main de l’enfant, installé dans les cryptoportiques (espaces souterrains, soubassement de la place du forum arlésien) questionne les apparitions dans les grottes préhistoriques d’Arcy-sur-Cure. Elle essaye de retrouver la mémoire des générations passées au travers du support des parois et de certaines peintures archaïques. Pour les deux, un monde physique menacé et transfiguré par son aura nous laisse émerveillés.

  Dans le cadre de la photographie historique, l’exposition Assemblages de Saul Leiter propose une vision fragmentée et en couleurs d’une époque américaine désormais mythique. Une sélection de photographies, dessins et peintures, pour la plupart inédites, nous fait découvrir les interférences entre ses différentes pratiques. La complexité des liens apparaît sous un éclairage nouveau, toujours teinté d’une mélancolie intrinsèque. L’influence de Vuillard, Bonnard et de la peinture japonaise s’insinue dans ses réalisations picturales. Une fois encore le Palais de l’Archevêché semble un lieu un peu difficile pour une telle monstration. A contrario, se trouver sur des panneaux en plein air demeure un exercice difficile, mais permet une approche tout à fait ouverte au grand public. Réussite totale donc pour Yohanne Lamoulère et Les Enfants du fleuve, des portraits multiples glanés le long du Rhône, en fonction des projets et des étapes. La désinvolture le dispute au tragique en un talentueux ballet. Enfin, Charles Fréger avec Aam Aaashta Les dieux de l’Inde, continue son admirable travail sériel. Éclatantes de couleurs, ses photos présentent des personnes ayant changé de statut en revêtant le costume d’une des innombrables divinités de l’hindouisme. Entre sacré et profane, réalité et fiction, représentation et vérité se dessinent toute l’empathie d’un regard tourné vers l’autre, sans oublier la question centrale du jeu et du je. 

Avec Scrapbooks Dans l’imaginaire des cinéastes, on s’égare joyeusement dans une présentation foutraque à plaisir. Des carnets, des photos, des extraits de films constituent un torrent d’informations qui mélange les genres et les époques. On y trouve l’écrivain William Burroughs en train de réciter des horreurs pour un film dénonçant les crimes racistes de l’Amérique blanche. Des fragments de Chris Marker côtoient des morceaux d’œuvres de Bernard Mandico et des fantômes errent dans nos imaginaires. Grâce au travail de réhabilitation de l’École nationale supérieure de la photographie, une artiste injustement oubliée, Nicole Gravier, née en 1949 à Arles, retrouve sa place dans l’histoire contemporaine. Elle avait participé en France et en Italie dans les années 1970 à une relecture critique et ironique de la publicité et des romans-photos en compagnie de certains grands noms de l’art international.

 

Installation de Hien Hoang, Arles, 2023.

Côté sponsors : d’un côté, le programme BMW ART MAKERS permet chaque année, à une artiste et une curatrice, ici Eva Nielsen et Marianne Derrien, de créer une œuvre spécifique. Insolare propose une réinvention du paysage de la Camargue au travers de transpositions, de grilles de lecture et de superpositions. Le résultat, tant esthétique que magnétique, nous interroge sur la notion de territoire et sa transformation par le regard. La technique jointe à la pensée se trouvent au service d’une grande œuvre en devenir, jouant sur tous les « tableaux », mélangeant les genres, réutilisant certains « clichés », bref terriblement contemporaine. De l’autre, le Prix découverte de la Fondation Louis Roeder expose une sélection d’artistes choisis par des galeries. Dans cette édition 2023, toutes et tous tiennent la route. Focalisons sur Hien Hoang, d’origine vietnamienne, avec son installation De l’autre côté de l’océan. Au travers d’une vidéo, elle se met en scène, se travestissant de nourriture, entre riz collant et stéréotypes collés, à la peau de son personnage. Cette approche à la fois délicate et rude d’une mise en scène d’une mondialisation des corps et des marchandises ne manque pas d’intelligence. La forme élégante n'en cache pas moins une souffrance intérieure : le sourire deviendrait alors l’autre nom des larmes.

  Totalement à part, Zofia Kulik, créatrice polonaise propose La splendeur de l’artisane, une série de grands formats composés de structures visuelles composites. Elle mélange des milliers d’images pour aboutir à des sortes de vitraux laïcs où coexistent la vie, la mort, l’espoir et le désespoir, en noir et blanc. La technique utilisée, complexe, utilise des négatifs à travers des masques découpés avec soin. Le quotidien se mélange à la politique, le trivial au grandiose pour construire un opus monumental digne des anciennes cathédrales de Pologne, s’inspirant également des peintures victoriennes, en un maelström incontournable.

 

Marguerite Bornhauser, vue partielle, Arles, 2023.

  Souvent les expositions situées au Musée départemental Arles antique échappent à notre sagacité. Marguerite Bornhauser avec Retour à la poussière, présente un superbe travail s’inscrivant dans les recherches archéologiques du quartier de la Verrerie. Mises en scène dans une semi-obscurité leur conférant une magie immédiate, elles nous convient à une réflexion sur l’histoire et la destinée des choses. L’artiste questionne la notion de débris et celle de la poussière, de l’insignifiant et de l’essentiel avec une grande maestria.

                                                                                                                                   Christian Skimao


PS L’exposition phare de Gregory Crewdson Eveningside 2012-2022, et celle de Rosangela Renno, Sur les ruines de la photographie, à la LUMA, feront l’objet d’un article à part.

 

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