jeudi 15 juillet 2021

Rencontres de la photographie. Edition 2021. Arles.

 

Les Rencontres de la photographie, Arles, 2021

Expositions dans toute la ville

Du 4 juillet au 26 septembre 2021

 

 

        

Installation "Désidération" (détail) de SMITH. Arles, 2021.

         

La photographie à l’épreuve des temporalités

 

 

 

  Ces nouvelles Rencontres 2021, sous la houlette de Christoph Wiesner, apparaissent avec un programme plus resserré, dans un nombre de lieux mieux définis, par rapport au foisonnement un peu sauvage de la dernière édition.

 

  Deux expositions attirent la lumière et le public par leur qualité et l’ambition affichée. Évoquons d’abord Désidération (Anamanda Sîn), au premier étage du Monoprix, vaste projet de SMITH, Diplomates et Lucien Raphmaj. Un véritable OANI (Objet artistique non identifié) qui s’enrichit de nouvelles approches depuis quelques années. La photographie se mêle aux installations et au récit qui annonce une aventure intérieure au travers de cette mythologie spatiale. L’apport du rêve se concrétise par la figure d’Anamanda Sîn qui nous parle sur divers écrans et nous situe dans un nouveau rôle d’enfants des étoiles. Mais lesquels ? Ceux de Wells ? Certainement pas ceux de la conquête spatiale, mais ceux d’aujourd’hui, semblables à ceux d’hier qui interrogeaient déjà les astres. Une grande force poétique réside dans cette œuvre contemporaine finalement terriblement mélancolique. Puis vient la grande exposition Masculinités, sise à la Mécanique Générale, dans le parc des Ateliers (Luma). La présentation de l’idée de la masculinité au travers de travaux de plus de 50 artistes donne le vertige. Construite au travers de représentations liées à la photographie et au cinéma, elle met à jour les stéréotypes, alliant regards féminins et masculins. Les codes genrés de la perception éclatent devant les interrogations artistiques qui vont de l’hypermasculinité jouée avec les motards de Karlheinz Weinberger jusqu’à l’incroyable langueur des photos de talibans maquillés, trouvées par Thomas Dworzak. Robert Mapplethorpe présente une muse bodybuildée remettant en cause à l’époque le mythe de l’homme aux muscles saillants. Remarquons la série admirable de Rotimi Fani-Kayode, britannique d’origine nigériane, mort trop tôt du sida, et de ses corps stylisés qui happent le regard dans des mises en scène à la fois sensuelles et référentielles. Annette Messager, Catherine Opie ou Ana Mendieta déconstruisent à leur tour l’image du mâle dominant.

 

Photos de talibans. Exposition "Masculinités", Arles, 2021.

  Parmi les œuvres sélectionnées pour le Prix découverte Louis Roederer à l’Église des Frères prêcheurs, on retiendra une grande installation de Mariana Hahn nommée Eros et Thanatos eurent un enfant. Usant de nombreuses techniques variées, l’artiste nous propose un grand hommage à la possible naissance mythologique de la photographie. Un moulage issu des fouilles de Pompéi sert de départ à la construction d’un récit qui utilise le sel et le cuivre et les images d’une caméra super 8 sans son objectif. Vient ensuite une très intéressante étude critique sur la notion du modèle féminin réalisée par Tarrah Krajnak qui reprend les Nus d’Edward Weston, tout en posant elle-même. Devenant à la fois sujet et objet de son propre regard critique posé sur un des maîtres anciens, elle dynamise le nôtre et affirme son identité latino-américaine. Plus classique mais empreint d’une grande force formelle, Sub Sole (« Sous le soleil ») de Massao Mascaro qui suit l’itinéraire d’Ulysse. Ses photographies en noir et blanc montrent la dureté d’un monde écrasé de soleil avec des moments d’intense beauté.

 

  Au Cloître Saint-Trophime, la lauréate de la résidence BMW, Almudena Romero travaille sur la matérialité même de la photographie avec The Pigment Change. Il s’agit d’introduire une notion écologique dans la réalisation même des œuvres. Optant pour des variations techniques liées à la lumière, à diverses longueurs d’ondes et l’emploi de certains végétaux, l’artiste marrie science et conscience avec brio et une très grande acuité. Les résultats techniques le disputent aux créations esthétiques. L’éphémère du végétal ou l’éternité (déjà obsolète) des technologies de reproduction ?

  À l’Espace van Gogh (à l’étage), une questionnante exposition organisée par Andrea Giunta qui risque de passer un peu inaperçue, Puisqu’il fallait tout repenser. Le pouvoir de l’art en période de confinement. Présentant de nombreux travaux féministes issus de l’avant-garde argentine et sud-américaine, historique et plus actuelle, nous plongeons dans un univers inventif et fascinant. On y trouve Liliana Maresca, Marta Minujin, une performance de « grande bouffe » à forte connotation politique de Joiri Minaya, et une autre sur la zénitude en zone urbaine d’Ananké Assef. Comme un continent oublié de femmes activistes qui proposent des champs magnétiques à usage collectif.

 

  Enfin, en vrac, Pieter Hugo avec une rétrospective de ses portraits au palais de l’Archevêché. La prise de vue crée une intimité à la fois fascinante et dérangeante. Une série de Dormeurs, passagers d’un avion et portant un masque occultant, frappe par le côté glaçant de leurs attitudes incontrôlées durant leur sommeil, le tout dans une atmosphère glauque faisant songer à certains plans du film La Jetée de Chris Marker. Stephan Gladieu expose en plein air, au Jardin d’été, une série de portraits de personnes au travail ou en famille, dans la grande tradition du genre, mais en Corée du Nord. Tout en scrutant les arrière-plans avec intérêt ainsi que les poses prises par les gens, on finit par se rendre compte de notre semblable humanité. Et deux expositions historiques avec Sabine Weiss qui pose ses valises à la Chapelle du Museon Arlaten et la question du photomontage chez Charlotte Perriand qui partage l’espace avec Désidération. La boucle temporelle se trouve ainsi bouclée.

                                                                                                                              Christian Skimao





 


Aucun commentaire: