Les Rencontres de la photographie,
Arles, 2021
Expositions dans toute la ville
Du 4 juillet au 26 septembre
2021
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Installation "Désidération" (détail) de SMITH. Arles, 2021. |
La photographie à l’épreuve des temporalités
Ces nouvelles Rencontres 2021, sous la houlette
de Christoph Wiesner, apparaissent avec un programme plus resserré, dans un
nombre de lieux mieux définis, par rapport au foisonnement un peu sauvage de la
dernière édition.
Deux expositions attirent la lumière et le
public par leur qualité et l’ambition affichée. Évoquons d’abord Désidération
(Anamanda Sîn), au premier étage du Monoprix, vaste projet de SMITH,
Diplomates et Lucien Raphmaj. Un véritable OANI (Objet artistique non
identifié) qui s’enrichit de nouvelles approches depuis quelques années. La
photographie se mêle aux installations et au récit qui annonce une aventure
intérieure au travers de cette mythologie spatiale. L’apport du rêve se
concrétise par la figure d’Anamanda Sîn qui nous parle sur divers écrans et
nous situe dans un nouveau rôle d’enfants des étoiles. Mais lesquels ?
Ceux de Wells ? Certainement pas ceux de la conquête spatiale, mais ceux
d’aujourd’hui, semblables à ceux d’hier qui interrogeaient déjà les astres. Une
grande force poétique réside dans cette œuvre contemporaine finalement
terriblement mélancolique. Puis vient la grande exposition Masculinités,
sise à la Mécanique Générale, dans le parc des Ateliers (Luma). La présentation
de l’idée de la masculinité au travers de travaux de plus de 50 artistes donne
le vertige. Construite au travers de représentations liées à la photographie et
au cinéma, elle met à jour les stéréotypes, alliant regards féminins et
masculins. Les codes genrés de la perception éclatent devant les interrogations
artistiques qui vont de l’hypermasculinité jouée avec les motards de Karlheinz
Weinberger jusqu’à l’incroyable langueur des photos de talibans maquillés,
trouvées par Thomas Dworzak. Robert Mapplethorpe présente une muse bodybuildée
remettant en cause à l’époque le mythe de l’homme aux muscles saillants.
Remarquons la série admirable de Rotimi Fani-Kayode, britannique d’origine
nigériane, mort trop tôt du sida, et de ses corps stylisés qui happent le
regard dans des mises en scène à la fois sensuelles et référentielles. Annette
Messager, Catherine Opie ou Ana Mendieta déconstruisent à leur tour l’image du
mâle dominant.
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Photos de talibans. Exposition "Masculinités", Arles, 2021. |
Parmi les œuvres sélectionnées pour le Prix
découverte Louis Roederer à l’Église des Frères prêcheurs, on retiendra une
grande installation de Mariana Hahn nommée Eros et Thanatos eurent un
enfant. Usant de nombreuses techniques variées, l’artiste nous propose un
grand hommage à la possible naissance mythologique de la photographie. Un
moulage issu des fouilles de Pompéi sert de départ à la construction d’un récit
qui utilise le sel et le cuivre et les images d’une caméra super 8 sans son
objectif. Vient ensuite une très intéressante étude critique sur la notion du
modèle féminin réalisée par Tarrah Krajnak qui reprend les Nus d’Edward
Weston, tout en posant elle-même. Devenant à la fois sujet et objet de son
propre regard critique posé sur un des maîtres anciens, elle dynamise le nôtre et
affirme son identité latino-américaine. Plus classique mais empreint d’une
grande force formelle, Sub Sole (« Sous le soleil ») de Massao
Mascaro qui suit l’itinéraire d’Ulysse. Ses photographies en noir et blanc montrent
la dureté d’un monde écrasé de soleil avec des moments d’intense beauté.
Au Cloître Saint-Trophime, la lauréate de la
résidence BMW, Almudena Romero travaille sur la matérialité même de la
photographie avec The Pigment Change. Il s’agit d’introduire une notion
écologique dans la réalisation même des œuvres. Optant pour des variations
techniques liées à la lumière, à diverses longueurs d’ondes et l’emploi de
certains végétaux, l’artiste marrie science et conscience avec brio et une très
grande acuité. Les résultats techniques le disputent aux créations esthétiques.
L’éphémère du végétal ou l’éternité (déjà obsolète) des technologies de reproduction ?
À l’Espace van Gogh (à l’étage), une questionnante
exposition organisée par Andrea Giunta qui risque de passer un peu inaperçue, Puisqu’il
fallait tout repenser. Le pouvoir de l’art en période de confinement.
Présentant de nombreux travaux féministes issus de l’avant-garde argentine et
sud-américaine, historique et plus actuelle, nous plongeons dans un univers
inventif et fascinant. On y trouve Liliana Maresca, Marta Minujin, une
performance de « grande bouffe » à forte connotation politique de
Joiri Minaya, et une autre sur la zénitude en zone urbaine d’Ananké Assef.
Comme un continent oublié de femmes activistes qui proposent des champs
magnétiques à usage collectif.
Enfin, en vrac, Pieter Hugo avec une
rétrospective de ses portraits au palais de l’Archevêché. La prise de vue crée
une intimité à la fois fascinante et dérangeante. Une série de Dormeurs,
passagers d’un avion et portant un masque occultant, frappe par le côté glaçant
de leurs attitudes incontrôlées durant leur sommeil, le tout dans une
atmosphère glauque faisant songer à certains plans du film La Jetée de
Chris Marker. Stephan Gladieu expose en plein air, au Jardin d’été, une série
de portraits de personnes au travail ou en famille, dans la grande tradition du
genre, mais en Corée du Nord. Tout en scrutant les arrière-plans avec intérêt
ainsi que les poses prises par les gens, on finit par se rendre compte de notre
semblable humanité. Et deux expositions historiques avec Sabine Weiss qui pose
ses valises à la Chapelle du Museon Arlaten et la question du photomontage chez
Charlotte Perriand qui partage l’espace avec Désidération. La boucle temporelle
se trouve ainsi bouclée.
Christian Skimao
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