Exposition « United States of Abstraction »
Artistes américains en France (1946-1964)
Musée Fabre
39, boulevard Bonne Nouvelle, Montpellier
Du 6 août au 31 octobre 2021
Alfonso Ossorio, Le Guerrier, la Colombe et la Chouette, 1954-1955, huile sur toile, 253 x 168 cm, Genève, Fondation Gandur pour l’Art © Robert U. Ossorio FoundationPhoto © Fondation Gandur pour l’Art, Genève / Sandra Pointet
Nostalgies et interférences
Une passionnante exposition, coproduite avec
le musée d’arts de Nantes avec le soutien du FRAME et de la Terra Foundation
for American Art, nous permet à la fois de revoir d’incontournables artistes
américains, mais aussi d’en découvrir de nouveaux. La période retenue, de
1946 à 1964 nous plonge dans un Paris disparu qui nous conduit à une
intéressante relecture des éléments fondateurs et interactifs entre certains créateurs
des deux côtés de l’Atlantique.
La présentation générale se déroule dans
trois directions, d’abord autour du critique Michel Tapié et de sa conception
de l’art américain, ensuite les interactions autour de la galerie Huit et celle
de Jean Fournier, les deux au rez-de-chaussée, enfin l’abstraction géométrique
au premier étage. La mise en lumière des liens existant entre artistes français
et américains montre comment fonctionnait le monde l’art, entre entraide et
concurrence, avec un marché beaucoup moins important qu’aujourd’hui et des
enjeux financiers très éloignés des nôtres. L’esthétique demeurait encore
prépondérante dans la construction de la valeur (cf. les recherches de Raymonde
Moulin à ce sujet).
Les relations entretenues avec Tapié
conduisent des artistes comme Alfonso Ossorio à apporter des œuvres de Pollock
afin de réaliser sa première exposition en France. Le travail artistique
d’Ossorio, à découvrir, montre son glissement du surréalisme vers
l’expressionnisme abstrait. Georges Mathieu et Tapié organisent une exposition
à la galerie Nina Dausset (lieu incontournable de ces années où le jeune Michel
Butor fera la découverte de l’art moderne en devenir) avec De Kooning,
Riopelle, Wols. La seconde partie contient une série d’œuvres remarquables de
Sam Francis, les Blue Balls, qui conjuguent une recherche des formes
avec une réflexion sur le vide. Des œuvres de Joan Mitchell cohabitent avec
Shirley Jaffe, les deux grandes dames de la peinture abstraite. Il est
important de souligner combien la galerie Jean Fournier a continué à former le
regard de nouvelles générations sur l’art américain. Trois artistes Ellsworth
Kelly, Jack Youngerman et Ralph Coburn s’inscrivent à leur tour dans une
nouvelle approche, plus formelle, qualifiée de géométrique. La galerie Denise
Renée les défendra tandis que Jean Arp les reçoit dans son atelier de Meudon.
Un de nos grands créateurs français, François Morellet, vient de commencer ses
productions dans le même sens, avec le succès qu’il connaîtra par la suite au
niveau international. Dans cet envol vers des réalisations nouvelles, parfois dans
l’esprit de Calder, quittant le simple champ pictural, les electropaintings
de Franck Joseph Malina apparaissent comme un jalon annonciateur des temps
électroniques.
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Sam
Francis, Blue Balls, vers 1961-1962, huile sur toile, 107 x 137 cm, Stockholm,
Moderna Museet
Que retenir de toute cette époque ? Une
grande différence avec la nôtre où le marché tient la première place. Une
mondialisation beaucoup plus relative ensuite puisque le dialogue et la
rivalité s’inscrivent entre deux pays et deux villes, Paris et New York. Enfin l’existence
d’un côté beaucoup plus restreint des enjeux artistiques et la faiblesse des
moyens économiques des artistes par rapport à nos stars contemporaines. Ce qui
se trouve perdu, comme dans toute époque révolue, demeure un système d’interactions
et de relations plus personnelles et plus faciles. La distance géographique se
trouve atténuée par l’intensité d’une création plus partagée, non pas par le
plus grand nombre, mais par des passionné(e)s. Évidemment, ce n’était pas mieux
avant, mais fort différent. Ces années héroïques se trouvent très bien
expliquées au travers de documents et d’œuvres qui nous laissent entrevoir paradoxalement
une certaine nostalgie. Déroutant mais aussi délicieux sentiment ressenti grâce
au minutieux travail des deux équipes curatoriales !
Christian Skimao
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