mardi 10 août 2021

« United States of Abstraction », musée Fabre, Montpellier, 2021.

 

Exposition « United States of Abstraction »

Artistes américains en France (1946-1964)

Musée Fabre

39, boulevard Bonne Nouvelle, Montpellier

Du 6 août au 31 octobre 2021

 

  

Alfonso Ossorio, Le Guerrier, la Colombe et la Chouette, 1954-1955, huile sur toile, 253 x 168 cm, Genève, Fondation Gandur pour l’Art © Robert U. Ossorio FoundationPhoto © Fondation Gandur pour l’Art, Genève / Sandra Pointet 


 

 Nostalgies et interférences

 

  Une passionnante exposition, coproduite avec le musée d’arts de Nantes avec le soutien du FRAME et de la Terra Foundation for American Art, nous permet à la fois de revoir d’incontournables artistes américains, mais aussi d’en découvrir de nouveaux. La période retenue, de 1946 à 1964 nous plonge dans un Paris disparu qui nous conduit à une intéressante relecture des éléments fondateurs et interactifs entre certains créateurs des deux côtés de l’Atlantique.

 

  La présentation générale se déroule dans trois directions, d’abord autour du critique Michel Tapié et de sa conception de l’art américain, ensuite les interactions autour de la galerie Huit et celle de Jean Fournier, les deux au rez-de-chaussée, enfin l’abstraction géométrique au premier étage. La mise en lumière des liens existant entre artistes français et américains montre comment fonctionnait le monde l’art, entre entraide et concurrence, avec un marché beaucoup moins important qu’aujourd’hui et des enjeux financiers très éloignés des nôtres. L’esthétique demeurait encore prépondérante dans la construction de la valeur (cf. les recherches de Raymonde Moulin à ce sujet).

 

  Les relations entretenues avec Tapié conduisent des artistes comme Alfonso Ossorio à apporter des œuvres de Pollock afin de réaliser sa première exposition en France. Le travail artistique d’Ossorio, à découvrir, montre son glissement du surréalisme vers l’expressionnisme abstrait. Georges Mathieu et Tapié organisent une exposition à la galerie Nina Dausset (lieu incontournable de ces années où le jeune Michel Butor fera la découverte de l’art moderne en devenir) avec De Kooning, Riopelle, Wols. La seconde partie contient une série d’œuvres remarquables de Sam Francis, les Blue Balls, qui conjuguent une recherche des formes avec une réflexion sur le vide. Des œuvres de Joan Mitchell cohabitent avec Shirley Jaffe, les deux grandes dames de la peinture abstraite. Il est important de souligner combien la galerie Jean Fournier a continué à former le regard de nouvelles générations sur l’art américain. Trois artistes Ellsworth Kelly, Jack Youngerman et Ralph Coburn s’inscrivent à leur tour dans une nouvelle approche, plus formelle, qualifiée de géométrique. La galerie Denise Renée les défendra tandis que Jean Arp les reçoit dans son atelier de Meudon. Un de nos grands créateurs français, François Morellet, vient de commencer ses productions dans le même sens, avec le succès qu’il connaîtra par la suite au niveau international. Dans cet envol vers des réalisations nouvelles, parfois dans l’esprit de Calder, quittant le simple champ pictural, les electropaintings de Franck Joseph Malina apparaissent comme un jalon annonciateur des temps électroniques.


Sam Francis, Blue Balls, vers 1961-1962, huile sur toile, 107 x 137 cm, Stockholm, Moderna Museet© 2021 Sam Francis Foundation, California / ADAGP, Paris, 2021© Photo: Moderna Museet – Stockholm


  Que retenir de toute cette époque ? Une grande différence avec la nôtre où le marché tient la première place. Une mondialisation beaucoup plus relative ensuite puisque le dialogue et la rivalité s’inscrivent entre deux pays et deux villes, Paris et New York. Enfin l’existence d’un côté beaucoup plus restreint des enjeux artistiques et la faiblesse des moyens économiques des artistes par rapport à nos stars contemporaines. Ce qui se trouve perdu, comme dans toute époque révolue, demeure un système d’interactions et de relations plus personnelles et plus faciles. La distance géographique se trouve atténuée par l’intensité d’une création plus partagée, non pas par le plus grand nombre, mais par des passionné(e)s. Évidemment, ce n’était pas mieux avant, mais fort différent. Ces années héroïques se trouvent très bien expliquées au travers de documents et d’œuvres qui nous laissent entrevoir paradoxalement une certaine nostalgie. Déroutant mais aussi délicieux sentiment ressenti grâce au minutieux travail des deux équipes curatoriales !

 

                                                                                                                                                  Christian Skimao

 

 

 


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