Exposition « Gargareôn » d’Ugo Schiavi
Musée Réattu, Arles
Du 6 novembre 2021 au 15 mai
2022
Monstres à tous les étages
Moulages de vieilles pierres, déchets
du fleuve et technologies de pointe, références archéologiques et fantasmagories,
le tout réinterprété et réorganisé avec intelligence, voici quelques
ingrédients et concepts de la nouvelle exposition d’Ugo Schiavi intitulée « Gargareôn ».
Le titre de l’exposition reprend la racine grecque du mot gorge et se réfère aux
gargouilles dont l’artiste a utilisé les formes et la symbolique.
Une installation reprenant la
devise attribuée à la ville d’Arles et à son lion héraldique, « Ab ira
leonis » (« Par la colère du lion ») donne le ton, soit une
composition décomposée au sol avec tête de lion éventrée qui laisse entrevoir
une basket et bien d’autres débris tandis qu’au mur lui répond une toile
ancienne exhumée des réserves du musée. La mise en relation de ces paramètres
et le récit qui en découle nous installent d’emblée dans une narration
complexe. Les installations se trouvent le plus souvent dans une pénombre
complice, obligeant à découvrir contours et détails comme un archéologue en
mission. Dans la salle consacrée aux « Gorgones » on découvre des
compositions hybrides alliant le résultat des empreintes de rochers et un nouveau
matériau nommé le plastiglomérat (une roche composée de plastique fondu, de sable, de lave volcanique, et parfois
de matières organiques) parées de couleurs assez vives, bien qu’atténuées par l’obscurité. Le désastre
écologique en cours se pare ainsi d’atours pimpants, aboutissant à une collision
entre esthétique et désarroi.
![]() |
Ugo Schiavi. Sans titre (Gorgone), 2021. |
Situées sur la tribune de la
chapelle, d’inquiétantes gargouilles à tête de chien dialoguent furieusement avec
un tableau nommé Saint Michel terrassant le dragon, copie tardive
d’après Raphaël. De l’autre côté de la balustrade de pierre, en contrebas, s’expose
un imposant buste de Neptune, savamment délabré et rongé. Dans la
salle des archives, une haute composition déstructurée nommée Léviathan,
composée de fragments de sculptures et de moulages, constamment arrosée par une
eau qui va devenir de plus en plus sombre, interpelle notre regard.
L’élément liquide (la Loire, la mer, les étangs) et bien sûr le fleuve arlésien par excellence, le Rhône, se trouve utilisé dans un film présenté dans les nouvelles salles, tout en haut du musée. Co-réalisé avec l’artiste Jonathan Pêpe, Main-Stream Memory use d’images de synthèse extraites de la réalité environnante ; des vues des façades du Grand-Prieuré, des lions du pont de Lunel, des parties de l’église des Frères Prêcheurs se retrouvent associées à des eaux de synthèse et à des usines clinquantes. Arles apparaît à moitié noyée tandis que les fonds recèlent des trésors que l’on nommerait aussi détritus. Ce formidable résumé du travail de l’artiste repose sur une construction cinématographique jouant avec divers flux (aquatiques, historiques, données informatiques, etc.) et aboutissant à une vision fantastique.
![]() |
Image du film Main-Stream-Memory. Ugo Schiavi et Jonathan Pêpe, 2021. |
L’approche d’Ugo Schiavi pourrait faire penser
à celle d’Anne et Patrick Poirier qui avaient remis à l’honneur la perception
artistique et philosophique de l’antique grâce à une déclinaison allant des maquettes
aux jardins en passant par de grandes sculptures. Cette filiation apparaît un
peu lointaine. Il questionne notre monde actuel en passe de devenir ruine et propose
un regard d’archéologue sur notre présent. Il procède avec humour et inquiétude,
car les enjeux de la science-fiction d’hier se trouvent en cours de réalisation
aujourd’hui, pour le meilleur et surtout pour le pire.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire