Exposition « L’épreuve des corps »
Mo.Co. Hôtel des Collections, Montpellier
Du 13 novembre 2021 au 13 février 2022
.Nathaniel Mellors. Hippy Dialectics (Ourhouse), 2010.
À corps
perdu/Accords perdus
Avec ce titre, démarrons sur un jeu de mots
qui fonctionne à plusieurs niveaux, nous mettant à l’épreuve d’une certaine
dissonance avec cette exposition autour du corps. Une soixantaine d’œuvres s’y
trouvent, prêtées par la fondation italienne Sandretto Re Rebaudengo ; le commissariat de Vincent Honoré et Caroline Chabrand offre un
nouveau regard sur elles dans les salles de l’Hôtel de Montcalm. Il s’agit donc
de voir comment fonctionne l’art contemporain par rapport à cette très ancienne
représentation de l’être humain, allant du sublime à l’horrible, sans oublier
le dérisoire, en une déclinaison toujours passionnante.
Commençons donc par… la fin avec une réalisation
qui illustre parfaitement la thématique précitée, le fameux film Zidane :
A 21st Century Portrait (2005) de Douglas Gordon et Philippe Parreno. À
l’occasion du match opposant le Real Madrid à Villareal en 2005, 17 caméras se
focalisent sur ce grand footballeur et traquent ses mouvements et ses émotions.
Optant pour un voyeurisme intense lié à une dissection de ses faits et gestes,
l’œuvre d’art opte ici pour une approche à la fois passionnante et déroutante.
Qui donc voyons-nous réellement sur cet écran : un excellent joueur ou/et
un mythe en devenir ?
Une installation de grand format de Thomas
Hirschhorn, Ingrowth (2009) propose 12 mannequins (féminins) aux tresses
hors d’échelle, reliés entre eux par des câbles bleus. Éventrés, dépecés,
exposés sous une lumière crue, dans de grandes vitrines, le front ceint d’un bandeau
idéaliste (HOPE par exemple), ils nous invitent à songer à la violence du monde
et à l’humaine condition. Cet artiste nous a souvent habitués à l’excès de ses
réalisations et au charme un peu fou de ses débordements. Une réflexion très radicale
de Josh Kline sur le corps et son exploitation par le système économique, avec
deux corps enveloppés dans un sac plastique, semblable à des détritus, de la
série Unemployement (2016). Et aussi un mélange assez macabre de
morceaux de corps humain mélangés à des produits divers sur un chariot de
ménage. Ces sculptures qui fonctionnent sur le principe de l’équivalence de
l’humain et de la marchandise, dénoncent crûment le règne de l’inhumanité
quotidienne au travers de l’humour noir. C’est peut-être retrouver l’esprit de
Jonathan Swift, actualisé, dans son hallucinant pamphlet de 1729, A Modest Proposal : For Preventing the Children of Poor People from
Being a Burthen to Their Parents or Country, and for Making Them Beneficial to
the Publick.
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Josh Kline. Thank You for Your Years of Services (Joan/Lawyer), 2016. |
Les photos de Cindy Sherman, Untitled
Films Stills (1977-80) semblent plus sages en apparence. L’artiste apparaît
toujours « transformée » selon un rituel bien établi, brouillant la
frontière entre sa personne et sa représentation. Une très puissante photo de
1992 présente un mannequin avec sexe masculin en érection, écroulé par terre et
annonce les incontournables photos de Catherine Opie. Elle présente des
portraits de la culture « trans-gressive » de Los Angeles avec des
références aux peintures flamandes. Remarquons un somptueux autoportrait de
l’artiste, Self-portrait/Pervert (1994) où elle apparaît portant un
masque SM, seins nus, le buste tatoué du mot « Pervert » avec de
nombreuses inclusions métalliques sur les bras. Une autre série photographique,
en noir et blanc, de Zoe Leonard montre à travers des instruments (de
torture ?) comment les femmes subissent le contrôle imposé à leur
corps : l’injonction de la beauté obligatoire se plaque sur un fond
d’effroi.
La sculpture de Berlinde de Bruyckere,
réalisée en cire, La femme sans tête (2004) travaille sur une relecture
du style archaïque grec avec des références à notre actualité. La grâce
apparente le dispute à la souffrance potentielle des suppliciés ou des
réfugiés. La mise en cage de verre et la lourde armature en bois font partie de
l’œuvre, évoquant l’enfermement, mais aussi les structures muséales du 19ème
siècle. Un parallèle peut s’établir avec le volume de Mark Manders, Unfired
Clay Torso (2005), en bronze peint, qui reprend le modèle des kouros grecs.
En cours d’écroulement, sa statue évoque la fin d’un monde et sa possible
découverte par des archéologues du futur.
Un Maurizio Cattelan, ce qui fait toujours
plaisir, La rivoluzione siamo noi (« Nous sommes tous la
révolution ») de 2000, présente un personnage suspendu, en costume de
feutre, et se veut un hommage ironique à Beuys. Une très grande installation de
Michele Rizzo, REST (2020) nous montre une série de corps épuisés par la
danse. Alanguis et précieux, ils s’intègrent dans une vision plus large, liée potentiellement
à un rituel chrétien. Une des œuvres les plus déroutantes demeure Hippy
Dialectics (Ourhouse) de Nathaniel Mellors où deux têtes animées reliées
par leurs cheveux communiquent en éructant. Cette sculpture animatronique nous
emporte vers une narration frénétique accompagnée de mouvements désordonnés.
Pour terminer, une dernière vidéo en deux épisodes, un peu cachée, avant la sortie, sorte de contrepoint avec celle de Zidane, réalisée par Wael Shawky, Cabaret Crusades (2010). Des marionnettes italiennes anciennes en bois et d’autres en céramique, rejouent l’épisode des Croisades, mais du point de vue des Arabes. Se servant de l’ouvrage d’Amin Maalouf, l’artiste déconstruit le récit des croisés pour en donner une vision moins orientée idéologiquement, donc plus complexe. Oserions-nous même évoquer un corps-à-corps avec l’Histoire ?
Christian Skimao
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