jeudi 18 novembre 2021

« L’épreuve des corps », Mo.Co. Hôtel des Collections, Montpellier, 2021.

 

Exposition « L’épreuve des corps »    

Mo.Co. Hôtel des Collections, Montpellier

Du 13 novembre 2021 au 13 février 2022

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Nathaniel Mellors. Hippy Dialectics (Ourhouse), 2010.

                     À corps perdu/Accords perdus

 

  Avec ce titre, démarrons sur un jeu de mots qui fonctionne à plusieurs niveaux, nous mettant à l’épreuve d’une certaine dissonance avec cette exposition autour du corps. Une soixantaine d’œuvres s’y trouvent, prêtées par la fondation italienne Sandretto Re Rebaudengo ; le commissariat de Vincent Honoré et Caroline Chabrand offre un nouveau regard sur elles dans les salles de l’Hôtel de Montcalm. Il s’agit donc de voir comment fonctionne l’art contemporain par rapport à cette très ancienne représentation de l’être humain, allant du sublime à l’horrible, sans oublier le dérisoire, en une déclinaison toujours passionnante.

  Commençons donc par… la fin avec une réalisation qui illustre parfaitement la thématique précitée, le fameux film Zidane : A 21st Century Portrait (2005) de Douglas Gordon et Philippe Parreno. À l’occasion du match opposant le Real Madrid à Villareal en 2005, 17 caméras se focalisent sur ce grand footballeur et traquent ses mouvements et ses émotions. Optant pour un voyeurisme intense lié à une dissection de ses faits et gestes, l’œuvre d’art opte ici pour une approche à la fois passionnante et déroutante. Qui donc voyons-nous réellement sur cet écran : un excellent joueur ou/et un mythe en devenir ?

  Une installation de grand format de Thomas Hirschhorn, Ingrowth (2009) propose 12 mannequins (féminins) aux tresses hors d’échelle, reliés entre eux par des câbles bleus. Éventrés, dépecés, exposés sous une lumière crue, dans de grandes vitrines, le front ceint d’un bandeau idéaliste (HOPE par exemple), ils nous invitent à songer à la violence du monde et à l’humaine condition. Cet artiste nous a souvent habitués à l’excès de ses réalisations et au charme un peu fou de ses débordements. Une réflexion très radicale de Josh Kline sur le corps et son exploitation par le système économique, avec deux corps enveloppés dans un sac plastique, semblable à des détritus, de la série Unemployement (2016). Et aussi un mélange assez macabre de morceaux de corps humain mélangés à des produits divers sur un chariot de ménage. Ces sculptures qui fonctionnent sur le principe de l’équivalence de l’humain et de la marchandise, dénoncent crûment le règne de l’inhumanité quotidienne au travers de l’humour noir. C’est peut-être retrouver l’esprit de Jonathan Swift, actualisé, dans son hallucinant pamphlet de 1729, A Modest Proposal : For Preventing the Children of Poor People from Being a Burthen to Their Parents or Country, and for Making Them Beneficial to the Publick.

Josh Kline. Thank You for Your Years of Services (Joan/Lawyer), 2016.

  Les photos de Cindy Sherman, Untitled Films Stills (1977-80) semblent plus sages en apparence. L’artiste apparaît toujours « transformée » selon un rituel bien établi, brouillant la frontière entre sa personne et sa représentation. Une très puissante photo de 1992 présente un mannequin avec sexe masculin en érection, écroulé par terre et annonce les incontournables photos de Catherine Opie. Elle présente des portraits de la culture « trans-gressive » de Los Angeles avec des références aux peintures flamandes. Remarquons un somptueux autoportrait de l’artiste, Self-portrait/Pervert (1994) où elle apparaît portant un masque SM, seins nus, le buste tatoué du mot « Pervert » avec de nombreuses inclusions métalliques sur les bras. Une autre série photographique, en noir et blanc, de Zoe Leonard montre à travers des instruments (de torture ?) comment les femmes subissent le contrôle imposé à leur corps : l’injonction de la beauté obligatoire se plaque sur un fond d’effroi.

  La sculpture de Berlinde de Bruyckere, réalisée en cire, La femme sans tête (2004) travaille sur une relecture du style archaïque grec avec des références à notre actualité. La grâce apparente le dispute à la souffrance potentielle des suppliciés ou des réfugiés. La mise en cage de verre et la lourde armature en bois font partie de l’œuvre, évoquant l’enfermement, mais aussi les structures muséales du 19ème siècle. Un parallèle peut s’établir avec le volume de Mark Manders, Unfired Clay Torso (2005), en bronze peint, qui reprend le modèle des kouros grecs. En cours d’écroulement, sa statue évoque la fin d’un monde et sa possible découverte par des archéologues du futur.

  Un Maurizio Cattelan, ce qui fait toujours plaisir, La rivoluzione siamo noi (« Nous sommes tous la révolution ») de 2000, présente un personnage suspendu, en costume de feutre, et se veut un hommage ironique à Beuys. Une très grande installation de Michele Rizzo, REST (2020) nous montre une série de corps épuisés par la danse. Alanguis et précieux, ils s’intègrent dans une vision plus large, liée potentiellement à un rituel chrétien. Une des œuvres les plus déroutantes demeure Hippy Dialectics (Ourhouse) de Nathaniel Mellors où deux têtes animées reliées par leurs cheveux communiquent en éructant. Cette sculpture animatronique nous emporte vers une narration frénétique accompagnée de mouvements désordonnés.

  Pour terminer, une dernière vidéo en deux épisodes, un peu cachée, avant la sortie, sorte de contrepoint avec celle de Zidane, réalisée par Wael Shawky, Cabaret Crusades (2010). Des marionnettes italiennes anciennes en bois et d’autres en céramique, rejouent l’épisode des Croisades, mais du point de vue des Arabes. Se servant de l’ouvrage d’Amin Maalouf, l’artiste déconstruit le récit des croisés pour en donner une vision moins orientée idéologiquement, donc plus complexe. Oserions-nous même évoquer un corps-à-corps avec l’Histoire ?                                                              

                                                                                                                                         Christian Skimao

 

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