Les Rencontres de la Photographie 2022
Dans toute la ville d’Arles
Du 4 juillet au 25 septembre 2022
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| Noémie Goudal, vidéo Bellow the Deep South, Arles, 2002. |
Elle, elles, … eux.
Avec cette édition 2022, Christoph Wiesner, directeur des Rencontres, a opté résolument pour la mise en avant du travail des artistes femmes, avec quelques présences masculines également. D’abord, à la Mécanique Générale (LUMA), la remarquable exposition Une Avant-garde féministe qui réunit plus de deux cents œuvres de 71 femmes artistes, autour des années 1970, issues de la Collection Verbund à Vienne. Si les grands noms actuels s’y trouvent, comme Annette Messager, Orlan, Cindy Sherman, VALIE EXPORT ou Renate Bertlmann avec Die Schwangere Braut im Rollstuhl (« Mariée, enceinte, en fauteuil roulant ») On découvre donc des réalisations radicales d’artistes issues d’Allemagne, d’Europe centrale au sens large ou des USA, certaines trop tôt disparues comme Francesca Woodman. Dans le même lieu, Frida Orupabo avec A quelle vitesse chanterons-nous, propose de grands collages interrogeant la représentation des femmes et les violences liées au colonialisme et au racisme. La dimension à la fois bricolée et épique de ses constructions frappe puissamment l’imaginaire et nous interroge sur le sens des histoires.
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| Frida Orupabo, oeuvre, Arles 2022. |
Toujours dans une perspective historique, les photographies de Lee Miller où l’évolution d’une artiste qui a été à diverses périodes de sa vie, modèle pour la revue Vogue et photographe pour des revues américaines de prestige, muse de Man May puis créatrice surréaliste elle aussi, avant de devenir reporter durant la Seconde Guerre Mondiale. Un parcours qui ne l’a pas laissée indemne psychologiquement. Il y a un mélange détonant dans ses clichés du 20ème siècle, aux cadrages précis, entre glamour, surréalisme en devenir et vues des camps nazis libérés. Babette Mangolte a documenté la scène chorégraphique des années 1970 à New York, avec des photos en noir et blanc, entre avant-garde et nostalgie d’une création intense.
Retour à aujourd’hui, avec Noémie Goudal et son installation Phoenix. Celle-ci s’insère dans un travail plus vaste nommé Post Atlantica. Formidable approche exploratoire qui questionne la nature, le temps long et sa représentation. Deux vidéos, l’une jouant avec le feu, Bellow the Deep South, et l’autre avec un remplacement de vues coulissantes de fragments de la forêt, Inhale Exhale, nous accrochent littéralement. Le simulacre fonctionne à plein avec un travail en strates sur les palmiers de la série Phoenix. Ces derniers se trouvent accrochés dans la pénombre de l’église des Trinitaires comme une déconstruction de la doxa actuelle sur l’idée de nature, entre humain et non-humain.
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| Couverture du magazine Harper's Bazaar, mars 1945 |
Deux études sociologiques et politiques se trouvent présentées. Voyons d’abord, Un monde à guérir, sur la Croix-Rouge et le Croissant Rouge, avec Nathalie Herschsdorfer (directrice de Photo Élysée à Lausanne) et Pascal Hufschmid comme commissaires. Avec un large éventail de clichés couvrant 160 ans d’existence, les auteurs mettent en lumière l’institution et son évolution. Si la cause est noble, la propagande demeure, indéniablement. Ensuite, l’énorme exposition au Monoprix, Chants du ciel la photographie, le nuage et le cloud organisée avec un grand brio par Kathrin Schönneg. Les notions de réalité demeurent finalement essentielles puisque le « cloud » (invention verbale et idéologique des groupes informatiques) repose sur un ensemble de câbles, d’infrastructures multiples et d’immenses serveurs, à la fois gourmands en énergie et polluants ; les nuages existent également puisqu’ils circulent au-dessus de nous, porteurs de pluie ou non, de menaces ou de rêves. L’interaction entre les références historiques de Louis Vignes et Charles Nègre, les recherches de la NASA et des artistes contemporains comme Claudia Angelmaier, Sylvia Ballhause, Marie Clerel, etc. en un choc questionnant et parfois surréel.
Le Prix Louis Roederer à l’église des Frères prêcheurs, présente une dizaine d’artistes sélectionnés. La mise en scène de toutes ses œuvres très différentes, perturbe quelque peu le regard, car nous avons tendance à regarder un projet avant d’avoir saisi la totalité du précédent. Champagne pour Maya Inès Touam et Celeste Leeuwenburg. La première, fait une relecture de Matisse dans un style très personnel, très coloré et extrêmement séduisant. Pourtant, il s’agit là aussi d’une remise en cause des héritages occidentaux dans la manière de voir et de ressentir. La seconde, travaille sur l’image de sa mère au travers de chorégraphies réinterprétées à partir d’un film des années 1970 par Delia Cancela. Il en résulte un bel hommage contemporain entre images animées et images fixes.
À l’École nationale supérieure de la photographie (ENSP), mais dans un registre plus tragique, Estefia Penafiel Loiza expose Carmen (répétitions), vaste installation sur une femme disparue tragiquement, en raison de son engagement politique en Équateur, au début des années 1980, sous le pseudonyme de Carmen. L’artiste explore le champ des possibles, des réalités, se confrontant à cette zone d’ombre de la connaissance avec une grande sensibilité, semblable à une élégie à l’Absente. Pour ceux qui bougent malgré la chaleur, à l’Abbaye de Montmajour, Wang Yimo et son Théâtre sur Terre se compose d’une vidéo et d'installations lumineuses, avec en toile de fond une centrale électrique désaffectée où ont travaillé des ouvriers. L’étonnant mélange entre une nostalgie socialiste, la réalité de l’évolution technique et la mise en scène très connotée des forces laborieuses, comprenant aussi des animations enfantines de certaines machines, apparaît comme épatant. Rien ne semble véritable alors que tout devrait l’être, véritable dialectique poétique.
Au même endroit, les photos d’une Inde déjà
ancienne (1978-1989) de Mitch Epstein (affiche du Festival cette année); puis
en vrac, dispersé dans la ville, le projet BMW Awards, Hantologie suburbaine,
d’Arash Hanei et Morad Montazi, avec beaucoup de technologie, les
prises de vue de Lukas Hoffmann qui s’inscrivent dans un monumental pictural de
grande qualité et James Barnor, véritable mémoire ghanéenne.
Christian Skimao



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