Après l’école, biennale artpress des jeunes artistes
Deuxième
édition avec 32 jeunes artistes
MOCO La
Panacée, Musée Fabre, Espace Dominique Bagouet
Montpellier du
1er octobre 2022 au 8 janvier 2023

Louise-Margot Décombas, Besandome otra vez*, 2019, au MOCO La Panacée, Après l'école biennale artpress des jeunes artistes, Montpellier 2022. Photo Emmanuel Morel.
|
|
Cette biennale concoctée par les deux commissaires, Etienne Hatt et Romain Mathieu, après un choix effectué par un comité de sélection présidé par le réalisateur Albert Serra, coïncide avec les cinquante ans de la création de la revue artistique artpress (1972-2022). Née au 20ème siècle, elle a particulièrement participé aux vifs débats théoriques de la scène nationale et internationale. Depuis le monde de l’art a beaucoup changé, entre mondialisation, marchandisation et starisation. La ville de Montpellier, au travers de trois de ses lieux (La Panacée, certaines salles du musée Fabre, l’Espace Bagouet) participe activement à la présentation de ces jeunes talents émergents du 21ème siècle.
L’ensemble des réalisations apparaît comme très hétérogène, ce qui constitue une grande joie pour la visite. Côté peintures, Sam Krack peint comme il pense ou réciproquement, jouant avec les références codées d’un monde trivial tout en explorant les recoins post-duchampiens de l’art. Thomas Gasquet travaille au feutre sur de grands panneaux de type Velleda. Les formes utilisées proviennent de diverses sources déjà référencées, aboutissant à une très séduisante approche grâce à ce rappel permanent à l’éphémère. Les peintures de Raphaël-Bachir Osman évoquent le temps, cultivé avec ironie. Avec Le rappel des oiseaux (2020) il met en branle les mythes fondateurs de l’art avec les raisins et le duel entre Zeuxis et Parrhasios. Mais d’autres réalisations avec raquettes de ping-pong et tables de jeu devenues tableaux (style peinture américaine de la grande époque) complexifient une démarche fort ironique. Côté sociologie, Louise-Margot Décombas ne manque pas de talent avec ses installations architecturées ; Vue mer (2019) reprend un balcon de résidence hôtelière du Sud, trop petit pour y voir l’horizon, mettant en évidence la sournoise différence entre vacance et vacances. Son abribus des routes d’Auvergne, très bien mis en valeur ici, devient une boîte de nuit presque réelle où passe à vitesse réduite un tube des années 1990. Dernier bal avant la fin d’un certain monde ?

Oeuvres de Raphaël-Bachir Osman au Musée Fabre, Après l'école biennale artpress des jeunes artistes, Montpellier 2022. Photo Emmanuel Morel.
Côté rébellion, les installations de Valentin Tyteca nous questionnent sur la violence des révoltes sociales, pavés soigneusement rangés sous un linceul noir, un bouclier de protection anti-flics réalisé en livres de poche, et une mise scène comme A flux tendu (2020) dont la référence sémantique très « gilets jaunes » présente des assemblages éclatés. Tout cela se déroule néanmoins dans un espace muséal protégé. Côté alchimie, la découverte inattendue de Guillaume Donne et de ses machines célibataires qui distillent des jus qui vont se transformer. Une huile de friture devient carburant, un dioxyde d’azote mute en acide nitrique et va produire une gravure. Une autre réalisation, posée sur un support au sol nommée Cueillette v3, récolte 1*, présente de petites sculptures qui sont des représentations de fruits nécessaires pour produire de l’alcool, véritable symbolique de bouilleur de cru, mais un grand cru artistique !
Côté archéologie naturelle, Célia Cassaï renoue avec des formes anciennes en céramique et propose une lecture lente des éléments. Ainsi, Oyas (2022) distille des gouttes d’eau salée qui vont constituer des croûtes au sol. La mise en lumière de ces processus lents s’inscrit évidemment dans une temporalité de type « slow » très attachante. Dans une démarche proche, Ève Champion questionne la nature des choses grâce ses expérimentations sur la laine de mouton brute comme dans Charogne (2018-2021). Elle aussi, donne du temps au temps, afin d’affiner un regard plus calme mais très clairvoyant sur notre monde. Côté historique, Bowen Zhao, d’origine chinoise, présente deux tableaux de ciment, Les Travailleurs migrants et moi-même (2021) avec les copies de petit format des figurines de l’armée de terre cuite du Premier Empereur, découvertes à Xian et des documents des ouvriers chinois d’aujourd’hui. Ils se confondent dans un tragique sacrifice et un anonymat certain. Beaucoup de désespérance sourd de cette installation très bien pensée. Assoukrou Aké, né en Côte d’Ivoire, présente un grand bois gravé, au titre surréalisant, Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse torturés par des fleurs où il est question de violence et d’oppression. L’Odyssée d’un soleil noir (2021), se compose d’une pirogue découpée et de diverses sculptures, narrant un conte en langue twi (du peuple Ashanti), mettant ainsi en lumière l’oubli de sa langue natale face au Français d’usage. Mise en regard dans un contexte soigné au musée Fabre.
![]() |
| Oeuvres de Guillaume Donne, Espace Bagouet, Après l'école biennale artpress des jeunes artistes, Montpellier 2022. Photo Emmanuel Morel. |
Côté sculpture, les travaux remarquables d’Amalia
Vargas, née en Colombie, qui avec ses Formes concrètes (2021) présente
des peintures et gravures fichées dans des blocs de béton horizontaux. Il en
résulte un effet de sidération lié aux différentes masses, de même que ses
étranges corbeilles à fruits en cristal, suspendues ou dangereusement placées
en équilibre. Côté images mouvantes, Mona Convert avec Un pays en flammes-Intervalles
propose le spectacle et les coulisses d’une compagnie Piro’Zioe qui associe
recherches plastiques et ruralité, en une approche très insolite. De même pour
Mélissa Medan et son film Loïc a mal au cœur (2018) qui convoque la
technologie pour nous éloigner en apparence du vivant : réjouissant et
angoissant à la fois. Côté images fixes, les superbes « photographies »
de Laure Tiberghien. Elles proviennent d’une recherche conceptuelle
privilégiant le rapport direct entre la lumière et le support, sans
l’utilisation d’un appareil. Orbes et Screens dévoilent des
abstractions irisées d’une grande force.
Un maître mot pour définir cette biennale : hybridation ! À voir et éprouver impérativement !
Christian Skimao
*
extrait de la chanson Ouragan (1986), écrite par Marie Léonor, chantée
par Stéphanie de Monaco

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire