Exposition monographique de Djamel Tatah
« Le théâtre du silence »
Musée Fabre, Montpellier
10 décembre 2022-16 avril 2023
Cœurs
lourds en lévitation
Djamel Tatah a un pied dans la modernité, l’autre dans une forme d’archaïsme. Sa peinture apparaît au premier abord comme évidente, puis de subtiles nuances introduisent le doute avant que de nombreuses interrogations ne submergent le regardeur. En ces temps incertains… mais y a-t-il jamais eu des temps certains, si ce n’est au prix d’une grande cécité, l’artiste pose la vraie question : qui sommes-nous ?
Sa réinterprétation des maîtres anciens permet une approche extrêmement contemporaine. Ainsi, Les Femmes d’Alger (1996) de Tatah élaborent une nouvelle mise en forme dictée par un travail à l’huile et à la cire sur toile et bois. La composition en triptyque introduit une rigueur et une sacralité (fut-elle laïque) qui utilise un type de personnage avec d’infimes variations. Il n’y a ici aucun exotisme dans ce chœur de femmes qui rappelle l’Antiquité grecque et la douleur des années de la « décennie noire » (1991-2002) en Algérie. Le tragique s’invite donc dans ses œuvres, non par l’anecdote, mais par la force de la composition globale liée à une grande acuité personnelle.
L’artiste use d’une certaine distance dans
ses réalisations, sans doute pour ne pas céder à la facilité d’un
sentimentalisme de pacotille ; ainsi la plupart de ses œuvres usent de la
dénomination « Sans titre ». Sa référence au théâtre, principalement
celui de Beckett, ouvre de nouvelles perspectives, comme dans ses agencements de
jeunes gens qui semblent à la fois égarés et perdus dans leurs rêves. Ainsi
fonctionne, dans le grand hall d’entrée du musée, un ensemble de 12 tableaux
constituant un impressionnant panorama pictural (2005).
D’autres figures, plus individuelles, comme celle évoquant le Penseur de Rodin (2011) nous entraîne dans une pose plus méditative. De même la peinture d’une femme nous ramène à La Vierge de l’Annonciation d’Antonello de Messine (2018). L’artiste travaille beaucoup avec des photographies et des images, glanées de partout puis mixées grâce à son ordinateur, avant de les utiliser pour ses réalisations. Les grands aplats de couleur constituent également une spécificité du travail artistique. La référence abstraite est paradoxalement constante chez lui. D’autres figures, circulent, accablées et en groupes, se croisant sans se reconnaître, semblables et interchangeables, témoignant ainsi de la solitude humaine (2016). Face à certaines œuvres, semblables à des manifestes, d’autres optent pour une suspension voulue tout en s’inscrivant dans le cadre d’une chute, comme les lés gravés et peints recto-verso (2019) installés dans l’atrium Richier du musée. Là encore la mise en scène se conjugue au travail plastique pour nous emmener dans une sorte de lieu assez irréel.
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| Djamel Tatah, ST, 2019, lés gravés et peints, Copypright Musée Fabre, photographie Frédéric Jaulmes/Adagp, Paris 2022. |
Djamel Tatah invoque Camus et sa stèle où figure un extrait des Noces à Tipasa au travers d’un double autoportrait (1990) ; il rend également hommage à son ami Rachid Taha, leader disparu du groupe musical « Carte de séjour ». Terrienne et aérienne, sa peinture change le regard puisqu’elle nous offre le multiple dans une trajectoire unique.
Christian Skimao


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