Exposition Julien Creuzet
« Orphée ruminait des mots à
l’étouffée … »
Tour LUMA, Arles
Du 2 juillet 2022 au 15 janvier 2023
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| Julien Creuzet, vue partielle d'Orphée ..., Luma Arles, 2022-23. |
Une
pluie, tiède et magique, de métamorphoses
L’environnement magistral de Julien Creuzet se trouve dans les profondeurs de la Tour LUMA. Elle nécessite une descente, non pas aux enfers (quoiqu’avec Orphée …), mais dans un espace autre où opère magie et technologie. Le titre complet de l'exposition "Orphée ruminait des mots à l'étouffée, sous la pluie fine du brouillard ardent, anyway les serpents sont-ils sourds et muets, oubli enfoui au fin fond de l’insomnie" est un extrait d'un poème de l’artiste.
L’utilisation combinée de divers médiums ouvre des approches singulières. L’artiste interroge le monde actuel au travers de concepts comme la « négritude » et la décolonisation tout en privilégiant le monde créole et sa pensée devenue référence planétaire. Des compositions foisonnantes répondent à des arborescences délirantes, la lumière offre un sourd prolongement à la voix tandis que parsemées au gré des envies de l’auteur, s’ébrouent de virtuelles statuettes africaines, se distordant, s’entremêlant, se reproduisant, comme possédées par une danse de résistance. Nous ne trouvons pas ici dans une approche exotique mais dans une réflexion sur la recherche d’un art total contemporain (certes héritage lointain du Gesamtkunstwerk du 19ème siècle), rendu possible par l’utilisation des nouvelles technologies. Les références au travail plastique de Wifredo Lam irriguent également l’ensemble immersif créé par l’artiste.
Le détour par André Breton lui permet de revenir à Aimé Césaire. Rappelons cette fuite éperdue hors de la France de Vichy vers la Martinique (hélas aussi sous administration collaborationniste) en 1941, sur un bateau nommé le Capitaine Paul-Lemerle, avec la rencontre improbable en temps normal de protagonistes comme Claude Lévi-Strauss, Wifredo Lam, Victor Serge, Anna Seghers, Raymond Assayas (père du cinéaste Olivier), Germaine Krull qui photographiera la traversée (œuvres exposées en 2019 aux Rencontres d’Arles), et bien d’autres. Le texte de Breton, rédigé par la suite et intitulé Un grand poète noir (1943) opte pour une mise en lumière de Césaire, une sorte de révélation personnelle au travers des civilisations croisées dans le fracas de l’Histoire. Creuzet s’en inspire et inscrit ses recherches dans ce déplacement, au double sens du terme, inattendu. Il use des marges pour détourner le centre, montrer et démonter les oublis d’un discours dominant, nommer ce qui ne l’était pas, faire voir ce qui était caché.
Avec « Martiniska »,
l’île dalmate fantasmée de Césaire, évoquée par le biais d’écrans accrochés au
plafond, apparaît une Martinique aux racines hybrides, magnifiée par Creuzet.
La réappropriation d’un certain surréalisme marque aussi le retour en grâce
d’un mouvement qui avait été jeté aux oubliettes durant de longues années. Sa
dimension extra-occidentale avait sans doute été quelque peu « oubliée »
ainsi que son irréfragable soif d’explorer des mondes nouveaux par le biais de
l’inconscient.
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| Catalogue de l'exposition Julien Creuzet, première de couverture. |
Si Breton termine son texte sur cette phrase imparable « La parole d’Aimé Césaire, belle comme l’oxygène naissant », nous dirons que la vision de Julien Creuzet nous laisse en apesanteur dans les sphères de l’esprit.
Christian Skimao
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