lundi 15 juillet 2024

Installation de William Kentridge, LUMA, Arles, 2024

 

Installation monumentale de William Kentridge

Je n’attends plus

LUMA, La Mécanique Générale, Face Nord, Arles

Eté 2024

 

William Kentridge, "Je n'attends plus", vue partielle, LUMA,  Arles, 2024.

Vaisseau fantôme pour Afrique du Sud surréelle

                                          

   Une exposition croulant sous les superlatifs laudateurs. William Kentridge semble utiliser pleinement la « récapitulation créatrice » chère à Bergson tant sa vision du monde apparaît complexe, mixant références personnelles et historiques dans un tourbillon visuel et musical. Le point d’ancrage repose sur la traversée de l’opéra The Great Yes, The Great No produit par la LUMA et le Festival d’Aix-en-Provence, la première mondiale ayant été donnée à Arles du 7 au 10 juillet 2024. La fameuse traversée, en mars 1941, du navire qui a transporté de la métropole à la Martinique, des réfugiés comme André Breton, Claude Lévi-Strauss, Wilfredo Lam, Anna Seghers, Victor Serge, etc. L’artiste s’en empare pour y faire figurer de nouveaux personnages, comme Aimé et Suzanne Césaire, Frantz Fanon, Joséphine de Beauharnais, Joséphine Baker, etc. et ouvrir une voie politique  et légendaire pour notre actualité. Paysages luxuriants et masques de nouveaux personnages se répondent dans une sarabande historique en cours d’invention. Une installation vidéo sur trois écrans, To Cross One More Sea (2024) occupe la première salle de projection tandis que des mégaphones géants issus des recherches constructivistes parsèment l’espace comme des caisses de résonnance.

 More Sweetly Play the Dance, vue à Arles en 2016 dans les locaux provisoires de la Luma, apparaît comme une parade sans fin où des personnages réels ou imaginaires parcourent un long chemin ponctué musicalement par des références multiples. Le but demeure la marche elle-même, optant non pour une parade mortuaire mais pour la vie, toujours recommencée. En parallèle, Oh To Believe in Another World fonctionne avec un orchestre jouant la Symphonie n° 10 du compositeur russe Dmitri Chostakovitch. On retrouve Nose (2010), d’après un opéra de 1930 du compositeur précédent, d’après une nouvelle de Gogol, où le ridicule le dispute souvent au tragique. Les problématiques liées à l’héritage colonial et l’apartheid pour l’Afrique du Sud se trouvent évoquées avec La politique des cartes et sa série Porter. KABOOM ! une installation issue de la performance The Head & The Load (2018), se présente en tant qu’hommage aux porteurs africains enrôlés dans les armées anglaise, française et allemande entre 1914 et 1918 et qui furent oubliés -volontairement- par l’historiographie officielle des nations européennes.

  La mise en relation entre artistes et courants idéologiques s’incarne au mieux avec les avant-gardes héroïques du 20ème siècle. On retrouve les interrogations de Kentridge sur le mouvement Dada, les diverses intersections existant entre le théâtre, la peinture, la sculpture, le ballet et la poésie. La littérature, déstructurée par ces recherches formelles ainsi que l’absurde et l’utilisation de l’inconscient inspirent aussi les recherches de l’artiste sud-africain. Il en profite pour introduire des notions personnelles dans ce vaste champ opératoire. Ainsi le parcours rejoint l’anecdotique sur fond historique et détournement avec O Sentimental Machine (2015) qui rappelle l’exil de Léon Trotski sur l’île turque de Büyükada de 1929 à 1933, avec une reconstitution de sa chambre. Diverses vidéos évoquent ses discours tandis que sa secrétaire Evgenia Shelepina se trouve placée dans des situations burlesques.

  Toutes ces installations semblent fonctionner comme une sorte de mille-feuille conceptuel où les couches se superposent dans un ordre défini. Bien sûr Kentridge ne respecte pas cet arbitraire pâtissier, il déplace les propositions et les couches, établissant dès lors des connexions improbables. Le Surréalisme retrouve une place, non pas coincé dans certains carcans historiques, mais dans son déplacement même, à l’intérieur d’une contemporanéité mouvante.

 

 

                                                                                                                                           Christian Skimao

 

 

 

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