Exposition
« Roulé-Lavé » de Won Jy
CACN,
Nîmes
Du 24
janvier au 19 avril 2025
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Il semble tentant d’utiliser le titre de la
chanson de Dylan pour illustrer cette réflexion sur l’exposition de Won Jy,
artiste coréen, qui nous propose une démarche très questionnante. Cette notion
de « pierre roulante » relève d’une expression coréenne qui présente
celle qui roule et qui délogera celle qui se trouve figée, soit le mouvement
même de la vie. Ainsi, Matelas se présente comme un lit de repos, mais en
béton coulé contenant des pierres de calcaire et de granite. Il associe
également les galets avec la figure de l’étranger, « gharib » en
arabe. Ces migrations sont suivies par Won Jy qui participe à divers collectifs
de soutien et connaît personnellement cette notion de déracinement. Ainsi Chaussures
de hammam, œuvre réalisée avec des chaussures aspergées d’un enduit de
façade, reprend de véritables artefacts abandonnés par leurs occupants
temporaires, changeant ainsi de statut. Il n’hésite donc pas à connaître les
lieux de provenance, les personnes et les conditions difficiles de celles et ceux
qui passent et s’évanouissent ensuite dans d’autres refuges temporaires des
métropoles.
Le début de la visite s’effectue devant une
pierre fendue, sur un socle, malicieusement nommée Origine du monde, en
raison d’une ressemblance anatomique fort visible avec la toile de Courbet, le
titre de l’exposition, Roulé-Lavé, tracé sur le mur blanc. Cette
référence au monde du bâtiment concerne des graviers de construction. L’intitulé
flirte avec la destruction qui produit un autre type de graviers. En fait Won
Jy propose un subtil processus de déconstruction de nos schémas de pensée avec l’utilisation
de matériaux pauvres, présents en quantité énorme et qui ne se voient plus. En
effet, certains de ses travaux prennent place dans la réalité même des
chantiers de démolition du quartier Pissevin. Ainsi apparaît Fontaine, grâce
à un nouvel assemblage de rebuts de
forte taille, permettant de mimer les ouvrages baroques avec leurs bassins
multiples. L’importance de l’eau comme lieu de transformation a également une
grande importance dans son approche globale.
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Won Jy, "Fontaine", CACN, 2025 |
Les réalisations de l’artiste éclectiques comprennent
un autre type d’approche, plus surprenant encore, celui de la mise en scène de
pigeons morts. Des œuvres nommées génériquement Columbarium, contiennent
une dépouille de pigeon incluse dans une résine époxy. Un parallèle formel
pourrait s’établir avec la démarche de Tony Grand et ses poissons inclus dans
le stratifié polyester. Parfois, les pigeons se trouvent dans des boîtes en
plastique et se fondent peu à peu dans la terre contenue à l’intérieur. Il n’y
a rien de morbide dans cette mise en scène, mais plutôt un regard interrogateur
sur l’éternel recyclage des choses et des êtres. Là encore, les événements et
le vécu du créateur s’inscrivent dans une analyse de la perception du pigeon
dans notre société, mal aimé, souvent pourchassé, parfois même exterminé.
![]() |
Won Jy, Columbarium, CACN, 2025 |
Won Jy, oscillerait-il donc entre la terre
(gravats) et le ciel (pigeons) ? En fait non, sa perception nous oblige
toujours à nous tourner vers le sol. Pour regarder une vidéo, des bancs en
granito nous forcent, non pas à s’asseoir, mais à se poser à même la pierre,
car ils ne possèdent pas de pieds de soutènement. Les animaux ailés ne se
trouvent pas en train de voler, mais reposent, morts, dans la terre ou dans
leur gangue de résine. Cette humilité, non feinte, permet de changer la
perception des choses et de nous questionner sur le point de vue humain. Il y a
bien longtemps, les anciens quadrupèdes ont marché sur leurs deux jambes dans
la savane et ont conquis le monde. Pourtant seuls demeurent les gravats après
l’écroulement de leurs tours orgueilleuses. Won Jy nous enseigne la grandeur du
peu. Dont acte.
Christian Skimao
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