Exposition
Francesca Caruana Rétrovisions
Centre
d’art contemporain àcentmètresducentredumonde, Perpignan
Du 8
mars au 19 avril 2025
Francesca Caruana, série des Nymphes, vue partielle, ACMCM, Perpignan, 2025 |
L’épissure
et l’épicentre
La dénomination de rétrospective marque
toujours un temps d’angoisse pour chaque artiste en raison de la perception
d’un temps possiblement clos. La notion de « Rétrovisions » change la
donne puisque l’arrière se trouve toujours perçu, tandis que l’avenir reste à
découvrir. Ainsi en va-t-il de cette grande exposition, dénommée avec malice et
finesse, qui propose cent soixante pièces, du milieu des années 1970 à 2020.
Francesca Caruana demeure singulière et
plurielle, artiste polymorphe et intellectuelle brillante qui a également enseigné
à l’université, lui apportant ainsi une double ouverture extrêmement productive.
D’emblée, le temps et l’espace nous interrogent dans son parcours ainsi que les
techniques utilisées, allant du dessin à la peinture, en passant par l’installation.
Si des œuvres des années 1970 nous sont présentées comme Matière grise (1976),
elles font référence à une construction surréalisante, tout en opérant une
déconstruction du sujet oiseau. L’effilochement des plumes va conduire au thème
central de l’épissure que l’on retrouve dans le dessin au crayon des séries Cordes,
dont Corde (2011) tandis que ses Nymphes continuent dans cet optique,
mais en privilégiant des pubis féminins. Elle impose ainsi une visibilité du
caché dans le cadre d’une approche féministe.
Les Diablitos des années 1990
annoncent la thématique de l’eau au travers de peintures ondoyantes aux
couleurs vives. Si la référence initiale demeure l’aérienne circulation des
motifs des robes du sud, elles nous portent vers un monde mouvant, horizontal
et vertical, au risque de se perdre dans les méandres liquides. Elles
pourraient annoncer les travaux récents sur le support papier-bulles qui
mettent en branle des vagues marines ou suggérées. L’utilisation de
radiographies dans l’espace pictural ouvre sur une nouvelle interaction. Ainsi des
réalisations comme Courir, radiographie et pigments et Respirer, radiographie
et fusain sur papier (2013), convoquent la présence d’une interaction entre l’envolée
de tracés gestuels et l’apparition fantomatique de parties du corps. Une grande
composition murale composée de radios avec des dessins très stylisés, constitue
une suite avec des figures ressemblant à des graffitis pariétaux.
Francesca Caruana, série des Masques, et autres oeuvres, vue partielle, ACMCM, Perpignan, 2025 |
Elle a travaillé avec les artistes Kanak de
Nouvelle-Calédonie, où elle a réalisé une exposition au Centre Tjibaou de
Nouméa. En France toujours àcentmètresdumonde, en 2015, son exposition
RECTO/OTCER continuait cette exploration culturelle. La série des Masques,
avec Masque ethnique (2016) présente de grandes toiles, d’une grande
puissance, qui interrogent l’altérité, dans des compositions figuratives, servies
par une relecture de l’histoire des arts. Plus proche de nous, la dimension tauromachique
se décline avec des volumes comme Ennemi de luxe (2016), une sculpture en
os, peinte en rouge, représentant une tête de taureau et qui pourrait se
trouver mise en relation avec deux dessins stylisés, également de têtes de
taureau, très élégants, Toros pequenos (2010).
Impossible d’évoquer toutes les œuvres qui
apportent des éclairages différents, les Bois dormants et les Bois
migrants par exemple, où la peinture abstraite répond à son vis-à-vis en
forme de véritable bâton peint. Sans oublier l’importance du concept de «
peintures installées », développé par la créatrice où des objets posés au
sol complémentent l’espace vertical du regard. Les fils dénoués se renouent mentalement
au fur et à mesure de cette exploration du tracé, de la gestualité et de la
spatialisation. Francesca Caruana possède le talent d’avancer sans cesse, narrant
et peignant sa vision d’un monde ouvert et palpitant, en total désaccord avec
cet esprit du temps qui prône la fermeture et le repli sur soi.
Christian Skimao
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