Deux
expositions
Vivian
Suter avec Disco
Felipe
Romero Beltrán avec Bravo
Carré
d’art Musée d’art contemporain, Nîmes
Du 8 novembre
2025 au 29 mars 2026

Vivian Suter, peintures, vue partielle, Carré d'art, Nîmes, 2025
Marcher
dans la peinture/Traverser la photographie
Deux artistes complémentaires,
dont l’une s’efforce, grâce à la peinture, d’interroger les bordures, tandis que
l’autre, au travers de la photographie et de la vidéo, tente de montrer la perméabilité
des frontières.
D’un côté, Vivian Suter, artiste
internationale, née à Buenos Aires, exilée à 12 ans, avec sa famille, à Bâle,
vit et travaille depuis les années 1980 à Panajachel au Guatemala. Ses toiles,
sans titre, sans date et sans châssis, envahissent l’espace, proposant une
approche environnementale de la peinture. En effet, l’effet pictural se
conjugue avec la mise en espace qui varie pour chaque lieu. Exposée précédemment
au Palais de Tokyo, à Paris, la monstration de Nîmes épouse un lieu différent. Près
de 400 toiles créent un effet d’envahissement où chaque œuvre cohabite avec
l’autre en une sorte de métamorphose permanente. Le plus souvent abstraites, avec
des apparitions fugitives de motifs, de textes,l’artiste convoque quelques grands
courants comme l’expressionnisme abstrait, ainsi que des emprunts aux pratiques
artistiques magiques. On reconnaîtra dans certaines œuvres, où se trouvent de
la terre, des débris et autres restes du réel, un clin d’œil aux mégots insérés
dans les réalisations de Jackson Pollock. Des formes archétypales apparaissent
tandis que d’autres s’estompent en une sarabande effrénée : des ronds et
des carrés se métissent avec des triangles et des taches. Un style particulier
n’existe pas vraiment, mais plutôt une explosion gestuelle répondant à un appel
des profondeurs. Cette approche, met l’inconscient à contribution, dans une
approche plutôt jungienne. Parfois, un semblant d’ordre apparaît avec des
toiles accrochées sur des étendoirs de grande taille et difficilement visibles
dans leur ensemble, clin d’œil à l’impression textile paternelle et mise à
distance pour celui/celle qui les regarde. Le titre, Disco, pourrait à
première vue, se référer à la danse des seventies ; en réalité, le nom d’un
des chiens de Suter qui gambade partout et bien sûr sur ses toiles, acteur
involontaire d’une scénographie où la nature imprègne la culture. Dans une
pièce à part, des collages très intéressants d’Elisabeth Wild (1922-2020), mère
de Vivian, qui a beaucoup produit à partir de ses 70 ans et jusqu’à sa
disparition.

Felipe Romero Beltran, photos, vue partielle, Carré d'art, Nîmes, 2025.
De l’autre côté, Felipe Romero Beltrán, jeune
plasticien né à Bogota, en Colombie, qui a étudié à Madrid et se trouve
actuellement à Paris. S’inscrivant dans le courant de la photo documentaire, au
sens générique, son travail consiste à montrer la face cachée des évidences par
le biais d’une approche contemporaine. Tournant autour du grand fleuve Rio
Bravo (d’où le nom de la monstration) qui se nomme également Rio Grande.
Frontière « naturelle », entre le Mexique et les États-Unis, ce dernier
devient un personnage dans ce récit convoquant les habitants des deux rives,
ainsi que les nombreux migrants venant de toute l’Amérique du Sud dans l’espoir
d’une vie meilleure aux USA. A partir de cette forte contextualisation politique,
Beltrán a divisé son approche en trois parties Endings, Bodies et
Breaches (Fermetures, Corps, Lacunes) qui remettent
en cause la classification et l’identification. Ses photographies très
construites, montrent des choses anodines en apparence, comme des intérieurs
avec matelas, table, chaises, sound system, etc. qui acquièrent un statut
symbolique. Il en va de même avec des portraits qui contiennent une part
tragique d’une histoire, personnelle, sociale et politique, à la fois
omniprésente et dissimulée. L’altérité ne se trouve donc pas mise en avant,
remplacée par la solidarité. La réalisation audiovisuelle, sise au centre de
l’exposition, se nomme El cruce (Le passage). L’artiste change le
statut du fleuve, non plus vu comme une frontière, mais comme un lieu, plus
anodin, où se déroulent de nombreux actes de vie : des baptêmes
évangéliques dans l’eau, une compétition de pêche entre les riverains des deux
pays, le témoignage d’un nageur, enfin celui d’un récupérateur qui ramasse les vêtements
abandonnés des migrants pour les revendre au Mexique. Le rendu du passage d’un
monde à l’autre, demeure l’équation artistique d’une œuvre, à jamais suspendue.
Christian Skimao
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire