Exposition
Victoire Thierrée, OKINAWA !!
Collection
Lambert, Avignon
Du 19
avril au 15 juin 2025
Victoire Thierrée, OKINAWA!!, vue partielle, Avignon, 2025
Correspondances et connexions
Le travail de Victoire Thierrée tourne autour
de plusieurs thématiques et pratiques (photographies, création de verres, et
narrations) qui se focalisent autour de l’île japonaise d’Okinawa. Le
dispositif scénique mis en place à la Collection Lambert montre les multiples
connexions existant entre le passé et le présent dans une vision personnelle et
contemporaine. Il nécessite néanmoins un éclairage lié aux multiples références
utilisées.
L’artiste se rend à Okinawa a lieu en 2019 où
se trouvent 32 bases américaines avec 10.000 soldats et réalise des prises de
vue en noir et blanc. En 2023, elle va à Washington (USA) aux archives de la Smitsonian
Institution qui conserve les résultats des recherches botaniques d’Egbert H.
Walker (1899-1991). Ce dernier a effectué des prélèvements de plantes dans les
zones touchées par la bataille d’Okinawa, pour mémoire l’une des plus terribles
de la guerre du Pacifique. Victoire Thierrée a ensuite sélectionné 40 planches
d’herbier et les a photographiées (ex. Artocarpus altilis #2, 2023). Au
niveau des tirages, l’utilisation du procédé gélatino-argentique et non pas
numérique, change une fois encore notre rapport au temps. Si la dimension
esthétique apparaît de suite, sans doute en raison d’une élégance japonaise
sous-jacente, elle ne doit pas masquer l’essentiel, le questionnement.
Victoire Thierrée, Artocarpus altilis #2, 2023, tirage gélatino-argentique © Victoire Thierrée Adagp 2025
Les sculptures en verre, réalisées au CIRVA
(Centre de recherche sur le verre et les arts plastiques) et suspendues dans
l’espace grâce à de fortes structures en acier, se rapportent aux pratiques
artisanales des îles Ryūkyū. Ne disposant plus ni de leurs ateliers, ni des
matières premières nécessaires, les habitants se sont emparés des canettes de
bière et de Coca-Cola en verre des militaires, afin de satisfaire leur besoin
de souvenirs à ramener aux Etats-Unis. La forme des yeux, comme exorbités, se
réfère aussi à la jeunesse écolière de l’île, enrôlée de force, pour un sacrifice
inéluctable, comme en témoigne le roman d’ Akira Yoshimura, Mourir pour la
patrie (1967).
L’Histoire et les histoires se mélangent. Les
périodes traitées établissent des ponts inattendus, mettant en lumière le fil
conducteur de cette narration créée par l’artiste. La démarche initiale de Victoire Thierrée se
situe à l’origine dans la découverte du travail du photographe Shōmei Tōmatsu
(1930-2012). La notion de déplacement semble essentielle puisque photographies et
« yeux » entretiennent des rapports de connivence. Deux vers du poème
Correspondances du grand Charles Baudelaire offriront une conclusion
provisoire à cette œuvre toujours en devenir : « Comme de longs échos
qui de loin se confondent / Dans une ténébreuse et profonde unité ».
Christian Skimao